Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - « Pour mieux surveiller le virus, il faut améliorer le séquençage »

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Par Nathalie Raulin — 17 janvier 2021

Les capacités françaises ne semblent pas à la hauteur de l’enjeu épidémique, au point qu’il est question de réorganiser le système de séquençage. Coordinateur d’une étude sur la présence du variant anglais du Sars-Cov-2 en France, Bruno Lina, membre du Conseil scientifique, répond aux critiques.

La surveillance de la circulation virale en France est-elle vraiment optimale ? Début novembre, les académies des sciences et de médecine s’étaient inquiétées du faible nombre de séquences virales déposées par les chercheurs français sur les bases de données internationales. Soit moins d’une séquence pour 1 000 cas déclarés de Covid-19, contre 469 pour l’Australie, 55 pour le Royaume-Uni ou encore 5,6 pour le Sénégal… De quoi laisser craindre que la France évalue mal et trop tardivement la propagation des mutants du Sars-Cov-2. Le 7 janvier, sur proposition du généticien Philippe Froguel, le chef de l’Etat a donné son feu vert à une réorganisation de l’activité de séquençage en France.

De quoi inquiéter l’agence Santé publique France (SPF), à qui revient cette mission, et semer la panique au sein du Centre national de référence (CNR) et des laboratoires de virologie hospitaliers en charge du séquençage des pathogènes en circulation. Pourtant, l’enquête flash sur la présence du variant anglais lancée par SPF les 7 et 8 janvier a démontré l’expertise et la réactivité du système de surveillance en place. Coordinateur de cette enquête, le virologue et membre du Conseil scientifique Bruno Lina reconnaît néanmoins que les capacités de séquençage françaises ne sont pas à la hauteur de l’enjeu épidémique. Reconnaissant que l’initiative de professeur Froguel a « secoué le cocotier », le virologue lève le voile pour Libération sur les discussions engagées pour améliorer à court et moyen terme la surveillance de la circulation des pathogènes sur le territoire.

Les résultats de l’enquête flash sur la présence du variant anglais en France vous ont-ils rassuré ?
Oui et non. Cette enquête nous permet d’avoir un instantané de la pénétration de ce mutant. A la lumière des résultats, on estime qu’il représente 1,3 % des nouveaux cas de contamination enregistrés en France les 7 et 8 janvier. C’est très faible. Mais on est seulement au début de l’événement. Partout où il est apparu, ce variant a tendance à prendre le pas sur les autres souches en circulation. C’est donc certainement ce qui va se passer en France. Nous allons nous employer à surveiller son expansion. Dans une dizaine de jours, nous allons réitérer notre enquête de sorte à pouvoir mesurer l’évolution de la pénétration du variant mais aussi l’impact des mesures de restrictions, comme la généralisation du couvre-feu à 18 heures.

S’agissant du Sars-Cov-2, le système de surveillance virologique français semblait au point mort…
Nous venons de démontrer qu’il est au contraire très réactif. La décision de lancer l’enquête flash a été prise le 5 janvier ; elle a été mise en œuvre le 7 et le 8, et l’essentiel des résultats a été rendu public le 14 janvier. Nos conclusions sont aussi robustes : notre enquête s’appuie sur 100 000 PCR, ce qui représente 20 % des tests PCR effectués en France sur ces deux jours.

Votre étude vous permet-elle d’avoir une vision de tous les variants qui circulent en France ?
Non. Nous nous sommes concentrés sur la détection du variant anglais. Concrètement, nous avons analysé les 7 500 PCR positives collectées grâce à la technique de Thermo-Fisher pour repérer les prélèvements « discordants », ceux qui ne réagissent pas totalement au test. C’est le cas du variant anglais, à cause d’une délétion dans sa séquence ADN. Nous avons repéré 281 prélèvements de ce type. Ils font en ce moment l’objet d’un séquençage, seule façon de vérifier que nous sommes bien en présence du mutant recherché. Repérer tous les variants en circulation est une tâche d’une tout autre ampleur. Aujourd’hui, il y a quatre variants identifiés. Si on avait voulu tous les cartographier, il aurait fallu séquencer les 7 500 tests PCR positifs. Avec les ressources dont on dispose actuellement en France, il aurait fallu attendre deux à trois semaines pour avoir des résultats.

Le variant anglais va-t-il devenir prépondérant en France ?

Ma seule certitude, c’est que le variant le plus transmissible va chasser la souche en place. Est-ce que ce sera le variant anglais, le sud-africain, le brésilien ou un autre ? Je suis incapable de le dire. On est dans une compétition entre virus. Celui qui aura la capacité de diffusion la plus forte l’emportera. Le variant anglais a un avantage de réplication et donc de transmission. Tout comme le variant sud-africain qui, en plus, semble avoir un petit avantage d’échappement immunitaire [cette souche ne serait pas forcément reconnue par les anticorps des personnes qui ont déjà contracté le Covid, ndlr].

Comment va-t-on savoir ce qu’il se passe sur les variants ?
Il faut augmenter nos capacités de séquençage, et collecter un échantillonnage de prélèvements suffisamment large pour pouvoir identifier un événement rare qui surviendrait. Pour surveiller la circulation des variants, il faut faire des sondages aléatoires en population, et des sondages ciblés sur les clusters.

Comparativement aux Anglais, les Français sont plutôt à la traîne en matière de séquençage, non ?

En 2020, un quart des génomes séquencés dans le monde l’ont été par les Britanniques. Aucun autre pays n’est à ce niveau de séquençage. Pour autant, séquencer en masse ne signifie pas que votre système de surveillance virale est performant. Pour preuve, les Anglais, qui ont séquencé le variant fin septembre, ne nous ont avertis que le 15 décembre, quand l’épidémie a flambé chez eux, que ce mutant posait un problème…

Un généticien, Philippe Froguel, a convaincu l’Elysée de la nécessité de réorganiser le système français de surveillance des virus circulants, jugé peu performant. Que pensez-vous de son initiative ?
Il ne faut pas vendre du rêve au Président. Augmenter les capacités de séquençage est très important, et cela doit être fait pour le très court terme en ayant des objectifs très opérationnels. Nous disposons déjà d’un réseau de laboratoires de virologie et de microbiologie hospitaliers fortement structurés, et un CNR bien organisé, qui ont fait leurs preuves au cours de l’enquête flash. Les généticiens ont des plateformes de séquençage très performantes, une grande habitude du séquençage, mais pas pour l’infectieux. Pour être performant à court terme, il est plus efficace de faire une montée en puissance des structures et des personnels qui sont habituées à travailler en réseau sur les pathologies infectieuses, avec un retour rapide vers les patients, dans un circuit de diagnostic d’urgence. S’il faut des jours et des jours pour mettre en place de nouveaux acteurs pour lesquels il sera aussi nécessaire de construire en plus un lien entre les plateformes de recueil des échantillons et les laboratoires qui séquencent, on ne sera pas rapidement efficace. En revanche, une réflexion à moyen-long terme (au-delà de la crise du Covid) et s’appuyant sur des compétences additionnelles est indispensable.

Néanmoins, convenez-vous qu’il faut améliorer l’efficience de notre activité de séquençage ?

Oui, et l’initiative de Froguel a secoué le cocotier. Sous l’égide de la nouvelle agence ANRS-Reacting, tous les acteurs du secteur se sont mis autour d’une table. Santé publique France, le réseau des laboratoires hospitaliers, les laboratoires privés, le Genopole d’Evry et même les laboratoires vétérinaires travaillent aujourd’hui sur un projet très ambitieux susceptible d’améliorer la surveillance des virus en circulation, mais aussi à plus long terme pour tout nouveau pathogène émergent ou réémergent.

Quel est l’objectif ?

On peut aujourd’hui séquencer 1 500 génomes par semaine. Si on bâtit sur l’existant, et qu’on complète nos ressources, à échéance d’avril, on peut être en capacité de séquencer 6 000 génomes par semaine, soit 300 000 génomes par an. C’est l’équivalent de ce qui a été fait à l’échelle mondiale en 2020. On s’organise en ce moment pour pouvoir monter à 5 000 séquençages par semaine, avec une capacité de 6 000. C’est peut-être excessif pour le Sars, mais on construit pour l’avenir. L’objectif est d’être en mesure, une fois cette épidémie terminée, de détecter l’arrivée de nouveaux pathogènes. Tous les acteurs parties prenantes de la nouvelle organisation devront s’inscrire dans la durée, au moins sur les cinq à dix prochaines années.

Les chercheurs français vont-ils, à l’avenir, mettre davantage de séquences virales à disposition de leurs homologues étrangers ?
Oui. Nous ne participons aujourd’hui pas assez à l’effort de coopération internationale en matière de surveillance virale. Dans la nouvelle organisation, il est prévu que toutes nos séquences soient mises en accès libre.