Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Seconde vague de Covid : l’hôpital est « encore moins prêt qu’en mars »

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Par Nathalie Raulin — 17 septembre 2020

L’hôpital public peut-il surmonter une seconde vague Covid ? Rien n’est moins sûr de l’avis des praticiens au vu du manque criant d’infirmières, et pas sans dégâts collatéraux majeurs. Singulièrement dans les régions durement touchées par le pic du printemps.

« Prêts ? On l’est sans doute moins qu’avant la déferlante de mars », estime Sophie Crozier, tête d’affiche du collectif Inter-Hôpitaux et, à ce titre, réceptacle des inquiétudes croissantes de ses collègues. C’est que les établissements manquent de troupes. Chronique avant la crise sanitaire, l’insuffisance de personnel paramédical est désormais critique. Dans son dernier ouvrage, l’Enigme du nénuphar (Stock), le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, l’a rappelé : « Nous sommes rentrés dans la crise dans les pires conditions : le nombre de postes vacants d’infirmières mais aussi d’autres professions clés comme les manipulateurs radio n’avait jamais été aussi élevé, avec près de 1 000 postes vacants et 10 % de nos lits de soins critiques fermés faute de personnel ! » Or, de l’avis de nombre d’hospitaliers, loin de se résorber, le problème s’est aggravé.

Marée

« Au pôle neurologie de la Pitié-Salpêtrière, la moitié des lits sont actuellement fermés, contre un tiers avant la crise de mars », relève Sophie Crozier. Gériatre à l’hôpital Paul-Brousse, chef de service des soins de suite et de réadaptation Alzheimer, Christophe Trivalle lui fait écho : « Il nous manquait 20 infirmières en salle avant la crise, il en manque 30 aujourd’hui. » A l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, même constat : « Sur 190 lits, j’ai dû signer tout l’été des bordereaux pour en fermer 50, faute de soignants présents », se désole le professeur Jean-Luc Jouve, chef du service pédiatrie de la Timone. Selon la Fédération hospitalière de France, il y avait, avant la crise, 25 % à 30 % de postes paramédicaux vacants. « Le tableau n’a pas beaucoup changé, admet son président Frédéric Valletoux. Le manque de soignants, c’est vrai à Gonesse comme à Colmar. »

Alors que la marée Covid remonte, l’inquiétude gagne toutes les strates des hôpitaux. « Comme le virus circule activement partout, les hôpitaux franciliens ne pourront sans doute plus compter sur les renforts des médecins, internes et paramédicaux venus de région, explique le directeur général adjoint de l’AP-HP, Pierre-Emmanuel Lecerf. Nous avons un vrai enjeu de ressources humaines. »

Pour sortir de la nasse, le groupe recrute à tour de bras : 1 371 infirmières sorties de l’école ont été embauchées entre août et septembre. Insuffisant, ne serait-ce que pour assurer le fonctionnement normal de l’hôpital : « On n’a pas encore réussi à pourvoir tous les postes budgétés, même si on a bon espoir de recruter encore, admet Lecerf. A ce stade, sur 950 emplois ouverts cette année, on en a récupéré 500. Le problème, c’est que sur ces métiers de paramédicaux, on se heurte à l’absence de main-d’œuvre disponible. » Sans compter que le flux continu de départs (retraite, formation, mobilité ou démission) tire la jauge à la baisse. L’accord du 20 juillet entre le gouvernement et les syndicats pour redynamiser les salaires et les carrières a ouvert des perspectives, notamment en matière de recours aux heures supplémentaires. « Sur ce sujet, les discussions avec les syndicats ont commencé sans attendre les écrits du gouvernement, indique Pierre-Emmanuel Lecerf. Pour le moment il n’y a pas de refus d’obstacle. » Un peu tard en cas d’afflux de patients.

« Pertes de chance »
Pour colmater les brèches, l’AP-HP fait feu de tout bois. Une cellule a été chargée de mobiliser le vivier des candidats aux vacations ou remplacements. Priorité est aussi donnée à la fidélisation du personnel. « Notre sujet majeur en ce moment, c’est la mise en place, dès cette semaine, d’un centre de dépistage et d’un dispositif de garde pour les enfants des soignants en cas de problématique de classes fermées pour Covid », précise Lecerf.

Tout est fait pour éviter d’en arriver à la mesure extrême du printemps : la déprogrammation massive des interventions chirurgicales non liées au Covid. Soit l’arme ultime pour libérer des lits de réanimation et redéployer du personnel en interne. « On commence à mesurer les dégâts de cette stratégie, alerte Sophie Crozier. Le résultat, ce sont des cancers pris avec retard, des maladies chroniques qui se sont aggravées, des pertes de chance à la pelle. On a fait du tri parce que l’on ne comptait que les morts Covid à la télé ! »

Une réticence partagée à Marseille : « On n’a pas encore rattrapé le retard d’opérations pédiatriques du printemps, insiste le professeur Jouve. Si on doit de nouveau les annuler faute de places suffisantes en réanimation, on commence à rentrer dans la perte de chance pour les enfants. Mais l’épidémie déborde de nouveau sur l’hôpital. Faute d’avoir des soignants en nombre suffisant, on pourrait ne pas avoir le choix. »