Les retraites

Libération - Réforme des retraites : un peu plus de sérieux !

Février 2020, par Info santé sécu social

Par Lilian Alemagna — 11 février 2020

L’obstruction parlementaire des députés de gauche aura au moins atteint un objectif : révéler que gouvernement et majorité veulent faire évoluer la valeur des points du futur système universel sur un indicateur statistique qui... n’existe pas.

On a envie de leur demander pourquoi. Pourquoi le gouvernement et la majorité ont-ils martelé pendant des mois et des mois que les « euros cotisés » dans le futur système universel de retraite seront indexés sur les « salaires » et non plus – comme aujourd’hui – sur les prix, pour à la fin inventer une « évolution annuelle du revenu moyen par tête » dans le projet de loi ? Pourquoi continuer ensuite à s’embourber en précisant en commission spéciale à l’Assemblée via un amendement des rapporteurs – qui semblaient découvrir ce changement n’ayant rien de mineur – qu’il s’agit des « revenus d’activité » pour ne pas y intégrer, par exemple, les revenus du capital ? Et pourquoi faire voter ensuite cette nouvelle indexation des futurs points du système universel sur un indicateur qui, de l’aveu même du secrétaire d’Etat, Laurent Pietraszewski, reste « à créer » et dont, dit le texte, les « modalités de calcul [seront] déterminées par décret en Conseil d’Etat » ?

Chemin chaotique
Le gouvernement et sa majorité peuvent bien expliquer que la création d’un tel « indicateur » permettra de « prendre en compte » à la fois l’évolution des salaires dans le privé mais aussi celui des fonctionnaires et des « revenus » des indépendants, tous concernés par le futur régime. Il peut aussi pointer que les revenus de ces mêmes indépendants grimpent plus vite que les salaires et, donc, que ce futur « agrégat » devrait être « plus dynamique » que l’inflation. On peut l’entendre. Mais comment peut-on imaginer faire voter un élément aussi central du futur système universel – la revalorisation dans le temps des points acquis – tout en admettant aujourd’hui que l’indicateur… « n’existe pas » ? Ce n’est pas sérieux.

Une fois de plus, sur le chemin chaotique de cette réforme, ce manque de clarté gouvernementale alimente les procès en « entourloupes », en « flou », en « loups » et en « impréparation ». Des critiques portées d’abord par les oppositions mais que l’avis sévère du Conseil d’Etat est venu consolider. En fin de semaine dernière, insoumis, communistes, socialistes et membres de Les Républicains ont pris un plaisir certain, en commission spéciale, à ferrer la majorité et le gouvernement sur ce passage du projet de loi, certes très technique, mais explosif sur le plan politique. Car l’exécutif et sa majorité sont dans l’incapacité d’expliquer ce que contiendrait cette nouvelle statistique du « revenu d’activité moyen par tête ». Et qu’ils sont capables d’affirmer qu’il serait « créé » par l’Insee avant d’expliquer ensuite qu’il le serait « par le Conseil d’Etat ». On pourrait pourtant comprendre en lisant cet article 9 du projet de loi que ce revenu moyen sera instauré par le gouvernement puisqu’il s’agit d’un « décret ».

Belle bataille
Tout ça ne fait décidément pas sérieux. Et, au vu des réponses lacunaires et vagues apportées en commission spéciale, le risque est grand pour ce gouvernement et sa majorité de perdre, après la bataille de l’opinion, celle du Parlement. Les piliers de l’exécutif avaient promis de « rassurer » avec le texte de loi. C’est le contraire qui s’annonce… On pourra reprocher aux innombrables amendements de l’opposition, en grande majorité déposés par les députés insoumis, d’avoir empêché la commission spéciale d’aller à son terme, privant les parlementaires de discussions sur le fond. Mais en levant ce lièvre sur un « revenu moyen par tête » qui « n’existe pas », les députés de gauche ont aussi préparé une belle bataille pour la séance publique qui débute lundi prochain dans l’hémicycle. Ils ont aussi offert des arguments aux socialistes, qui ont lancé une commission d’enquête parlementaire inédite sur « l’étude d’impact » de la réforme des retraites, des arguments supplémentaires pour faire « dérailler » cette réforme. Et si cela ne survenait pas à l’Assemblée, où les marcheurs restent majoritaires, rendez-vous est d’ores et déjà pris avec le Conseil constitutionnel.

Lilian Alemagna