Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - VACCINS La France veut sous-traiter pour mieux traiter

Février 2021, par Info santé sécu social

Entre retards de production des laboratoires internationaux, enlisement de Sanofi et abandon de l’Institut Pasteur, l’exécutif cherche à respecter son calendrier, quitte à confier la production de doses à des entreprises françaises.

Par Pauline Achard et Franck Bouaziz

Nécessité fait loi en ces temps de pandémie. Les retards de production de vaccins des laboratoires Pfizer et d’AstraZeneca, l’abandon pur et simple de l’Institut Pasteur et l’enlisement de Sanofi ont sérieusement bousculé les programmes de vaccination et en particulier celui de la France. D’où un mécontentement grandissant face à l’impossibilité de trouver de créneau pour une première injection dans au moins trois régions. Mardi, deux réunions se sont tenues à l’Elysée l’après-midi sur les vaccins et leur approvisionnement pour « mettre la pression » sur les labos, souligne un proche d’Emmanuel Macron. Autour de la table, le chef de l’Etat, son ministre de la Santé, Olivier Véran, et sa collègue de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher. A distance et sur leurs écrans, les représentants des principaux laboratoires pharmaceutiques. Objectif, trouver le moyen d’accroître significativement le rythme de production des doses de vaccin. Or les propres usines des grands laboratoires sont déjà au maximum de leur capacité de fabrication.

La solution passe donc par le recours à de la sous-traitance. En France, trois entreprises (Recipharm, Delpharm et Fareva) vont être mises à contribution. S’y ajoute une usine du français Sanofi, à Marcy-l’Etoile (Rhône), qui y produira son propre vaccin… lorsqu’il sera au point. Soit, vraisemblablement, pas avant la fin de l’année. Le groupe français avait signé le 18 septembre un accord avec l’Union européenne pour la fourniture de 300 millions de doses. Le 11 décembre, il était dans l’obligation de signaler qu’une « erreur de dosage » l’obligerait à décaler ses livraisons. Histoire de compenser cette fâcheuse défaillance, le même Sanofi a déjà été fermement invité par le gouvernement à fabriquer, dans son unité de Francfort, des vaccins pour le compte de Pfizer.

Rémunération secrète

Le recours à ces moyens supplémentaires a d’ailleurs immédiatement connu une traduction politique. Le chef de l’Etat a annoncé « qu’un vaccin pourrait être proposé à tous les Français adultes qui le souhaitent avant la fin de l’été ». A ce jour, le ministère de la Santé table sur un total de 78,2 millions de doses de vaccin livrées sur les six premiers mois de l’année 2021.

Le recours à des moyens de production supplémentaires en France n’est pas sans coût. Ainsi, le site du sous-traitant Recipharm, situé à Monts (Indre-et-Loire), recevra une aide publique de 30 millions d’euros pour produire le vaccin de Moderna. Celui de Delpharm, installé à Saint-Rémysur-Avre (Eure-et-Loir), une subvention de 2 millions d’euros pour assurer le mélange et la mise en flacon du vaccin de Pfizer-BioNTech. Les opérations devraient débuter courant avril. Enfin Fareva, une entreprise familiale née en Ardèche, officiera pour le compte du laboratoire allemand CureVac, toujours en attente d’une homologation européenne. Deux sites de production à Val-de-Reuil (Eure) et à Pau (Pyrénées-Atlantiques) seront mobilisés. Le PDG de Fareva, Bernard Fraisse, espère ainsi produire « une vingtaine de millions de doses en 2021 et 35 millions en 2022 ». Difficile, en revanche, de connaître la rémunération de ces sous-traitants, sachant que chaque injection de vaccin est commercialisée au prix moyen de 7 euros. La répartition des gains est à peu près aussi secrète que la formule du produit.

Où iront les doses produites dans les usines françaises ? Elles sont censées alimenter le stock européen avant d’être redistribuées aux vingt-sept Etats membres au prorata de leur population. La France a ainsi droit à 15 % des volumes commandés. La tentation ne sera-t-elle pas néanmoins grande pour le gouvernement de récupérer directement des vaccins produits sur son sol et subventionnés par ses deniers, quitte à bousculer les règles de solidarité européenne ? « Difficile de répondre de manière précise », élude-t-on du côté de l’Elysée lorsque Libération pose la question. « Il n’est pas impossible que pour des raisons logistiques, certaines doses produites en France restent en France de manière à ne pas avoir à les acheminer de l’extérieur des frontières », indique-t-on côté gouvernement. Même tonalité pour Bernard Fraisse, le PDG de Fareva : « Nous ne savons pas à qui sont destinées les doses de vaccin que nous sommes sur le point de produire, nous ne serons pas en mesure de connaître cette information tant que la production n’aura pas débuté. »

« Discussions franches avec les labos »
Dans ce rapport de force déséquilibré, pas question d’infliger la moindre pénalité aux industriels qui ont accusé, ces derniers jours, des retards conséquents de production. Et encore moins quand AstraZeneca sèche carrément une réunion convoquée par la Commission sur ses retards de production. « Nous avons des discussions franches avec les laboratoires sur ce sujet », précise-t-on simplement à l’Elysée.

Pourtant, ces laboratoires ont, dans le cadre des contrats signés avec l’UE, bénéficié de précommandes et de financements publics. En revanche, leur responsabilité pénale et financière ne saurait être engagée si des effets secondaires indésirables se manifestaient. Ce sera aux Etats d’assumer d’éventuelles indemnisations. Illustration supplémentaire de la règle selon laquelle les risques sont nationalisés quand les profits sont privatisés.