Environnement et facteurs dégradant la santé

Libération - Pourquoi le chômage est un facteur de mortalité

Mai 2016, par Info santé sécu social

Par Nicolas Boeuf

L’évolution du nombre de demandeurs d’emploi du mois d’avril sera connue ce mercredi. Responsable de 10000 à 14 000 décès par an, le chômage est aussi un enjeu de santé publique majeur.

Pourquoi le chômage est un facteur de mortalité

Le chômage tue aussi. Le 10 mai, le Conseil économique, social et environnemental, s’est ému de « l’impact du chômage sur les personnes et leur entourage ». Selon le Cese, 10 000 à 14 000 décès seraient chaque année directement imputables au chômage. Ce chiffre est tiré d’une étude de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) publiée en 2014. A titre de comparaison, les accidents de la route tuent 3 500 personnes par an. Le ministère du Travail a eu connaissance de ce constat alarmant, mais n’a pour l’instant pas pris de mesure.

« C’est un problème de santé publique majeur », dit à Libération Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm, qui a dirigé l’étude sur laquelle s’est appuyé en grande partie le Cese : 6 000 volontaires en âge de travailler ont été suivis pendant douze ans par l’institut. Et le bilan est sans appel : la mortalité des chômeurs est trois fois plus importante que celles des personnes en emploi. En cause, notamment, une augmentation du risque d’accidents cardio-vasculaires. En extrapolant ces résultats à la population générale, et en tenant compte du taux de chômage et de la mortalité par tranche d’âge, les chercheurs sont arrivés à ce nombre de 14 000 décès par an.

« Les 600 suicides par an en France dus au chômage ne sont que la partie émergée de l’iceberg », explique Pierre Meneton. Cette surmortalité des chômeurs est multifactorielle : tabagisme, moins bonne alimentation, diminution des ressources financières, sédentarité… « Il y a également un effet plus direct du chômage sur l’organisme : les troubles du sommeil et la dépression sont des facteurs qui augmentent le risque de maladies cardio-vasculaires », complète le chercheur. Ses travaux montrent aussi que le risque de cancer est lui aussi plus important pour les chômeurs.

Stigmatisation

Comme le note l’étude, ce n’est pas l’inactivité en soi qui est en cause. Cette augmentation des risques ne se retrouve pas chez les retraités ou les personnes volontairement inactives, essentiellement des femmes s’occupant d’enfants en bas âge. « La stigmatisation des chômeurs, le stress et les problèmes familiaux participent à cette surmortalité. » Dépression, maladie, stigmatisation : le cercle infernal du chômage. Car cela marche dans les deux sens. Il est encore plus difficile de retrouver un emploi lorsque l’on est en mauvaise santé. Et ainsi de suite…

Le Cese a proposé une série de recommandations pour s’attaquer au problème. « Quand on parle [des personnes au chômage], le plus souvent, c’est la fraude, les insuffisances de diplôme ou de formation, leur manque d’allant à retrouver un emploi qui leur sont reprochés », déclarait Jacqueline Farache, membre du groupe CGT, qui présentait l’avis.

Sensibiliser les médecins généralistes

Ces recommandations reprennent celle de l’Inserm. « Au minimum, il faudrait que les professionnels de santé, notamment le réseau de généralistes, soient sensibilisés au fait que lorsqu’ils ont un chômeur devant eux, ils font face à une personne à risque, détaille Pierre Meneton. Pour l’instant, ils ne demandent même pas. Le chômage doit vraiment être reconnu comme un facteur de mortalité. »

Face à ce dramatique enjeu de santé publique, les initiatives des pouvoirs officiels se font attendre. Les ministères du Travail et de la Santé ont commandé une mission à l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) auprès de l’équipe de l’Inserm, à la suite d’un discours de François Rebsamen, alors ministre du Travail, en février 2015. Une rencontre a eu lieu entre les chercheurs et deux inspecteurs de l’Igas. « Depuis, pas de nouvelles », regrette Pierre Meneton, de l’Inserm.

Après cette rencontre, l’Igas a transmis un rapport sur « la prise en compte de la santé dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi » aux ministères du Travail et de la Santé. Aucune décision administrative n’a été prise depuis. Contacté à plusieurs reprises par Libération, les ministères du Travail et de la Santé n’ont pas souhaité s’exprimer.

Entre 1975 et 2015, le nombre de morts dans les accidents de la route est passé de 14 000 à 3 500. « Avec le chômage, on est toujours sur la même échelle que le nombre de morts sur les routes dans les années 70 », regrette Pierre Meneton.
Nicolas Boeuf