Les retraites

Libération - Retraite à 65 ans : trois ans de repos perdus pour 9 milliards d’euros, vraiment ?

Mars 2022, par Info santé sécu social

La grande réforme promise par Emmanuel Macron en cas de réélection doit permettre une économie budgétaire dérisoire en regard de l’impact sur la vie quotidienne des gens.

publié le 21 mars 2022

On connaît désormais le programme d’Emmanuel Macron en cas de réélection. On sait maintenant ce qui constituerait sa grande réforme lors d’un éventuel second quinquennat : le décalage de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans. La promesse est très sensible politiquement, susceptible de fédérer des oppositions nombreuses, motivées et disparates, parce qu’elle a un impact direct et concret sur la vie de chaque individu. Il s’agit, ni plus ni moins, de dérober trois années de repos et de temps libre aux travailleurs et salariés, à une période de leurs existences où, compte tenu des risques que fait peser le vieillissement sur la santé, une année passée en forme compte double – au moins. C’est dire si, pour le chef de l’Etat, l’avantage à tirer d’une si périlleuse réforme à mener doit être extraordinaire.

Record hallucinant de profits du CAC40
Or, depuis la présentation du projet d’Emmanuel Macron, on est frappés – consternés, plutôt – par la petitesse du bénéfice ambitionné, eu égard à l’effet immense de la mesure sur la vie quotidienne des gens. L’équipe du président de la République estime que le passage à 65 ans, y compris la revalorisation du minimum retraite, permettrait une économie annuelle de… 9 milliards d’euros d’ici 2027. Et même 11 à 12 milliards sur le long terme, selon une précision faite à l’institut Montaigne. Le club d’idées patronal a fait en parallèle ses propres calculs : toujours ravi de voir l’Etat se serrer la ceinture, il prédit, avec cette décision, une coupe dans les dépenses publiques de 7,7 milliards d’euros au terme du prochain quinquennat. Au-delà, l’institut Montaigne espère en revanche beaucoup plus, tablant sur une économie annuelle de 18 milliards d’euros en 2032.

Puisqu’une campagne présidentielle est affaire de choix de société, on s’autorise à poser une question que les fanatiques des équilibres budgétaires trouveront sans doute naïve : le gain de 7,9 ou 12 milliards d’euros mérite-t-il que l’on sacrifie trois années de repos au soir de nos vies ? De notre point de vue, la réponse est évidemment non. Et la chose nous semble d’autant plus évidente depuis que la crise liée au Covid-19 nous a fait changer d’ère macroéconomique, bouleversant les ordres de grandeur financiers auxquels nous étions habitués. Un milliard d’euros d’argent public pèse moins lourd en 2022 qu’en 2017, a fortiori quand le déficit de l’Etat (170 milliards d’euros fin décembre) a été creusé pendant deux ans sans que la France vacille – alors que les obsédés de la dette nous ont longtemps menacés du contraire.

Misérable poussière
Le « quoi qu’il en coûte », sorte de giga-plan de relance imposé, n’a pas seulement soutenu l’activité, il l’a fait prospérer. En témoigne, entre autres indicateurs, le record, hallucinant, de profits dégagés par le CAC40 l’an dernier : 160 milliards d’euros. Rapportées à ce chiffre, les économies induites par la réforme des retraites maintenant promue par Emmanuel Macron ont des allures de misérable poussière. On pourrait aussi évoquer les 70 milliards d’euros distribués par le CAC40 à ses détenteurs de capital l’an dernier, dont une bonne partie en « rachats d’actions », ces combines financières qui consomment le cash des entreprises et n’ont pas d’effet réel sur l’activité économique. En regard de ces opérations spéculatives, même le versement des dividendes semble être une action vertueuse. Ceux qui se grattent la tête en se demandant comment financer le modèle social français, et son généreux système de retraite, feraient bien de se pencher sur le gisement croissant des rachats d’actions.

Dans le programme même d’Emmanuel Macron, d’autres chiffres permettent de relativiser la portée de la réforme des retraites envisagée par l’Elysée. C’est notamment le cas de la suppression annoncée, et étonnamment peu commentée, de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), petite taxe assise sur le chiffre d’affaires des sociétés et affectée aux collectivités locales, qui avait déjà été réduite de moitié début 2021. Si la disparition de la CVAE est entérinée lors de la prochaine loi de finances, les ressources publiques récurrentes auront ainsi été amputées entre 2021 et 2023, au bénéfice des entreprises, de 15 milliards d’euros. C’est plus que ce que le candidat Macron espère récupérer en privant ses concitoyens de trois ans d’oisiveté. Qui veut signer pour ce choix de société ?