Réforme retraites 2023

Libération - Retraites des femmes : si on parlait vraiment d’égalité ?

Janvier 2023, par Info santé sécu social

TRIBUNE

Si les femmes ont des pensions plus faibles, c’est notamment parce que leurs carrières sont en moyenne plus courtes et incomplètes. La France se distingue par un taux d’emploi des femmes particulièrement bas, or, des solutions existent pour y remédier et accroître le financement du système des retraites.

par Christiane Marty, membre du conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic

publié le 27 janvier 2023

La pension moyenne de droit direct des femmes est inférieure de 40% à celle des hommes ou, formulé autrement, la pension des hommes est supérieure de 67% à celle des femmes ! Tout recul de l’âge de départ et tout nouvel allongement de la durée de cotisation pénaliseront davantage les femmes, ce que le ministre Franck Riester a d’ailleurs admis et qui contraste avec les tromperies du discours officiel. Devant son incapacité à convaincre l’opinion, le gouvernement met le projecteur sur des mesures insignifiantes et cosmétiques, censées améliorer la pension de quelques femmes.

Prenons un exemple. Parmi les quelques mesures réputées être favorables aux femmes, le dossier de presse du 10 janvier notait que le congé parental serait pris en compte dans le dispositif « carrières longues », dans la limite d’un an. Cela permettrait à 3 000 femmes de partir plus tôt à la retraite. L’étude d’impact du 23 janvier revoit déjà les chiffres à la baisse : « 2 000 femmes pourront partir jusqu’à un an plus tôt. » Nous n’avons aucun moyen de vérifier ces données. Mais une femme qui partirait ne serait-ce qu’un trimestre plus tôt fait partie de ces 2 000 « bénéficiaires ». En comparaison, combien d’autres, sur les 400 000 femmes qui liquident chaque année leur retraite, devront attendre deux ans de plus dans une situation de précarité, car « ni en emploi ni en retraite », avec peu de revenus ? Pour rappel, sur la génération 1950, c’était 37% des femmes (soit environ 160 000) et 28% des hommes qui étaient dans ce cas !

Une double pénalisation
Si les femmes ont en moyenne des pensions plus faibles, c’est une conséquence des inégalités dans l’emploi : leurs salaires sont plus faibles et leurs carrières plus courtes. Mais c’est aussi parce que le calcul de la pension défavorise les carrières incomplètes, notamment (mais pas seulement) avec la décote qui constitue une double pénalisation : ce qui a été officiellement reconnu dans le rapport Delevoye de 2019. Une mesure élémentaire pour les femmes serait déjà de la supprimer.

Au-delà, rendre le système plus juste pour les femmes implique d’agir non seulement pour l’égalité salariale mais aussi pour l’égalité d’accès à un emploi. Ce qui est complètement occulté dans les préoccupations gouvernementales comme dans le débat public. Le gouvernement souligne la baisse du ratio actifs sur retraités… pour justifier la nécessité d’augmenter l’emploi des seuls séniors, en rappelant que leur taux d’emploi est plus faible en France que dans les autres pays. Or pour s’en tenir aux comparaisons, la France ne se situe qu’au 25e rang des 38 pays de l’OCDE en ce qui concerne le taux d’emploi des femmes. Dans la tranche des 25-54 ans, le taux d’activité féminin est ainsi inférieur de 8 points à celui des hommes (84% contre 92%). Cet écart important résulte de divers obstacles que les femmes rencontrent pour accéder ou se maintenir en emploi. Or il est pérennisé tel quel jusqu’en 2070 dans les projections du Conseil d’orientation des retraites comme de l’Insee, traduisant soit le renoncement à tout progrès vers l’égalité soit une résistance à ce progrès relevant de l’idéologie conservatrice en matière d’emploi des femmes.

Pour poursuivre sur le registre des comparaisons, de nombreuses personnes arrivent à 60 ans, et même avant, usées par leur travail et n’aspirent qu’à prendre une retraite méritée avant de voir leur santé encore dégradée ; les employeurs continuent de se débarrasser des séniors ; alors que, de leur côté, de très nombreuses femmes souhaiteraient travailler plus mais sont contraintes de se retirer de l’emploi ou de passer à temps partiel soit lors de la naissance d’un enfant par manque de places en crèches soit pour s’occuper d’un proche dépendant par manque de services auprès de ces personnes. Car les rôles sociaux qui attribuent aux femmes la responsabilité de la prise en charge des enfants et des soins à autrui sont encore persistants.

Des propositions créatrices d’emplois utiles
Depuis plus de trente ans, les femmes sortent plus diplômées de l’enseignement que les hommes, mais l’égalité sur les salaires et les retraites ne progresse plus, ou très peu. Pourtant, des politiques volontaristes seraient en mesure d’agir pour contrer ces inégalités : depuis des mesures de formation à l’égalité à tous les niveaux (le programme « ABCD de l’égalité » qui ambitionnait cette sensibilisation à l’école a été retiré en 2014 sous la pression de la droite conservatrice et religieuse) ; la modification du congé parental et paternel pour inciter le père ou second parent à s’investir auprès des enfants dès leur naissance ; le développement de services de qualité pour les personnes en perte d’autonomie, et de places de crèche (la moitié des enfants de moins de 3 ans, soit près d’un million, ne trouvent pas de places d’accueil) ; la revalorisation des métiers à dominante féminine sous-rémunérés ; jusqu’à la remise à plat du dispositif de quotient conjugal dans l’impôt sur le revenu, qui est reconnu comme un frein à l’activité des femmes. Ces propositions sont créatrices d’emplois utiles.

Le scénario de rattrapage de l’activité féminine prendra certes un peu de temps mais il n’a rien d’utopique. En plus d’être une exigence démocratique, l’égalité des femmes et des hommes en matière d’emploi comme de salaires serait très bénéfique pour le financement des retraites. Pour donner une idée de ce potentiel, si l’an dernier le taux d’activité des femmes avait été égal à celui des hommes dans la tranche 25-54 ans, ce sont 1,1 million de femmes supplémentaires qui auraient été actives. En faisant l’hypothèse que ces femmes gagnent le salaire moyen, le gain de cotisations supplémentaires pour les caisses de retraite aurait été de 10 milliards d’euros. Comparable donc au déficit invoqué pour justifier la réforme. De même, une évaluation globale de l’égalisation de l’ensemble des salaires des femmes conduit à un gain relatif sur le volume des cotisations de 12,4% soit environ 33 milliards.

Les solutions pour faire une réforme plus juste pour les femmes et améliorer le financement existent : elles tournent le dos à ce qui est aujourd’hui envisagé.