Le droit de mourir dans la dignité

Libération - Sur la fin de vie, une rentrée enfin décisive ?

Septembre 2022, par Info santé sécu social

En attendant l’avis du comité d’éthique ce mois-ci, Emmanuel Macron a fait un pas de plus vers une possible ouverture de la France vers l’euthanasie médicalisée.

par Eric Favereau

Est-on à l’aune d’une rentrée décisive autour des questions de fin de vie en France, avec en ligne de mire une éventuelle autorisation de l’euthanasie ? On serait tenté de l‘écrire, mais sur le sujet, un minimum de prudence nous oblige à constater que depuis dix ans, les pouvoirs publics hésitent, de crainte d’ouvrir un axe de tension dans la société. Et au dernier moment, ils ont pris l’habitude de dégager en touche, annonçant tantôt une conférence, voire une convention citoyenne, quand ce n’est pas un référendum.

Ce mois de septembre peut être pourtant différent. Dans quelques jours, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) va rendre son avis sur la fin de vie et l’évolution de la loi Claeys-Leonetti. Rédigé par Alain Claeys et Régis Aubry, cet avis pourrait ouvrir de nouveaux droits. Rien n’a infiltré sur les propositions du CCNE, mais il y a de fortes probabilités pour que cet instance, que préside le professeur Jean-François Delfraissy, propose de donner plus de droits aux malades en fin de vie, en particulier d’ouvrir en partie la porte à une euthanasie médicalisée, sous conditions bien sûr. Comment ? A quelles conditions ? Le comité d‘éthique sait bien que la loi actuelle ne répond pas à toutes les situations. Abordera-t-il la question du suicide assisté ? On ne sait pas encore. Pour autant, comme ce fut le cas pour l’aide à la procréation, le CCNE veut sortir de l’immobilisme. Et cela d’autant plus que cet été a été riche en déclarations en tous genres.

La dernière en date est significative. C’est Emmanuel Macron, le 2 septembre au soir, qui, lors de la remise de la décoration de Grand-Croix de la Légion d’honneur à Line Renaud, a fait un pas de plus. Le chef de l’Etat a salué par ses mots la carrière de l’artiste et ses engagements en faveur du Sidaction et de la légalisation de l’aide active à mourir : « Votre combat pour le droit à mourir dans la dignité nous oblige. Il est dicté par la bonté, l’exigence et cette intuition unique que c’est le moment de faire. Alors nous ferons », a promis ainsi le Président. Jamais il n’avait été aussi loin. Le 17 mars, lors de la présentation de son programme présidentiel, le candidat Macron avait juste proposé de confier ce débat à une convention citoyenne, avant de le soumettre au Parlement ou à référendum. Là, il s’avance beaucoup plus, ses propos faisant écho à une tribune, parue dans le JDD du 21 août, de Line Renaud et d’Olivier Falorni réclamant la « légalisation d’une aide active à mourir ».

« Les patients français se montrent déroutés »
En face, les opposants à toute modification législative donnent de la voix. Claire Fourcade, présidente de la Société française de soins palliatifs, sonne le tocsin. La Sfap est devenue un lobby très actif pour empêcher toute évolution de la loi, s’arc-boutant sur l’argument que le soignant n’a pas vocation à donner la mort. Dans une tribune parue dans le Journal du dimanche le mois dernier, elle démentait le fait que beaucoup de patients français se rendaient en Belgique pour bénéficier de l’euthanasie. « Selon le dernier rapport officiel de la commission de contrôle belge, les euthanasies de patients étrangers s’élèvent à 45 sur deux ans. Il est faux de prétendre qu’un intense “tourisme de la mort” viendrait démontrer l’“hypocrisie” de la France dénoncée par les militants de l’euthanasie », écrivait-elle.

Ces propos sont en contradiction avec ce que nous disait, au printemps, le Pr François Damas, médecin au CHR de la Citadelle à Liège, où il a ouvert une consultation de fin de vie en 2014. « Nous avons toujours beaucoup de patients venant de France et qui demandent à mourir. Ils viennent car la loi ne leur convient pas. Quelques-uns sont en phase terminale de cancer, mais la grande majorité sont des patients ayant une sclérose latérale amyotrophique [SLA, maladie de Charcot, ndlr], nous disait-il. Les patients français se montrent déroutés, car les médecins leur disent qu’ils sont là pour les accompagner, mais qu’ils ne peuvent agir que lorsqu’ils sont en phase terminale. Ces patients sont perdus. »

Blocages
Va-t-on les écouter ? Très majoritairement, la société française se montre ouverte au changement, mais les blocages restent bien souvent du coté des médecins ; plus d’une dizaine de sociétés savantes et d’organisations professionnelles se sont encore exprimées récemment pour dire leur inquiétude face aux velléités de légalisation de l’euthanasie. « Nous souhaitons que le débat tienne compte des faits et de la complexité de décisions et d’actes qui engagent la vie et la mort, et pas seulement des opinions et des émotions », écrivaient-ils. A l’inverse, en mai 2021, 300 députés de tous bords avaient demandé au Premier ministre d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi autorisant l’euthanasie. Proposition soutenue alors par la députée Yaël Braun-Pivet, devenue aujourd’hui présidente de l’Assemblée nationale.

Bref, en cette rentrée, le paysage n’a jamais été aussi dégagé pour que la France s’ouvre à une voie plus tolérante sur la fin de vie. Ne manque plus qu’une impulsion politique au plus haut niveau.