Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Obligation vaccinale déguisée : le gouvernement reporte le projet de loi

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par Laure Equy — 22 décembre 2020

Une disposition du projet de loi a fait polémique : la possibilité de conditionner les déplacements à la présentation d’un test négatif et certaines activités à l’administration d’un vaccin.

Face au tollé dans l’opposition, Olivier Véran a annoncé mardi soir que ce texte ne serait pas examiné avant « plusieurs mois ».

Entre persuasion et précaution, la communication autour de la vaccination tenait du numéro d’équilibriste. Voilà que le gouvernement a fait lui-même tressauter le fil. Avant de devoir finalement rétropédaler mardi soir. Sitôt le projet de loi sur un « régime pérenne de gestion des urgences sanitaires », posé lundi soir sur le bureau de l’Assemblée nationale, une disposition équivoque a fait polémique. Dans la boîte à outils du gouvernement, actuelle ou future, pour lutter contre de prochaines crises sanitaires, le texte prévoit la possibilité de « subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités à la présentation des résultats d’un test de dépistage » négatif, « au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif ».

L’extrême droite est montée la première au filet. Très vite et très fort. Marine Le Pen a dénoncé « une dérive insensée » et le porte-parole du RN, Sébastien Chenu, l’installation d’une « espèce de dictature sanitaire ». Le chef de file du parti des Patriotes, Florian Philippot, qui tente d’appâter les antivaccins, a enchaîné les tweets contre la « monstruosité du passeport sanitaire ».

Le vaccin, sésame pour un droit à reprendre une activité normale ? Emmanuel Macron avait pourtant exclu, le 24 novembre, de forcer à la piqûre. « Il faut être toujours très honnête et transparent : on ne sait pas tout sur ce vaccin comme on ne sait pas tout sur ce virus », a-t-il admis, dans son interview à Brut du 3 décembre.

« Faire face à une menace plus sérieuse »
Mais conditionner ainsi certaines activités et déplacements ne revient-il pas à une forme d’obligation déguisée ? Face au tollé dans l’opposition, inquiète d’une restriction des libertés, Olivier Véran a finalement annoncé l’enterrement provisoire de ce projet de loi, mardi soir sur TF1. « Ce texte n’a pas du tout vocation à envisager la vaccination obligatoire contre le coronavirus », a assuré le ministre de la Santé. Mais, « parce qu’il faut de la confiance pour que les Français se fassent vacciner librement […], le gouvernement ne proposera pas ce texte devant le Parlement avant plusieurs mois, avant d’être sorti de la crise ». « Le débat est clos », a-t-il estimé.

Dans les heures précédent ce rétropédalage, le gouvernement avait assuré qu’il s’agissait de se doter d’un arsenal pour les prochaines crises sanitaires et pas pour celle-ci. Sans convaincre. De fait, l’étude d’impact du projet de loi indique qu’il n’est pas question, « dans le cadre de la crise sanitaire actuelle [d’] instaurer une obligation de vaccination contre la Covid-19 ». Mais rien ne l’écarte dans le projet de loi. « Le recours à une telle prérogative pourrait cependant être particulièrement nécessaire pour faire face à une menace épidémique plus sérieuse encore », et servir d’alternative au confinement, est-il ajouté dans l’étude d’impact.

En votant un régime d’état d’urgence sanitaire, lors du confinement de mars, les parlementaires avaient fixé une date de péremption au 1er avril 2021. Le gouvernement, qui a fait proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021, compte avec ce texte créer « un dispositif pérenne […] pour répondre à l’ensemble des situations sanitaires exceptionnelles ».

« Des cas très ciblés »
Rapporteure (LREM) de la première loi sur l’état d’urgence sanitaire, Marie Guévenoux avait rappelé que la présentation d’un test PCR négatif pour un vol pour l’outre-mer ou la Corse a déjà été appliquée et imaginé que le projet de loi « visera des cas très ciblés, comme un trajet aérien ou une visite en Ehpad. Le débat parlementaire permettra de le préciser ». « Exiger un passeport vaccinal pour aller au théâtre serait disproportionné, mais demander aux personnels des Ehpad de se vacciner pour continuer leur activité ne me choque pas », avait distingué Sacha Houlié (LREM), coauteur d’un rapport sur l’état d’urgence sanitaire. Et de prévenir : « L’idée pouvant être intéressante ou loufoque selon son application, le gouvernement doit dire ce qu’il envisage. »

Dans son avis, le Conseil d’Etat considère d’ailleurs que, sans être « assimilable à une obligation de soins, une telle mesure peut, si notamment elle conditionne la possibilité de sortir de son domicile, avoir des effets équivalents ». Il propose que la « nature des activités ou lieux concernés » soit précisée.

Si l’UDI Valérie Six a cité l’exemple d’Israël « qui octroie à chaque personne vaccinée un "passeport vert" permettant de se rendre dans des lieux de culture, au restaurant », des députés de l’opposition se sont inquiétés d’une rédaction trop large. Et, sans doute, contre-productive vu le niveau de défiance autour des vaccins. « La politique vaccinale doit emporter l’adhésion, au lieu de créer un dispositif qui semble poser la première pierre d’une vaccination obligatoire », a plaidé la socialiste Cécile Untermaier. Au-delà de la pérennisation d’un « régime attentatoire aux libertés », Aurélien Pradié, secrétaire général de LR, a critiqué une « bêtise stratégique » sur la vaccination : « Le gouvernement est en train de casser ce qui pouvait ressembler à un début de confiance. » Autant d’arguments qui ont visiblement porté.

Laure Equy