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Libération - VU DE DUBLIN 66,4% pour libéraliser l’avortement, « c’est une nouvelle Irlande »

Mai 2018, par Info santé sécu social

Par Sonia Delesalle-Stolper, Envoyée spéciale à Dublin —
26 mai 2018

Les résultats officiels confirment un raz-de-marée pour la suppression du 8e amendement de la constitution, un seul comté, sur quarante, a voté contre.

66,4% pour libéraliser l’avortement, « c’est une nouvelle Irlande »

La clameur est immense. « Yes, yes, yes, yes, yes ». Elle n’en finit plus, couvre la voix officielle qui annonce les résultats. On s’embrasse, on s’enlace, on rit et on pleure. La pluie qui s’est mise en tomber en fin d’après-midi ne gâchera pas la fête. L’Irlande vient d’entrer dans l’histoire en votant à une écrasante majorité, 66,4%, pour libéraliser l’avortement. Depuis le début de l’après-midi de samedi, l’esplanade qui s’étale devant Dublin Castle est pleine à craquer. On se communique au compte-gouttes les résultats, comtés après comtés. A 15 heures, les résultats de treize des quarante circonscriptions avaient été dépouillés et c’était déjà un « oui » emphatique. La suite du décompte a confirmé la tendance annoncée la veille au soir, dans les sondages sortie des urnes. Vers 18h20, enfin, les résultats officiels sont tombés. Et c’est bien un raz-de-marée. Les Irlandais ont résolument choisi la suppression du huitième amendement de la constitution qui, de fait, interdisait l’avortement en Irlande. Un seul comté, le Donegal, a voté contre à une courte majorité, à 51,9% contre 48,1%.

Surtout, le vote se révèle plutôt homogène, tant dans sur le plan démographique – jeunes et moins jeunes ont voté oui – que géographique ou par genre. Et c’est cette unité, l’ampleur de ce vote qui a surpris même les plus optimistes des partisans du « oui ». Le Taoiseach, le Premier ministre irlandais Leo Varadkar n’a pas hésité. Il s’agit d’une révolution. « Aujourd’hui est un jour historique. Nous sommes les témoins d’une révolution tranquille qui a démarré il y a vingt ans », a-t-il dit, alors qu’il avait reconnu avoir lui-même changé d’avis sur la question après avoir « écouté les femmes ». « Le peuple a parlé. Il veut une constitution moderne pour un pays moderne », a ajouté ce très jeune Premier ministre, 39 ans, qui est déjà entré dans l’histoire non en raison de son âge mais parce qu’il est le Premier dirigeant du gouvernement irlandais ouvertement homosexuel. Il a promis de proposer au vote des députés, très rapidement, une loi autorisant l’avortement jusqu’à 12 semaines de gestation. La loi a été élaborée par un comité multipartite. D’ailleurs, là aussi, l’unité du vote est étonnante, les partis les plus importants ont tous voté en faveur du changement.

« L’ampleur du résultat est totalement inattendue et veut dire tellement ».
Dans la foule, devant Dublin Castle, Eemer, 49 ans, a la gorge serrée. Elle était là, déjà, en 2015, pour le référendum en faveur du mariage pour tous. « C’était plus joyeux, il y avait des ballons, là, il y a un élément de tristesse quand on pense à toutes les femmes, les familles qui ont souffert. » Elle se souvient aussi de 1983 et du référendum qui a introduit le huitième amendement dans la constitution. Elle avait 15 ans. « Dans mon école, on était 90 filles et sur ce nombre, on était seulement trois à être ouvertement contre, c’était ça la pression à l’époque, tous les jours on nous disait, l’avortement est un péché, c’est mal, mal, mal ». Elle sourit. « J’étais très en colère, très en colère et homosexuelle, dans un couvent catholique. Je les accumulais ».

Kelly Phelan, 36 ans, se dit franchement « bouleversée ». « C’est un jour très important, teinté de tristesse aussi, mais l’ampleur du résultat est totalement inattendue et veut dire tellement. » Sa voix craque, elle fond en larmes. « C’est tellement significatif, ça veut dire que le pays nous fait confiance, à nous les femmes, qu’il nous soutient dans notre capacité à faire un choix. » A ses côtés, son ami Andrew Hyland, 40 ans, était directeur de campagne pour le référendum sur le mariage pour tous. « C’est le signe que l’Irlande d’aujourd’hui c’est ça, une société démocratique où hommes et femmes se font confiance, sont à égalité », dit-il. « Ce que les gens ont appris du référendum de 2015, pour le mariage homosexuel, c’est qu’il faut raconter des histoires. Le référendum de 2015 ne racontait pas seulement les histoires de couples gays, il racontait aussi celles d’une mère et de son fils, d’un frère et d’une sœur, vous devez raconter ces histoires. Et pendant cette campagne, c’est ce qui s’est passé, on a raconté des histoires intimes, emplies d’humanité, et ça a touché, ça a marché ».

« La fin de l’emprise de l’église catholique »
Pour Ali, 26 ans, ce vote marque « la fin de l’emprise de l’église catholique sur la société irlandaise. Mais de l’église en tant qu’organisation, parce que, vu le résultat, il y a pleins de catholiques qui sont allés voter oui, qui ont décidé que cette question n’avait rien à voir avec la religion ». « L’église a longtemps été une ombre sombre et menaçante sur nos vies, mais c’est fini ».

Sur Parliament Street, la chorale des « Voices for Choices » se lance dans un concert improvisé. Ce groupe de femmes, activistes, a revisité les classiques et adapté les paroles de chansons populaires à la campagne pour le oui. Elles sont hilares, s’embrassent et chantent à tue-tête. Les voitures qui passent klaxonnent. Pauline Waddell, 73 ans, secoue sa tête grise aux cheveux ras en cadence, elle danse, elle applaudit, elle pleure aussi. « Maintenant, je peux mourir heureuse ! », crie-t-elle.

A ses côtés, en larmes et un sourire béat aux lèvres, sa fille, Dee Roycroft, 46 ans, filme sa mère. « Ça a été tellement long, tellement long ». En 1983, Pauline avait fait campagne pour empêcher l’introduction du 8e amendement. « C’était une campagne vicieuse, menaçante », se souvient-elle. En 1986, un référendum pour autoriser le divorce est rejeté à 63,4%. Il ne sera autorisé qu’en 1995. Dégoûtée, Pauline a pris sa fille et quitté l’Irlande pour New York. « Je ne pouvais pas rester dans un pays si peu compatissant ». Sa fille reviendra dans les années 90, mais Pauline attendra 2005. « C’est la naissance d’une nouvelle Irlande », dit Dee. « Et l’important, c’est la marge, l’ampleur du résultat, ça change tout, si le résultat avait été serré, le pays serait resté divisé, amer, là, c’est différent, on va pouvoir commencer à cicatriser, continuer à se parler ». A ses côtés, Pauline continue à danser. « Je me sens voler, à l’intérieur, je vole, c’est une journée merveilleuse ».

Sonia Delesalle-Stolper Envoyée spéciale à Dublin