Réforme retraites 2023

Libération - Réforme des retraites : pourquoi le congé parental ne sera que très partiellement pris en compte pour les carrières longues

Janvier 2023, par Info santé sécu social

Le gouvernement promet la prise en compte du congé parental dans les carrières longues et affirme que la mesure profitera aux femmes. Le dispositif ne fera en réalité qu’un nombre très réduit de bénéficiaires.

par Emma Donada
publié le 26/01/2023
Les effort/s de « pédagogie » ne semblent rien y faire. L’impact de la réforme des retraites sur les femmes reste au centre des préoccupations. D’après l’étude d’impact, le report de l’âge légal de départ touchera davantage les femmes que les hommes. Pour la génération 1972 par exemple, le relèvement moyen de l’âge de départ sera de neuf mois pour les premières contre cinq mois pour les seconds. Face à ces critiques, le gouvernement assure que la réforme prévoit, au contraire, un éventail de mesures plus favorables aux femmes que dans le système actuel. « Aujourd’hui, les femmes sont victimes d’inégalités dans la carrière. […] Ces inégalités se traduisent au moment de la retraite. Dans le cadre de cette réforme, on prend des mesures pour corriger ces inégalités », a ainsi répété le 24 janvier, Gabriel Attal, sur LCI. Le ministre chargé des Comptes publics évoque la revalorisation du montant de la pension mais aussi « la prise en compte de moments où les femmes ont dû s’arrêter de travailler », comme le congé parental. Devant l’Assemblée nationale, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, avait également vanté cette mesure. Sauf que, comme l’indique d’ailleurs l’étude d’impact du projet de réforme, cette mesure ne devrait concerner en réalité qu’une minorité de personnes.

Dans le système actuel, toute une série de dispositifs sont prévus pour les parents et en particulier les mères. « Pendant vos périodes de maternité ou de congé pour adoption, vous ne cotisez pas pour votre retraite. Si vous êtes assuré social, ces périodes peuvent vous permettre de valider des trimestres pour la retraite », indique la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) sur son site. Pour les naissances à partir de 2014, le trimestre civil de l’accouchement est ainsi validé et un trimestre est validé pour chaque période de quatre-vingt-dix jours d’indemnités journalières au titre de la maternité (le congé maternité). « En cas de congé d’adoption, un trimestre est validé pour chaque période de quatre-vingt-dix jours d’indemnités journalières qui se termine après le 31 décembre 2013 », est-il précisé.

Trimestres supplémentaires
Par ailleurs, les salariés du privé peuvent bénéficier de majoration pour enfants, jusqu’à huit trimestres supplémentaires par naissance. Quatre trimestres (soit l’équivalent d’un an de cotisation) sont accordés aux mères au titre de la maternité. L’adoption donne aussi le droit à quatre trimestres par enfant (mais cette fois-ci à n’importe lequel des parents ou au « tiers-éduquant »). En plus de ces trimestres « maternité » ou « adoption », il est aussi possible de bénéficier de quatre trimestres supplémentaires au titre de l’éducation (qui peuvent être partagés entre les parents depuis 2010).

Précisons que les trimestres accordés au titre de l’éducation ne sont pas les mêmes que ceux attribués pour congé parental. Pour obtenir les trimestres majorés « éducation », il suffit d’« avoir résidé avec l’enfant pendant une période continue d’au moins un an au cours des quatre années suivant sa naissance ou son adoption (un trimestre est attribué par année de résidence commune) et ne pas avoir été privé de l’autorité parentale », indique la Cnav. Un autre dispositif est prévu pour le congé parental : « Le parent qui a obtenu un congé parental d’éducation a droit à une majoration de sa durée d’assurance [retraite] égale à la durée effective de ce congé », peut-on lire sur le site de l’Assurance retraite. Autrement dit un trimestre est attribué pour chaque période de quatre-vingt-dix jours d’arrêt.

A noter qu’il n’est pas possible de cumuler les trimestres supplémentaires pour congé parental et les trimestres supplémentaires accordés pour enfants (maternité, adoption, éducation). « Aussi, lors de l’examen de votre dossier, votre caisse de retraite compare le nombre de trimestres dont vous pouvez bénéficier pour congé parental et pour enfant et retient le nombre de trimestres le plus élevé », peut-on lire sur un portail du ministère de l’Intérieur.

Femmes « un peu pénalisées »
Le projet de réforme voulu par le gouvernement ne modifie pas ces dispositifs. En revanche, en repoussant l’âge légal de départ à la retraite pour tout le monde, il pénalise les femmes qui auraient pu partir entre 62 et 64 ans grâce à ces trimestres supplémentaires et qui devront désormais attendre 64 ans pour liquider leurs droits. C’est en ce sens que le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Franck Riester, a admis lundi – en contradiction avec le discours gouvernemental – que les femmes étaient « un peu pénalisées » par la réforme. « Les femmes pour pouvoir atteindre leur durée de cotisation utilisent […] notamment des trimestres validés par enfant. Ça leur permet d’accéder plus facilement au [nombre de] trimestre minimum pour valider une retraite sans décote. Evidemment si vous reportez l’âge légal, elles sont un peu pénalisées. On ne disconvient absolument pas », a-t-il estimé.

Mais c’est au niveau des carrières longues que le gouvernement prétend apporter un plus. Actuellement, toutes les majorations de l’assurance retraite liées à l’arrivée d’un enfant (trimestres supplémentaires « maternité », « adoption », « congé parental ») sont exclues du calcul pour décider de l’éligibilité à la « carrière longue ». Seuls les trimestres considérés comme cotisés pendant le congé maternité sont retenus. Avec la réforme, le gouvernement se targue de « faciliter » l’accès des femmes ayant commencé à travailler très jeunes à la retraite anticipée en prenant en compte quatre trimestres supplémentaires au titre du congé parental.

« On a des mesures qui vont être – si je puis dire – plus favorables aux femmes et c’est légitime. Par exemple le fait qu’on prend en compte les trimestres de congé parental qui sont souvent aujourd’hui plutôt assurés par des femmes », se félicitait le ministre des Transports, Clément Beaune, sur France Info, mardi. Deux jours avant, Olivier Dussopt, le ministre du Travail, avait eu une formulation un peu plus alambiquée dans son interview au Journal du Dimanche : « certains trimestres de congés parentaux, aujourd’hui partiellement pris en compte dans les droits à la retraite, compteront désormais pour les départs en carrières longues et dans le calcul de la retraite minimale »,

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer à l’écoute des ministres et membres de la majorité, il ne s’agira pas d’intégrer dans le calcul tout ou partie des trimestres acquis au régime général pendant le congé parental. Car c’est uniquement un dispositif spécifique qui va être pris en compte. « Concrètement, est prévue la prise en compte, dans la limite de quatre, des trimestres acquis au titre de l’assurance vieillesse du parent au foyer (AVPF) au titre des trimestres réputés cotisés subordonnant l’éligibilité au dispositif de retraite anticipée pour les carrières longues », peut-on ainsi lire dans l’étude d’impact du projet de réforme.

Eligibilité très marginale
L’AVPF concerne des personnes qui ont réduit leur activité voire qui ont arrêté de travailler pour élever leurs enfants ou s’occuper d’un enfant ou d’un proche handicapé. Dans la première situation, un plafond de ressources est pris en compte. C’est la CAF qui décide ou non d’affilier le bénéficiaire à l’AVPF. « Pour ces personnes, les périodes d’inactivité professionnelle sont alors assimilées à des périodes d’activité. Elles accumulent des droits sans payer de cotisation. C’est la Caisse nationale des allocations familiales qui prend en charge ces années, sur la base du smic, et verse les cotisations correspondantes à la Caisse nationale d’assurance vieillesse », précise le site vie-publique.fr.

D’après l’étude d’impact, l’intégration de ces quatre trimestres AVPF devrait permettre une augmentation de 5 % du nombre de femmes éligibles au dispositif des carrières longues. « Parmi la génération 1966, 2 000 à 3 000 femmes pourront ainsi bénéficier [d’un départ à la retraite anticipé] alors qu’elles n’y auraient pas été éligibles en l’absence de cette mesure (contre 200 hommes) », peut-on lire. Ce qui reste très marginal par rapport aux plus de 340 000 nouvelles pensionnées chaque année.

A noter également que la réforme prévoit la prise en compte de ces mêmes trimestres AVPF dans le calcul du minimum contributif majoré, le « deuxième » étage du minimum contributif, ce dispositif permettant d’augmenter les plus petites pensions.