Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Un an de Covid-19 : les modélisations des scientifiques ne se sont quasiment jamais trompées

Mars 2021, par Info santé sécu social

Alors que le Conseil scientifique préconise plus de mesures de restriction, « Libération » s’est plongé dans un an de projections, de modélisations et d’avis. Le bilan penche largement en faveur des épidémiologistes.

par Olivier Monod
publié le 17 mars 2021

« Quand je relis le premier avis du Conseil scientifique, je ne vois pas grand-chose à modifier aujourd’hui », Simon Cauchemez, épidémiologiste de l’Institut Pasteur est en charge des modélisations qui nourrissent le Conseil scientifique. Un an après le début de la crise sanitaire, il se livre à l’exercice du retour d’expérience. Pour lui, le rôle premier des modèles n’est pas tant de se projeter que d’analyser les données présentes. « Depuis le début de la crise, nos estimations du taux de reproduction ou de la sévérité du Covid n’ont pas trop évolué. C’est le degré d’incertitude qui s’est réduit », détaille-t-il.

Au début de la pandémie, les simulations épidémiques ont été très écoutées par le pouvoir. Quand Emmanuel Macron annonce le premier confinement en France, le 16 mars 2020, le pays déplore seulement 149 morts. Mais les hôpitaux de trois régions saturent et un modèle de l’Imperial College de Londres prédit entre 300 000 et 500 000 morts en France si l’épidémie suit son cours naturel.

Depuis, le son de cloche a changé. La communication élyséenne présente le chef de l’Etat comme un épidémiologiste en chef, dont l’avis prévaut sur ceux des experts. A l’heure où l’épidémie flambe dans plusieurs régions, l’exécutif rechigne à confiner. Dans son dernier avis qui a fuité dans la presse, le Conseil scientifique se montre pessimiste sur la capacité de la campagne de vaccination à atténuer la tension hospitalière à court terme. Il préconise une réponse « anticipée, régionale, adaptée et ciblée ».

« Opposer la science à l’intuition comme le font certains médias sous l’impulsion du chef de l’Etat me semble un jeu dangereux et marque un vrai pas en arrière dans l’histoire de l’épidémiologie », juge Mircea T. Sofonea, épidémiologiste spécialiste des maladies infectieuses. De fait, l’analyse rétrospective des avis du Conseil scientifique et des prises de position des modélisateurs est largement à leur avantage.

Une dynamique épidémique tout de suite bien comprise
Dès le début de la crise, certaines voix se sont élevées pour dire que cette épidémie partait pour durer. Le message était simple : tant que les deux tiers de la population ne seraient pas immunisés, il était illusoire d’espérer en voir le bout. La lecture du rapport numéro 9 de l’Imperial College de Londres, publié le 16 mars 2020, apparaît aujourd’hui très prophétique. Il laisse le choix entre deux stratégies : l’atténuation de l’épidémie ou la stratégie « zéro Covid ». Les chercheurs écrivent, à propos d’une politique visant à simplement réduire les transmissions, que « l’épidémie atténuée qui en résulterait entraînerait vraisemblablement des centaines de milliers de décès et les systèmes de santé (notamment les unités de soins intensifs) seraient submergés à maintes reprises. Pour les pays en mesure d’y parvenir, la suppression est par conséquent l’option à privilégier ».

Force est de constater que les modélisateurs ont compris la dynamique globale de l’épidémie. Ils ont été capables de donner les grandes lignes de son évolution et l’effet des mesures mises en place. Ainsi, quand la France attendait fébrilement la fin de son premier confinement et que la date du 11 mai commençait à s’imposer dans le débat public, une équipe de l’université de Montpellier s’était prêtée au jeu des prédictions dans Libération. Mircea Sofonea et ses collègues affirmaient le 19 avril qu’« aux alentours du 11 mai, le nombre de décès liés au Covid-19 sera plus faible, mais l’épidémie sera toujours là avec encore plus de 1 000 patients toujours en réanimation ». Le chiffre exact sera de 2666.

Plus tard, à l’été 2020, quand quelques médecins se répandaient sur les plateaux télévisés pour annoncer la fin de l’épidémie, le Conseil scientifique considérait, dans son avis du 27 juillet, « hautement probable » l’arrivée d’une seconde vague « à l’automne ou hiver prochain », appelant les autorités sanitaires à faire preuve d’« anticipation ». Quand il annonce le deuxième confinement en octobre dernier, Emmanuel Macron n’hésite pourtant pas à affirmer, à tort : « Nous avons tous été surpris par l’accélération soudaine de l’épidémie. Tous. »

Enfin la situation de ce début d’année 2021 a elle aussi été prévue par le Conseil scientifique. En effet, dans son avis du 12 janvier, il prévoit trois scénarios possibles en fonction de la date exacte de hausse du taux de reproduction (le fameux R, qui évalue la vitesse de propagation) de l’épidémie à cause des variants. Libération a superposé ces trois scénarios et la courbe observée.

Un manque de précision regrettable
Les plus grandes polémiques autour des modélisations proviennent de deux malentendus sur ce que sont ces projections. D’une part, les modélisations dépendent toutes d’hypothèses de départ. Si ces hypothèses ne sont pas vérifiées, il est tout à fait normal que le résultat observé soit différent de celui calculé. Ainsi la France déplore aujourd’hui un peu moins de 100 000 morts, loin des 300 000 à 500 000 décès annoncés. Mais cette projection avait été établie dans l’hypothèse où rien n’était fait pour ralentir l’épidémie.

Un autre malentendu tient au fait que nous avons tendance à attendre des modèles qu’ils nous prédisent l’avenir proche, ce dont ils sont en réalité encore largement incapables. C’est un peu comme si on demandait au Groupe d’expert international sur le climat (Giec) de nous donner la météo de demain… La dynamique fine de l’épidémie dépend de trop de facteurs impossibles à prévoir comme la météo justement, mais aussi le comportement réel de la population face au risque et aux politiques mises en place.

Ainsi, en septembre 2020, l’équipe de modélisation de l’Institut Pasteur n’a pas anticipé le plateau relatif de contaminations. Simon Cauchemez estimait alors qu’il y aurait 1 000 patients Covid en réanimation au 17 octobre en Auvergne Rhône-Alpes. Au final, ce nombre atteindra 845 à la mi-novembre, après la mise en place du deuxième confinement. Le modèle ne s’était donc pas trompé de dynamique globale, il avait anticipé d’un mois la montée en charge épidémique. Le graphique ci-dessous met en regard la projection du conseil scientifique du 22 septembre pour l’Ile-de-France et la réalité de la dynamique épidémique.

Des avis pas assez suivis ?
D’un strict point de vue sanitaire, la relecture a posteriori des avis des épidémiologistes modélisateurs donne des regrets sur le manque d’écoute du gouvernement. En effet, si l’exécutif a su prendre deux fois la décision lourde de confiner pour éviter des pics épidémiques trop forts, il n’a jamais su mettre en place des « outils particulièrement efficaces pour identifier rapidement les contacts de cas » comme l’y enjoignait le Conseil scientifique le 20 avril. Selon les données de Santé publique France, parmi les nouveaux cas que l’on observe seuls 28 % d’entre eux étaient déjà identifiés comme cas contacts. Notre système de surveillance épidémique passe donc à côté de 70 % des cas. Cette défaillance a rendu impossible le maintient de l’épidémie à un taux bas.