Réforme retraites 2023

Libération - Paroles de jeunes manifestants contre la réforme des retraites : « Si on ne change pas les choses maintenant, ça ne changera jamais »

Mars 2023, par Info santé sécu social

Mobilisés

Entre 49.3, violences policières et colère contre Macron, les jeunes sont bien plus nombreux dans les manifestations qu’au début de la mobilisation contre la réforme des retraites. « Libération » est allé à leur rencontre ce mardi dans les cortèges, à Paris et en régions.

par Sarah Finger, correspondante à Montpellier, Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille, Sacha Nelken et David Darloy
publié le 28 mars 2023

Ils sont jeunes salariés, étudiants, lycéens. Certains manifestaient pour la première fois, d’autres se mobilisent depuis quelques jours. Sur leurs pancartes, ils dénoncent pêle-mêle la réforme des retraites, le 49.3, la manière de faire d’Emmanuel Macron, les violences policières, et s’inquiètent de l’avenir qui s’offre à eux. A Paris, Marseille, Rouen et Montpellier, Libération a recueilli la parole de la jeunesse qui se mobilise dans la rue.

« On est venu pour se battre contre la réforme des retraites mais surtout contre le 49.3. Ne pas faire voter une loi alors que tout le peuple est contre, c’est surréaliste. C’est un déni de démocratie. Vu que leur texte n’était pas sûr de passer, ils n’ont même pas osé prendre le risque de passer par le vote. Quelle honte. Le 49.3 a été un vrai tournant. On a réussi à bloquer notre fac qui n’avait plus été bloquée depuis le CPE en 2006 et qui est très peu politisée. C’est dire la colère que le gouvernement provoque dans la société. Sans compter les prises de parole d’Emmanuel Macron, qui sont au-delà de l’arrogance. Son discours très paternaliste et très infantilisant n’a qu’un seul effet : nous mobiliser et nous radicaliser face à lui. Notre but c’est de continuer comme ça parce qu’on sait que c’est la jeunesse qui peut faire bouger les choses aujourd’hui. Nous serons présents jusqu’au retrait de la réforme en bloquant les facs, en aidant les grévistes à bloquer leurs lieux de travail ou dans les manifestations. On va également se mobiliser jusqu’à la démission d’Elisabeth Borne et de son gouvernement. Ils ont peur. Comme s’ils savaient qu’à la fin c’est nous qui allons gagner. »

Dilan, 16 ans, lycéenne en 1re à Vitry-sur-Seine
« On veut montrer que la jeunesse est en colère »

« On est là pour s’opposer à la réforme des retraites, mais aussi au passage en force du gouvernement avec le 49.3. C’est ce qui nous fait le plus peur à nous les jeunes, car s’ils en arrivent à faire passer en force une loi d’une telle ampleur, on peut craindre que cela se généralise à l’avenir quoi qu’ils disent. Le 49.3 a choqué les jeunes. Ils se sont rendu compte qu’avec cet outil, il était possible de ne pas faire voter les députés et donc de ne pas prendre en considération les voix des citoyens. Ça fait peur ! En manifestant, on veut montrer que la jeunesse est en colère, qu’elle a son mot à dire, qu’elle pense aussi et qu’elle a envie de dire que notre modèle de société ne nous correspond pas. Si on n’a pas de moyen d’agir en votant, il nous reste les manifestations. Et puis on se bat aussi pour nos retraites. J’ai 16 ans aujourd’hui, on nous demande de travailler jusqu’à 64 ans, mais ça sera quoi à l’avenir pour notre génération si ça continue comme ça ? 70 ans ? On s’est battu pour l’avoir, on doit continuer pour la garder à un âge convenable. »

Raphaël, 26 ans, infirmier en réanimation à l’hôpital de la Timone, Marseille
« Si je ne bouge pas, je le regretterai plus tard »

« J’ai mis un peu de temps à franchir le pas, je ne suis pas syndiqué, mais là, j’ai la sensation que ça commence à faire beaucoup. Rien ne bouge, le gouvernement est insensible. Alors quand j’ai vu que la motion de censure ne passait pas, j’ai décidé de me lancer. Plusieurs lois sont déjà passées avec le 49.3, on s’éloigne à chaque fois du modèle démocratique. Vous transposez ça à n’importe quel pays du monde, un président qui fait ce qu’il veut en dépit de la volonté du peuple, on appellerait ça une dictature. Même chose pour l’attitude de la police dans les manifestations parisiennes. J’ai signé la pétition pour l’interdiction de la Brav-M. Ce n’est plus du maintien de l’ordre, c’est de la répression ! Je vais voir comment la mobilisation évolue, mais de mon côté, je continuerai à manifester tant que cette réforme ne sera pas supprimée. Si moi maintenant je ne bouge pas, je le regretterai plus tard. »

Moinamina, lycéenne en 1re à Marseille
« Je veux montrer qu’il ne faut pas avoir peur »

« Ça fait un moment qu’il y a des blocus dans mon lycée. Jusque-là, je n’allais pas en cours, mais je ne manifestais pas. C’est le 49.3 qui a tout déclenché. Si je suis là, c’est surtout pour mes parents. Mon père est électricien, je n’ai pas envie qu’il travaille jusqu’à sa mort. Oui, ça sert encore à quelque chose de se mobiliser. De toute façon, ils vont la faire, cette réforme, alors marcher, ça veut au moins dire qu’on n’est pas d’accord. L’autre raison qui m’a poussée à venir, c’est que les personnes de couleur noire peuvent avoir peur d’aller manifester, à cause des violences policières. Je veux montrer qu’il ne faut pas avoir peur. Ces violences ne font qu’aggraver le sentiment d’injustice. On voit le ministre à la télévision dire que les policiers ne lancent que des grenades lacrymogènes, un mensonge supplémentaire puisque des vidéos montrent le contraire. Il faut se mobiliser parce que si on laisse faire, si on ne change pas les choses maintenant, alors ça ne changera jamais. »

Margaux, 19 ans, étudiante en première année de droit à Rouen
« Aujourd’hui, c’est la première fois que je suis dans la rue pour le mouvement. Avant j’avais des examens et c’était ma priorité. Il faut montrer que les jeunes sont aussi concernés. Beaucoup disent l’inverse mais ce n’est pas vrai, on est concernés aussi. Je suis dans la rue aujourd’hui pas uniquement pour mes parents mais aussi pour nous. Ce n’est pas possible de passer un texte alors que personne ne le veut. Ce qu’il [Macron] a fait pour la réforme des retraites ne me rassure pas du tout pour l’avenir. Il se dit qu’il n’a plus rien à perdre, il ne peut pas faire un troisième mandat. Qu’est-ce qu’il va faire après, s’il fait ça maintenant ? Il a été élu, mais pour beaucoup c’était par dépit, pour faire barrage à l’extrême droite. Et maintenant les gens ont de plus en plus de haine contre lui. J’aimerais bien que Macron nous écoute. Les gens manifestent depuis plusieurs semaines. Il dit qu’il entend notre colère mais ce n’est pas vrai, il ne l’entend pas, il fait l’autruche. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, il est Président, il ne peut pas faire ça. »

Olivia, 17 ans, lycéenne en terminale à Rouen
« Ma colère est globale »

« C’est la deuxième fois, depuis le 49.3, que je viens à une manifestation contre la réforme des retraites, mais ça fait longtemps que je m’intéresse à la cause de ce mouvement, que je la défends. Je ne travaille pas encore, mais quand je vois mes parents qui se démènent pour essayer d’avoir une retraite décente, ça me révolte. Aujourd’hui, ma colère est globale. Ce 49.3, qui va totalement à l’encontre de la démocratie, est scandaleux, c’est totalement injuste d’avoir réalisé ce coup de force. J’ai une vision un peu pessimiste de mon avenir. Je ne vois pas vraiment un futur où il pourrait y avoir des avancées sociales. J’aimerais qu’on nous respecte plus en tant que citoyens et citoyennes, qu’on entende nos revendications, notre parole. Que l’on respecte la démocratie surtout. En tant que jeune, j’ai la parole en manifestant mais pour moi ce n’est pas suffisant. Ça se voit, le gouvernement fait ce qu’il veut et ne veut pas nous écouter. Il joue avec nous, et a mon sens c’est un jeu dangereux car le mécontentement des gens est tellement énorme que les violences ne font qu’augmenter et ça va dégénérer. »

Adonis, 22 ans, étudiante en archéologie à Montpellier
« Le monde qu’on nous propose fait peur »

« L’archéo c’est très physique, on bosse toute sa vie sur le terrain. Ces chantiers se rapprochent du BTP : avec des pelles, des pioches, on creuse, on fouille toute la journée, accroupi, en plein soleil, et on est vite cassés. Même à mon âge, je le vois : après deux semaines de chantier, c’est compliqué… Qu’est-ce qu’on fera quand notre corps ne pourra plus fouiller ? A 64 ans, c’est juste impossible. Le monde qu’on nous propose fait peur. C’est bien d’être passionné, mais pas à n’importe quel prix. Après cinq ans d’études, on sera payés au Smic parce qu’il n’y a plus d’argent dans la recherche, les labos, les universités. Je bosse déjà sur des fouilles programmées, tous les étés, sans être rémunérée. Certains finissent leur thèse en travaillant à l’usine ! Et aller jusqu’à la thèse, ça veut aussi dire repousser l’âge de sa retraite. Pour nous, les CDD vont s’enchaîner jusqu’à ce qu’une place se libère… Oui, la retraite c’est loin, mais je me sens concernée, il s’agit de mon avenir. Et puis, le 49.3 m’a donné la rage de me mobiliser encore plus. Alors ce matin je bloque ma fac, ensuite je manifeste… et après je vais bosser sur mon mémoire. »