Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Tests : comment, pour qui, avec quel contrôle ?

Avril 2020, par Info santé sécu social

Par Camille Gévaudan — 19 avril 2020 à 19:36

Les modalités de la sortie du confinement dépendront en grande partie de la proportion de population ayant déjà attrapé le coronavirus. Deux types de tests sont prévus : les PCR, qui diagnostiquent les personnes infectées, et les sérologiques, qui vérifient si on est immunisé, au moins pour un temps.

Le déconfinement progressif de la France devrait commencer le 11 mai. Souci : ses modalités dépendent de certains facteurs encore inconnus, comme la mise au point d’un « traitement » et la « circulation du virus dans la population française », a prévenu le Premier ministre, Edouard Philippe. « Si une grande partie a développé le virus, ce n’est pas du tout la même chose que si c’est une petite partie. »

Le chemin déjà parcouru par le virus en France reste une information précieuse. « Les scientifiques estiment qu’environ 10 % de la population française aurait déjà été infectée par le virus », a affirmé mardi le ministre de la Santé, Olivier Véran. Ce chiffre augmente sans cesse. Où en sera-t-il dans un mois ? Il n’y a qu’une façon de le savoir : tester un maximum de monde. Mais sous le terme général de « test », on parle désormais de deux méthodes bien différentes dans leur principe, leurs cibles et leur usage.

Les tests que l’on pratique actuellement sur les personnes présentant des symptômes consistent à détecter la présence du virus dans leur corps. On récolte quelques cellules de la muqueuse nasale en introduisant profondément un écouvillon (un long coton-tige) dans les narines du patient. Puis on envoie l’échantillon en laboratoire où on l’analyse par une méthode appelée RT-PCR, pour « reverse transcription - réaction en chaîne par polymérase ». En gros, on extrait l’acide ribonucléique (ARN) du virus (son matériel génétique), puis on force l’ARN à se multiplier en des millions d’exemplaires dans l’échantillon pour qu’il devienne facile à détecter et à étudier. Si la multiplication fonctionne, c’est que l’ARN viral était bien présent, et le patient porteur du virus. S’il ne se passe rien, le patient n’est pas infecté au moment du test.

Ces tests PCR permettent de distinguer parmi les malades présentant des symptômes sévères ceux qui sont atteints du Covid-19 de ceux qui souffrent d’une autre affection. De leur résultat dépendent la prise en charge médicale des malades, leurs soins et les mesures de protection pour éviter la contagion. A la fin du confinement, ils devront être poursuivis en quantité massive pour repérer rapidement toute personne infectée. L’idée étant de garder confinés seulement les malades du Covid-19, et de libérer les autres Français.

Les capacités de dépistage dans l’Hexagone sont en train d’être multipliées, grâce à une production boostée et une organisation optimisée. « La France a passé une commande pour 5 millions de tests rapides », annonçait le 28 mars Olivier Véran. Ils « permettront d’augmenter nos capacités de dépistage de l’ordre de 30 000 tests supplémentaires par jour au mois d’avril, 60 000 au mois de mai et plus de 100 000 par jour au mois de juin ». Cette montée en régime est également possible grâce à l’utilisation de machines installées dans les laboratoires capables d’analyser des dizaines d’échantillons en même temps.

On pratiquera donc au mieux 3 millions de tests par mois à partir de juin. Insuffisant pour tester tout le monde, mais ce n’est pas le but. « Il n’y a pas un objectif de proportion de la population testée, mais un objectif de rythme, pour qu’on puisse être en capacité de tester toutes les personnes qui ont des symptômes », nous explique la Direction générale de la santé (DGS).

« technique pas très compliquée »
D’ici au 11 mai, un autre type de tests devra être généralisé massivement : les tests sérologiques, déjà pratiqués en Corée du Sud et en Chine, qui permettent de vérifier si une personne a déjà été infectée par le virus. Il faut en effet qu’une bonne partie de la population (environ 60 %) soit immunisée pour qu’elle puisse retrouver sa liberté de circuler sans déclencher une deuxième vague d’infection.

Mais comment savoir combien de Français ont déjà attrapé le virus quand viendra l’heure du déconfinement ? Parmi les anciens malades, seuls les cas les plus graves et les personnes les plus fragiles auront été testés en PCR. Des milliers d’autres n’auront jamais su s’ils ont eu une mauvaise grippe ou le Covid-19, sans compter tous les porteurs asymptomatiques du virus, qui l’ont hébergé à leur insu.

Heureusement, le virus laisse des traces dans le corps humain : le système immunitaire se défend et développe des protéines, les anticorps, spécifiquement conçues pour identifier et neutraliser le Sars-CoV-2. En cherchant ces anticorps, on peut donc savoir si une personne a déjà attrapé le virus et se faire une idée de la part de la population immunisée. Il y en a deux types : les immunoglobulines M (IgM) sont une première réponse produite par l’organisme en réaction à un corps étranger. Elles apparaissent rapidement mais sont peu efficaces contre le virus. En quelques semaines, leur quantité décroît à mesure qu’elles sont remplacées par les immunoglobulines G (IgG), plus spécifiques au virus et plus efficaces. Les IgG sont l’arme du système immunitaire à long terme. L’organisme en conserve une sorte de catalogue, pour pouvoir en produire rapidement de nouvelles en cas de réexposition au même virus.

« L’idée est d’aller chercher des anticorps dans le sang, expliquait fin mars le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon. C’est une technique pas très compliquée que l’on est en train de mettre en place, dans le monde et en France. Cela nous permettra de savoir, en population, si nous avons 5 %, 10 %, 50 % de la population immunisée. Et à titre individuel, c’est important de savoir que l’on a fait l’infection, et qu’on n’a donc plus de risque d’attraper le virus. » A une réserve près : on ne connaît pas encore vraiment la durée de cette immunité…

On appelle ces tests « sérologiques » car on analyse le sérum sanguin - la partie liquide du sang, hors globules rouges, blancs et plaquettes. C’est là que se trouvent les anticorps. Le test consiste à organiser la rencontre entre l’échantillon de sérum et l’antigène de la maladie recherchée (dans ce cas un morceau du coronavirus) que les éventuels anticorps peuvent reconnaître. Si ces anticorps sont bien présents, ils vont identifier l’antigène, s’y accrocher pour l’attaquer : cette réaction est mise en évidence par un changement de couleur visible à l’œil nu ou un signal fluorescent lu par une machine.

Il y a plusieurs façons de faire. D’un côté la manière classique, dite Elisa, réalisée en laboratoire. Pour la personne testée, il s’agit d’une prise de sang traditionnelle. Une autre méthode (les tests rapides d’orientation diagnostiques, ou Trod) repose sur des supports individuels, par exemple une bandelette sur laquelle on place une goutte de sang piquée au doigt. Exactement comme font les diabétiques pour surveiller leur glycémie. Ces tests à bandelettes sont commercialisés comme des kits prêts à l’emploi et répondent en quelques minutes.

Les fabricants les envoient « dans les cabinets de médecins » ou directement aux particuliers sur des plateformes de vente en ligne, rapporte l’immunologue belge Michel Goldman. Ils peuvent « même être utilisés chez soi. Si la bandelette change de couleur, vous avez les anticorps… mais c’est excessivement dangereux ! On ne peut pas faire reposer une stratégie de déconfinement sur des autotests », comme le Royaume-Uni l’a un temps envisagé.

On a beau pratiquer les tests immunologiques depuis belle lurette et parfaitement maîtriser la détection d’anticorps pour de nombreuses maladies, cela ne signifie pas qu’on est déjà prêts pour le nouveau coronavirus. Chaque anticorps est spécifique à son agent pathogène. Si un nouveau virus apparaît, le corps humain développe un nouvel anticorps, et on doit développer une méthode de sérologie qui le reconnaît à coup sûr.

Coup de tampon
Des expérimentations sont en cours, en France, à l’Institut Pasteur et dans les centres hospitaliers. Des dizaines de laboratoires privés et de start-up à travers le monde sont aussi sur le coup. Certains tests sont déclarés « en cours de développement » ; d’autres ont déjà reçu un coup de tampon des Etats-Unis pour une utilisation en urgence (FDA-Emergency Use Authorization) ou un marquage CE qui les autorise à être commercialisés légalement dans l’Union européenne, « sous l’entière responsabilité de leurs fabricants ». Les fabricants d’automates, ces machines qui permettent de réaliser de nombreux tests en parallèle, travaillent également à des tests pour le Sars-Cov-2 compatibles avec leurs machines les plus répandues dans les laboratoires. L’américain Beckman Coulter a par exemple déjà annoncé que ses automates sont prêts.

Mais c’est loin d’être suffisant, estiment les professionnels français de la santé. La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le Syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM) et le Syndicat national des médecins biologistes (SNMB) ont publié un communiqué de presse commun le 8 avril, s’alarmant que les tests sérologiques du coronavirus n’aient pas été suffisamment contrôlés. « Le marquage CE n’est en aucun cas un gage de qualité » puisqu’il n’est « que déclaratif », rappellent les professionnels. Il faudrait donc les faire valider « par les instances scientifiques françaises, dont la Haute Autorité de santé et les centres nationaux de référence » pour vérifier trois points. D’abord, la sensibilité des tests : arrivent-ils à détecter des anticorps en faible quantité ? A partir de quel stade de l’infection ? Quand l’immunité devient-elle détectable, d’ailleurs ?

Les immunoglobines G, très spécifiques au virus produites dans un second temps après l’infection, « apparaissent dans les deux à trois semaines, parfois un peu plus longtemps », selon Eric Vivier, du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy. Le président du conseil scientifique sur le Covid-19, Jean-François Delfraissy, évoque, lui, un délai de vingt-huit jours après la contamination chez les personnes asymptomatiques.

Autre question : les tests ciblent-ils précisément et uniquement les anticorps du Sars-CoV-2 ? « Une large part de la population est infectée par des coronavirus chaque année, rappelle Frédéric Tangy, chef du laboratoire Virus et Immunité de l’Institut Pasteur. Il faut être sûr que les tests repèrent bien les anticorps contre Sars-CoV-2, et pas ceux d’autres coronavirus. » Enfin : les anticorps détectés protègent-ils bien d’une réinfection par le virus ? « La vraie question est là. Aujourd’hui, nous n’avons pas la réponse », note François Blanchecotte, président du Syndicat national des biologistes. « Un défaut de sensibilité entraînera un risque important de faux négatifs alors qu’un défaut de spécificité sera lié à un risque de faux positifs », résume Pierre-Adrien Bihl, secrétaire général du Syndicat des jeunes biologistes médicaux.

Des tests sérologiques en provenance de Chine, de Corée du Sud ou de pays européens sont en cours de validation. Parmi eux, ceux de l’entreprise bretonne NG Biotech, les premiers « développés et fabriqués en France », qui seraient, capables de détecter les anticorps IgM et IgG du coronavirus sur une bandelette en quinze minutes. Ils sont en bonne voie : « Ces tests présentent une excellente spécificité, nous n’avons constaté aucun faux positif », rapporte Thierry Naas, le codirecteur du Centre national de référence de la résistance aux antibiotiques, qui évalue les tests de NG Biotech. Reste à travailler leur sensibilité : « Le jour de l’apparition des symptômes, la sensibilité est nulle, après cinq jours elle passe à 10 %, 70 % après dix jours. On dépasse 95 % de sensibilité deux semaines après l’apparition des symptômes. »

Ne pas brûler d’étapes
Pour répondre aux demandes de la Direction générale de la santé, qui réclame une campagne massive de tests, NG Biotech cherche à ouvrir très rapidement un second site de production, en renfort de son usine de Guipry (Ille-et-Vilaine). L’entreprise bretonne prévoit de fabriquer 50 000 à 70 000 tests sérologiques pour le coronavirus ce mois-ci, avec l’espoir de passer à 2 millions par mois d’ici fin 2020. Brûler cette étape de validation « serait extrêmement dangereux en termes de santé publique et contre-productif dans la stratégie immédiate de déconfinement », prévient le communiqué des syndicats médicaux. En attendant, les Agences régionales de santé, sur demande du ministère de la Santé, recommandent aux biologistes de ne pas utiliser ces tests.

L’Académie nationale de médecine propose, elle, deux axes stratégiques pour le déconfinement. D’abord, organiser une campagne de tests sérologiques « de grande ampleur » pour « évaluer la proportion de la population infectée lors de la première période de l’épidémie ». On aura ainsi une vision claire de l’immunité de la population selon les régions, même si cette seule information ne doit pas constituer « une base décisionnelle majeure pour le processus de sortie du confinement ». Elle recommande, d’autre part, que les tests sérologiques individuels, à résultat immédiat, soient réservés aux « personnes à risque élevé de forme grave [pensionnaires des Ehpad, malades atteints d’affections chroniques…, ndlr] et aux personnes exerçant les professions exposées [personnel soignant…] » pour ajuster au mieux leurs mesures de protection.