Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Nouveaux hôpitaux en Chine : deux forteresses en vitesse

Février 2020, par Info santé sécu social

Par Valentin Cebron

Les photos aériennes d’une myriade de pelleteuses en train de déblayer le terrain ont beaucoup impressionné. C’était le 24 janvier. La Chine entamait un chantier colossal pour construire à la hussarde deux hôpitaux près de Wuhan, épicentre de l’épidémie du nouveau coronavirus. Peu à peu, des préfabriqués ont surgi de terre, installés par des milliers d’ouvriers qui se sont relayés nuit et jour. Résultat, dix jours plus tard : Pékin a ouvert, mardi, un premier hôpital de fortune d’une capacité de 1 000 lits et qui s’étend sur 34 000 m². Cinquante premiers patients ont déjà été accueillis, et un deuxième établissement, qui sera doté de 1 600 places supplémentaires, devrait être achevé dans les prochains jours. Trois autres lieux, dont un stade, vont aussi être aménagés à Wuhan pour recevoir 3 500 malades qui présentent des symptômes légers.

Télévision
Les autorités chinoises cherchent à désengorger les hôpitaux du centre-ville, débordés par l’afflux de patients et la propagation exponentielle du virus. En 2003, lors de l’épidémie du Sras, un précédent coronavirus qui avait fait près de 800 victimes dans le monde, dont 349 en Chine continentale et 300 à Hongkong, les autorités chinoises avaient déjà bâti un hôpital à Pékin en sept jours. La construction de ceux de Wuhan a été diffusée en temps réel par la télévision d’Etat, qui cherche à faire oublier le retard pris dans les premières semaines et les dysfonctionnements du système de santé.

Une prouesse qui soulève néanmoins quelques questions. Des habitants de Wuhan s’inquiètent des emplacements choisis en périphérie de la capitale de la province du Hubei. « Les hôpitaux Huoshenshan ("Montagne du dieu du feu") et Leishenshan ("Montagne du dieu de la foudre") sont tous deux situés à proximité de sources d’eau, explique la sociologue Simeng Wang, chargée de recherche au CNRS et originaire de Wuhan. Ce qui peut, dans le contexte actuel, légitimer une forme d’angoisse. J’ai des proches qui habitent pas loin, donc je comprends. Cela dit, les lacs et les rivières représentent près d’un quart de la superficie de la ville, il n’y avait pas beaucoup d’autres choix. »

Pour Frédéric Tangy, chef de l’Unité génomique virale et de vaccination à l’Institut Pasteur, pas de quoi s’inquiéter. « Les Chinois prennent le problème au sérieux, estime le scientifique. Il faut leur faire confiance. Il n’y a aucun souci à se faire si le niveau de confinement est approprié à la situation. »

Camouflage
A la demande du Président, Xi Jinping, l’hôpital Huoshenshan a été placé sous le contrôle de l’Armée de libération du peuple (APL). Une équipe médicale militaire de 1 400 personnes supervise les soins prodigués aux malades répartis dans les 400 chambres. L’agence de presse officielle chinoise a diffusé des photos d’infirmières en tenue de camouflage en train de câbler les appareils médicaux. Certains personnels soignants de l’APL ont déjà d’ailleurs participé à la lutte contre le Sras et Ebola. « Le fait que l’armée chinoise prenne le relais marque un niveau extrêmement élevé du contrôle social, souligne Simeng Wang. En temps normal, les crises sanitaires relèvent du ministère de la Santé. Cette situation montre bien que le gouvernement central est agité. »

Une vidéo filmée au cœur de l’hôpital, à l’aube de sa mise en service, alimente la tension sur les réseaux sociaux chinois. Le site d’informations Taiwan News, qui a relayé la séquence, compare le nouvel établissement à une « prison ». L’anonyme qui filme les lieux commente : « Une fois qu’on y entre, on ne peut plus en sortir. » En s’immisçant dans les cellules de confinement, il explique qu’il est « impossible d’ouvrir de l’intérieur car le verrou est placé à l’extérieur ». « Mieux vaut rester en quarantaine chez toi plutôt que d’être ici, assure-t-il. Ceux qui ne peuvent pas être guéris seront envoyés au crématorium. » Il semble clair que certaines chambres sont particulièrement sécurisées. « Certaines ressemblent davantage à camp d’internement qu’à un établissement de soins, décrypte Simeng Wang. Reste à savoir comment les personnes placées dans cet hôpital seront traitées. Si leurs proches pourront leur rendre visite, et si les droits des malades seront bien respectés. Ces points nécessitent plus de transparence. »

Pékin a reconnu des « insuffisances » dans sa réaction face l’ampleur de cette crise, et annoncé que deux grandes villes de l’est du pays, non loin de Shanghai, étaient à leur tour mises en quarantaine. Pour autant, l’OMS a assuré, mardi, que la propagation du coronavirus 2019-nCoV n’avait pas atteint le stade de la « pandémie ».

Valentin Cebron