Amerique du Nord

Libération - Obamacare : Trump peine à contenter ultraconservateurs et modérés

Mars 2017, par Info santé sécu social

Par Frédéric Autran, correspondant à New York

Le projet républicain de réforme du système de santé présenté lundi ne fait pas l’unanimité dans les rangs du GOP. Les plus conservateurs y voient une version « allégée » d’Obamacare, les plus modérés s’inquiètent d’une perte massive de couverture médicale.

« C’est un sujet incroyablement complexe. Personne ne savait que le système de santé pouvait être aussi compliqué. » Lâchée fin février par Donald Trump, cette petite phrase a suscité un mélange de stupéfaction et de sarcasmes. Car s’il y a bien un point sur lequel s’accorde la classe politique américaine en matière de réforme de la santé, c’est son extrême complexité. L’ignorance du nouveau président, pourtant, ne surprend guère. De son propre aveu, Donald Trump déteste – et ne lit pas – les rapports détaillés, leur préférant des résumés succincts. Après son élection, le milliardaire avait manifesté peu d’intérêt pour les briefings de sécurité, y dépêchant le plus souvent son vice-président Mike Pence. Interrogé sur le sujet quelques jours avant son investiture, il avait eu cette réponse stupéfiante : « Je vous le garantis. Je n’ai pas besoin de rapports de 200 pages sur un sujet qui peut tenir sur une page. »

Calendrier accéléré

Alors que les républicains viennent d’entamer la bataille législative pour abroger « Obamacare », loi emblématique de son prédécesseur, Donald Trump semble rattrapé par une implacable réalité : non, la réforme du système de santé ne tient pas sur une seule page. Loin de là. Présenté lundi, le projet républicain fait précisément 123 pages. Et il est loin de faire l’unanimité dans les rangs du Grand Old Party (GOP), au sein duquel élus ultraconservateurs et modérés cohabitent péniblement depuis des années. En dépit des nombreuses critiques, la Maison Blanche et les dirigeants républicains souhaitent que la réforme soit adoptée avant le début des vacances parlementaires de Pâques, le 7 avril. Un calendrier accéléré qui fait grincer des dents et augure de débats houleux au sein de la majorité.

Fruit de plusieurs semaines de négociations entre l’administration Trump et les chefs du GOP, le plan républicain prévoit de conserver les acquis les plus populaires de la réforme de Barack Obama : interdiction pour les assureurs de refuser un patient en raison d’une pathologie existante, interdiction de plafonner les dépenses médicales de l’assuré, possibilité pour les enfants de rester inscrits sur l’assurance de leurs parents jusqu’à l’âge de 26 ans. Pour le reste, les changements sont drastiques, à commencer par la suppression du « mandat individuel », l’obligation de s’assurer qui était au cœur de la réforme de 2010. Le système d’aide financière serait également profondément transformé. A l’heure actuelle, les subventions fédérales dépendent du niveau de revenu, l’objectif étant d’aider les plus modestes à souscrire à une assurance. Dans le plan républicain, ces subventions sont remplacées par des crédits d’impôts liés principalement à l’âge – et dont pourra également bénéficier la classe moyenne aisée.

Rigueur budgétaire et désengagement de l’Etat fédéral

Les républicains les plus conservateurs – qui siègent principalement à la Chambre – ont aussitôt dénoncé une version « allégée » d’Obamacare. Partisans de la rigueur budgétaire et du désengagement maximal de l’Etat fédéral, ces derniers estiment notamment que les crédits d’impôts demeurent trop généreux. A l’autre bout du spectre républicain, les plus modérés - notamment au Sénat – redoutent à l’inverse un désengagement trop brutal du gouvernement fédéral, notamment du programme Medicaid (réservé aux plus démunis). Ils craignent que des millions d’Américains perdent leur couverture médicale à cause de cette réforme, ce qui pourrait menacer leurs chances de réélection dans des Etats ou circonscriptions modérés.

Pour Donald Trump, le risque politique est élevé. Tout au long de sa campagne, le milliardaire a fait de l’abrogation du « désastre » Obamacare sa priorité absolue. Fin février, lors de son discours devant le Congrès, il avait promis que sa réforme permettrait « d’étendre le choix, de donner un meilleur accès aux soins, de réduire le coût et de fournir une prise en charge de meilleure qualité ». Conscient qu’il joue sur ce dossier une partie de sa crédibilité, notamment auprès de ses électeurs, Donald Trump s’implique dans les discussions. Cette semaine, il a reçu à la Maison Blanche de nombreux élus et les représentants de plusieurs groupes conservateurs. Il devrait également effectuer plusieurs meetings aux Etats-Unis au cours des prochaines semaines.

Entre six et vingt millions sans couverture

Même pour le roi autoproclamé du « deal » et de la négociation, le défi semble toutefois presque impossible à relever. Malgré ses nombreux défauts, Obamacare a permis à plus de vingt millions d’Américains d’obtenir une assurance maladie. Donald Trump a toujours assuré que personne ne perdrait son assurance après la réforme républicaine. Une promesse qu’il sera incapable de tenir. D’après les estimations réalisées par différents experts, entre six et vingt millions d’Américains pourraient perdre leur couverture médicale. Et la plupart des autres pourraient voir le coût de leur assurance augmenter. Inquiètes des possibles conséquences désastreuses, tant pour les patients que pour les professionnels, les principales organisations de médecins et d’hôpitaux ont d’ailleurs exprimé leur vive opposition au plan des républicains.