Industrie pharmaceutique

Libération - Pénuries de médicaments : l’UFC-Que choisir alerte sur un « phénomène à la dynamique explosive »

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Par Marlène Thomas — 9 novembre 2020

Dans une étude publiée ce lundi, l’association pointe la « responsabilité criante des laboratoires » et réclame des mesures de l’Etat.

Depuis quelques années, il n’est plus rare de ressortir des officines, ordonnance en main, mais sans son traitement. Dans une étude publiée ce lundi, l’UFC-Que choisir relève l’étendue de ce « phénomène à la dynamique explosive » en France et souligne la « responsabilité criante des laboratoires ». Particulièrement mises en lumière avec la pandémie, les pénuries de médicaments ont subi une forte croissance depuis une décennie. 405 ruptures étaient recensées en 2016, un chiffre qui a quasiment triplé pour atteindre 1 200 en 2019. Et ce chiffre pourrait bien doubler en seulement un an. « L’Agence nationale du médicament [ANSM] prévoit qu’en 2020, notamment en conséquence de la crise sanitaire, ce sont 2 400 ruptures qui seront constatées, six fois plus qu’en 2016 », écrit l’association. En 2008, seules 44 ruptures de stock avaient été comptabilisées.

Une situation d’autant plus inquiétante qu’il s’agit de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) « pour lesquels une interruption de traitement peut être susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients ». Et dans près de deux tiers des cas, les solutions apportées par les industriels aux situations de pénuries « sont insuffisantes voire inacceptables ». Après avoir étudié 67 lettres de laboratoires adressées aux professionnels de santé à la suite d’une rupture de stock, l’association conclut que dans seulement 37% des situations, « une solution acceptable » est proposée « en mettant dans le circuit français des produits initialement destinés à alimenter d’autres pays ». Dans 30% des cas, les patients sont orientés vers une alternative thérapeutique. Une « solution parfois médiocre » mais aussi génératrice de stress, assure Que choisir, en citant les effets secondaires possibles de ces substitutions et le temps d’adaptation à la nouvelle posologie, notamment pour les personnes âgées.

Aucune solution alternative dans un cas sur cinq
« Plus révélateur encore du danger des pénuries, 12% des producteurs orientent les professionnels de santé vers des solutions de derniers recours, comme la diminution de la posologie. » Et dans près d’un cas sur cinq (18%), professionnels de santé et patients sont laissés sans aucune solution alternative. « Un report voire une annulation de traitement peut avoir des conséquences médicales lourdes, et accroît les risques de décès », souligne l’étude. Que choisir cite en appui la modification du protocole de traitement de la maladie de Hodgkin (forme de cancer du système lymphatique) : en 2009, la rupture de stock du médicament anciennement utilisé a entraîné « une baisse du taux de survie à deux ans (75% contre 88%), avec une chute à 60% dès la deuxième année passée ».

La « coupable avidité » dont font preuve les laboratoires dans leur processus de production et d’approvisionnement est dénoncée : ces pénuries ne touchent en effet que rarement les molécules récentes les plus onéreuses. Sur la liste des 140 médicaments signalés en rupture de stock et en tension d’approvisionnement par l’ANSM au 15 juillet, les traitements indisponibles sont prioritairement des produits anciens (75% sont commercialisés depuis plus de vingt ans) et peu coûteux (les trois quarts coûtant moins de 25 euros et un quart moins de 4 euros). Les industriels semblent faire le choix de la rentabilité. 16% des pénuries résultent d’arrêts de commercialisation, « cause parfaitement prévisible par les industriels, et liée à leur manque d’intérêt économique pour certains médicaments ». 37% sont liées aux difficultés d’approvisionnement en principes actifs. Une « conséquence des choix économiques des industriels » : 80% des principes actifs de médicaments proviennent d’un pays hors de l’Union européenne contre 20% il y a trente ans, selon l’EMA (Agence européenne du médicament).

Réponse « lacunaire » des pouvoirs publics
La réponse des pouvoirs publics est par ailleurs « lacunaire », pointe Que choisir. Seules deux sanctions aux « montants ridicules » ont été prononcées par l’ANSM pour rupture de stock contre des laboratoires l’an dernier (830 et 5 807 euros). Alors que les sénateurs débattent du projet de budget de la sécurité sociale pour 2021, l’UFC-Que choisir propose une série de mesures, dont un renforcement des sanctions envers les laboratoires mais aussi l’obligation pour ces derniers de constituer « des stocks suffisants pour répondre aux besoins des usagers du système de santé pour l’ensemble des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ». Elle réclame par ailleurs le développement d’une production publique de médicaments, « à même d’assurer la fabrication continue de ceux délaissés par les laboratoires ». L’association réclame également que les relocalisations d’entreprises grâce à des financements publics « ne concernent que des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, et prioritairement les plus anciens et concernés par des pénuries récurrentes ».

Marlène Thomas