Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Scoop à l’IHU Marseille : on peut être infecté au Covid même si on est vacciné

Mai 2021, par Info santé sécu social

Journal d’épidémie, par Christian Lehmann
Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour « Libération », il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus.

par Christian Lehmann, médecin et écrivain

Dans la série des grands aphorismes de la pandémie, après « cousez des masques », « vivez la fenêtre ouverte », et le trop méconnu « votre nez fait partie de votre système respiratoire », permettez-moi d’introduire aujourd’hui le petit dernier : « Le vaccin n’est pas un préservatif ».

Je sais. Ça semble un peu étrange au départ comme remarque, mais quand je vois un immense mandarin de la puissance intellectuelle et de la renommée internationale de Didier Raoult expliquer dans une vidéo YouTube intitulée « Effet des vaccins et corruption » que l’IHU-Marseille a reçu 46 personnes vaccinées ayant un Covid, et que même s’il n’a pas fait de statistiques, cela signifie que le vaccin favorise l’infection (scoop qu’il se désole de n’avoir pu partager jusqu’ici à la tête de l’Etat), je me dis que rappeler quelques notions de base niveau externe de première année peut-être utile :

« Nous avons maintenant un nombre de gens qui est significatif, on a 46 patients qui ont fait un Covid dans la semaine qui a suivi l’injection. La chance si on vous vaccine pas que vous ayez dans la semaine un Covid est moins importante que si on vous vaccine, et ça c’est une chose qui n’a pas été décrite… C’est très frappant… Est-ce que c’étaient des porteurs asymptomatiques chez qui la vaccination a déclenché une réaction qui fait qu’ils sont devenus symptomatiques ? C’est une vraie question… C’est un phénomène nouveau, j’ai essayé d’en prévenir les différentes autorités, j’ai pas réussi à le faire pour l’instant. Il y a un véritable phénomène qui est là dont il faut tenir compte. »

Sur cela, au moins, nous sommes d’accord : « Il y a un véritable phénomène dont il faut tenir compte. » Quinze jours après avoir reçu une première dose de vaccin à ARNm (Pfizer ou Moderna), votre système immunitaire a créé suffisamment d’anticorps pour que vous soyez partiellement protégé si vous croisez la route du coronavirus. Pour parler clairement : si vous êtes infecté. Car oui, breaking news apparemment à Marseille : « Le vaccin n’est pas un préservatif. » Le vaccin n’est pas une capote en latex sur lequel le coronavirus vient rebondir comme sur un trampoline, ni un système de bouclier laser qui tire à vue sur tout virus spiculé ayant l’outrecuidance de passer outre les mesures barrières et de s’approcher de votre auguste personne. Donc vous pouvez être infecté par le coronavirus. Avant d’être vacciné. Le jour où vous êtes vacciné. Trois jours après avoir été vacciné, quinze jours ou six mois après avoir été vacciné, et (scoop) ce ne sera pas un échec vaccinal, ni le signe que le vaccin aura déclenché l’infection. Mais je m’avance, revenons à ma démonstration de base : quinze jours après la première dose, si le virus pénètre dans votre organisme, il fera face à une première ligne de défense d’anticorps spécifiques qui le reconnaîtront, le combattront efficacement, et diminueront partiellement l’intensité de l’infection.

La présence des anticorps peut entraîner une forme asymptomatique
Si cette infection survient quinze jours après la seconde injection, les choses sont encore plus simples : dans l’immense majorité des cas, les anticorps sont présents en quantité suffisante pour vous éviter de faire une forme grave de la maladie. Vous pouvez être infecté de manière totalement asymptomatique (et donc ne pas vous en rendre compte) ou peu symptomatique (un peu de fièvre, un rhume, une perte transitoire d’odorat). Mais vous ne risquez plus de devoir être hospitalisé ou en réanimation, ce qui convenez-le est plutôt une excellente chose.

Quid de la transmission éventuelle de cette infection ? Nous avons vu que la présence des anticorps peut entraîner une forme asymptomatique. N’étant pas conscient d’être malade, vous ne vous isolerez pas pendant les heures ou jours où le virus est présent dans votre corps, et courez le risque d’infecter un proche. Une étude réalisée en Angleterre et publiée courant mai nous donne la réponse. Des professionnels de santé travaillant en unité Covid et donc particulièrement exposés réalisaient des tests PCR régulièrement pour connaître leur statut (tous les trois jours, de mémoire). Parmi eux, certains ont été infectés. Ceux qui avaient été vaccinés une première fois par vaccin ARNm depuis plus de quinze jours avaient 50 % de risque en moins d’infecter un membre de leur famille. Autrement dit : une seule dose de vaccin ARNm diminue après deux semaines la transmission de moitié. Et cette transmission s’effondre, sans devenir complètement nulle, quinze jours après la seconde dose de vaccin ARNm.

Une récente étude française d’Epi-phare réalisée par l’équipe de l’épidémiologiste Mahmoud Zureik a révélé qu’en France, sept jours après une seconde dose de vaccin ARNm, le risque d’hospitalisation pour les patients de plus de 75 ans diminue de près de 90 %. Et ceci alors que l’organisme humain est victime d’immunosénescence et que donc l’efficacité vaccinale a tendance à diminuer avec l’âge (ce qui est l’un des problèmes de la vaccination antigrippale puisque les patients pour lesquels la vaccination serait le plus utile… sont aussi ceux chez qui elle est hélas moins efficace). Avec le recul, j’aurais préféré que cette étude permettre de connaître la diminution des formes graves à quinze jours de la seconde injection, mais nul doute qu’une étude de ce type est en cours.

« Beaucoup de gens se mettent à faire de la science, mais la science, c’est un métier »
Voir donc Didier Raoult expliquer doctement que l’IHU a reçu 46 personnes vaccinées une deuxième fois depuis moins de sept jours et présentant un Covid, et que ceci pose la question de la responsabilité de la vaccination dans le déclenchement de l’infection, est particulièrement lunaire. Parce que la maladie « qui tue trois Chinois » et a fait « moins de morts que les accidents de trottinette » a une durée d’incubation de cinq à sept jours, ce qui signifie donc simplement que les patients avaient été infectés avant la seconde dose. Et que, de toute façon, le vaccin n’étant pas un préservatif, il n’est pas anormal d’être infecté par le coronavirus en étant vacciné. Le vaccin n’empêche pas la pénétration du virus dans l’organisme, il freine sa réplication et évite les formes graves, et en prime il diminue le risque de le transmettre à un tiers (je sais que je me répète, mais puisque notre plus immense expert international dont tout le monde jalouse l’immense parcours a du mal avec ce concept, je préfère répéter). En l’absence de toute étude statistique, qui plus est, ces 46 personnes vaccinées se présentant à l’IHU (sur combien de personnes vaccinées dans la région ne se présentant PAS à l’IHU ?) n’ont d’autre valeur informative que de réaliser qu’il existe encore dans le monde des gens qui pensent qu’une hospitalisation de jour à 1264 euros pour se faire prescrire de l’hydroxychloroquine est une bonne idée.

Cette dernière vidéo de Didier Raoult, reprise sur tous les sites complotistes, aura peut-être au moins le mérite de mesurer la dérive de celui qui après avoir nié la dangerosité du « coronavirus chinois », promu un traitement inefficace, nié la contamination respiratoire, la possibilité d’une seconde vague ou l’utilité d’un vaccin, annonce maintenant que le vaccin déclenche le Covid. Laissons-lui donc le mot de la fin, tiré de cette vidéo qui fera date : « Beaucoup de gens se mettent à faire de la science, mais la science, c’est un métier. »