Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Passeport vaccinal : le ballon d’oxygène réclamé par l’industrie du tourisme

Février 2021, par Info santé sécu social

Une partie de l’industrie du tourisme, éreintée par le Covid-19, demande au gouvernement d’instaurer une sorte de laissez-passer sanitaire. Outre le taux de vaccination trop faible dans l’Hexagone, beaucoup craignent qu’il restreigne les libertés fondamentales.

par Franck Bouaziz
publié le 15 février 2021

Sale temps pour les voyages personnels ou même professionnels en période de Covid-19. Bon nombre d’Européens ne peuvent, sauf « motif impérieux », sortir du Vieux Continent. Les Américains, eux, ne peuvent gagner l’Europe. Les ressortissants des pays asiatiques privilégient les déplacements intérieurs. A elle seule, l’industrie du transport aérien a fait face, l’an dernier, à une perte de revenus de plus de 500 milliards de dollars et a encaissé 173 milliards d’aides publiques. Les compagnies historiques comme Air France, British Airways ou Lufthansa n’envisagent pas de retour à des jours meilleurs avant 2024 ou même 2025. Après un an de pandémie, la question des déplacements se fait chaque jour plus lancinante. Et pour cause, la lutte contre la propagation du virus suppose une réduction significative des voyages, fussent-ils de courte ou de longue distance. Après des mois d’acceptation contrainte et forcée, des voix s’élèvent maintenant pour desserrer l’étau autour de la mobilité en échange de garanties apportées par les voyageurs.

Lobbying grandissant
La nouvelle frontière serait celle tracée par un « passeport vaccinal » : une preuve des injections reçues contre l’autorisation de se déplacer librement. Faut-il y voir un choix pragmatique, nécessaire pour relancer les échanges, ou bien une nouvelle restriction des libertés fondamentales, dictée par la crise sanitaire ? En Europe, la Grèce est en train de franchir le pas. Elle a signé, avec son voisin israélien, un accord bilatéral le 8 février. Il prévoit que les citoyens des deux Etats pourront voyager d’un pays à l’autre sans restrictions à partir du moment où ils ont été vaccinés. Selon les informations de Libération, Israël a d’ailleurs déposé une demande en bonne et due forme auprès de la France afin de conclure un accord du même type. La proposition n’emballe pas le gouvernement. Le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, sollicité à plusieurs reprises par Libération n’a pas donné suite. « Pour l’instant, nous ne sommes pas du tout sur cette option », répond son collègue chargé du Tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne.

Reste que l’exécutif va devoir faire face à un lobbying grandissant des entreprises du tourisme en faveur d’un passeport sanitaire plus ou moins contraignant. Cette activité pèse 7,4% du PIB de la France. En 2018, une année faste, 90 millions de visiteurs internationaux ont dormi au moins trois nuits dans le pays et dépensé 57 milliards d’euros. L’an dernier, alors que le confinement s’est sérieusement adouci durant la période estivale, les recettes de cette clientèle ont été divisées par deux pour tomber à 28,6 milliards. A la veille de la saison estivale 2021, la fermeture des bars et des restaurants ainsi que les restrictions de voyage à l’extérieur de l’Union européenne provoquent un sérieux coup de blues sur les réservations.

« Accueillir tout le monde »
A Béziers, Adriana Minchella exerce le métier d’agent de voyages depuis trente ans et possède trois agences : « Nous vendons des circuits en France à des visiteurs américains et russes. Aujourd’hui, cette activité est à zéro. Le passeport vaccinal est indispensable. Lorsqu’on se rendait au Sénégal il y a encore quelques années, il fallait apporter la preuve de la vaccination. » Même sentiment à Paris pour Jean-Bernard Falco, fondateur et dirigeant du groupe Centaurus, qui compte 2 300 chambres d’hôtel réparties sur 35 établissements. Il souhaite une extension de l’utilisation de ce passeport aux bars, hôtels et restaurants : « Il y a le monde pré-Covid et le monde post-Covid. Je suis partisan d’un passeport vaccinal. On ne se sentira bien dans un lieu recevant du public uniquement si l’on a l’assurance que tous ceux qui entrent sont négatifs. » L’idée d’un passeport sanitaire à l’intérieur des frontières ne séduit cependant pas tous les restaurateurs. Louis Bismuth dirige à Montpellier l’une de plus anciennes crêperies de la ville, située à quelques mètres de la place de la Comédie. Il ne se voit guère jouer les sélectionneurs : « Mon métier, c’est d’accueillir tout le monde. »

La notion de passeport vaccinal n’est donc pas près de prospérer en France. Le taux de vaccination est encore bien trop faible pour que le nombre de prétendants à ce viatique soit suffisant. En revanche, la notion de document sanitaire dématérialisé commence à rencontrer un écho certain. Il ne s’agit plus de conditionner l’entrée ou la sortie du territoire à la preuve du vaccin effectué mais de centraliser, sur un même support, le résultat d’un test PCR, voire d’une sérologie (afin de déceler si le virus a été contracté par le passé), ou la preuve d’un « motif impérieux » de déplacement. Ce type de document « tout en un » aurait d’abord l’avantage de fluidifier la circulation dans les aéroports. Douaniers et chefs d’escale des compagnies aériennes pestent contre le temps de traitement de chaque passager lorsqu’il faut vérifier manuellement plusieurs attestations sur papier. Ensuite, un QR code disponible sur un téléphone mobile (comme pour les billets de train ou d’avion) permettrait de lutter contre la fraude aux fausses attestations de tests PCR négatifs, qui commence à se développer selon la police aux frontières.

Cette modernisation d’une procédure existante sera-t-elle suffisante pour concilier garantie des libertés publiques et sauvetage de l’économie touristique ? La députée Pascale Fontenel-Personne (Modem) réclame depuis des semaines au gouvernement la création d’une mission spéciale afin d’éclairer l’exécutif sur « ce qui est incontournable, utile ou futile ». Un consensus pourrait alors s’établir autour d’un certificat électronique. D’ici là, le gouvernement dispose d’arguments pour rassurer les opérateurs. Le tourisme a bénéficié d’un niveau d’aide plus important que ce qu’il ne représente dans l’économie française : il a reçu 18% des sommes allouées à l’activité partielle et 25% du fonds de solidarité selon Jean-Baptiste Lemoyne. Au total, l’addition atteint 20 milliards d’euros. Si les restrictions demeurent, le carnet de chèques de l’Etat restera ouvert. Une perspective à ce jour plus sécurisante qu’un laissez-passer aux opportunités encore aléatoires.