Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Vaccin : l’Inde veut aller plus vite que le Covid

Juin 2020, par Info santé sécu social

Par Sébastien Farcis, Correspondant à New Delhi — 28 juin 2020

Sans attendre les résultats des essais cliniques en cours, un laboratoire indien veut produire à la fin de l’été 50 millions de doses de sérum par mois. Tout le pays

Le 3 juin, une entreprise indienne peu connue du grand public a entamé un processus qui pourrait bientôt délivrer le monde : elle a commencé la production d’un vaccin potentiel contre le Covid-19. Celui-ci, appelé AZD1222, est développé par des chercheurs de l’université anglaise d’Oxford, en partenariat avec le laboratoire britannique AstraZeneca.

Les essais cliniques ne devraient se conclure que dans plusieurs mois, mais cette société indienne, Serum Institute of India (SII), a décidé de commencer dès à présent la production : « Nous devons prendre ce risque en ces temps de crise, sinon nous prendrons un an de retard et cela serait dramatique », confie à Libération le PDG de l’entreprise, Adar Poonawalla. SII est en train d’affiner le processus et produira quelques milliers de doses tests pendant les prochaines semaines, qui ne seront pas vendues. Et espère produire « 50 millions de doses par mois à partir d’août ou septembre ». Puis un milliard par an si le vaccin est efficace.

Serum Institute of India a les moyens de ses ambitions : cette discrète entreprise familiale quinquagénaire, basée à Pune, près de Bombay (sud-ouest), est la plus grande productrice de vaccins au monde, en volume, avec 1,5 milliard de doses par an, soit environ un vaccin sur deux vendus sur la planète. Et cette société a décidé d’attaquer le nouveau coronavirus sur plusieurs fronts : en plus de l’accord avec l’université d’Oxford, SII s’est alliée avec l’entreprise pharmaceutique américaine Codagenix. Cette dernière va développer un vaccin contre le Covid-19 et SII investira dans les essais cliniques, la production et la distribution.

La pharmacie du monde
L’entreprise indienne a également un accord avec l’autrichienne Themis Bioscience pour la recherche d’un autre vaccin qui utiliserait le virus de la rougeole comme vecteur pour injecter une protéine de Covid-19, un processus qui pourrait prendre deux ans. Enfin, SII a développé une version améliorée du vaccin du BCG, dont il est l’un des plus grands producteurs mondiaux, et mène des essais cliniques en Inde et en Allemagne pour savoir si, comme certains scientifiques l’évoquent, celui-ci permet de renforcer l’immunité et d’aider à réduire la mortalité du Covid-19. « Nous aurons les résultats de ces tests d’ici le mois d’août », affirme Adar Poonawalla. Cette formule n’empêcherait pas les infections, prévient-il, mais offrirait « une protection bon marché, à un dollar la dose ».

Pendant cette crise sanitaire, l’Inde émerge plus que jamais comme la pharmacie du monde. Le secteur pèse 35 milliards d’euros, dont la moitié grâce aux exportations. Le pays est déjà le premier producteur de l’essentiel des vaccins et des médicaments génériques, comme l’hydroxychloroquine (HCQ). L’Inde a montré son importance stratégique en avril dernier en fournissant les doses de HCQ réclamées en urgence par les Etats-Unis. Cet antipaludéen était alors perçu comme un remède au Covid-19 - ce qui a été contredit par les résultats de trois grands essais cliniques, publiés début juin. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ensuite arrêté ses recherches sur ce médicament.

L’urgence sanitaire a également réveillé les autorités indiennes, qui décuplent leurs efforts. « Cela fait soixante-dix-huit jours que je travaille sans arrêt, week-ends compris, confie Hemant Koshia, directeur de l’Autorité de régulation de l’alimentation et des médicaments (FDA) dans l’Etat du Goujarat (nord-ouest), région industrielle où est généré un tiers des revenus du secteur. En quatre-vingts jours, nous avons par exemple attribué 79 licences pour des masques et des gels hydroalcooliques. » Cette crise permet également une meilleure coordination avec les autorités fédérales, qui « ont envoyé des protocoles de soins contre le Covid-19 le dimanche à 23 heures », se souvient ce fonctionnaire régional. « Avant, New Delhi était fermé le week-end et il était difficile de trouver quelqu’un après 18 heures en semaine. »

Un accès équitable ?
Cette célérité administrative permet d’espérer avoir un vaccin bien plus tôt que prévu, assure Adar Poonawalla. « Les autorisations qui nous demandaient deux ou trois ans d’attente sont obtenues en deux ou trois jours. » Il reste à savoir qui recevra les premières doses d’un potentiel vaccin fabriqué en Inde. Pour le vaccin d’AstraZeneca, Serum Institute of India s’est engagé à fournir l’Inde et les pays du Gavi, alliance internationale qui fournit les Etats les plus pauvres. Le laboratoire britannique a également promis de fournir 333 millions de doses aux Etats-Unis et 400 millions de doses à prix coûtant d’ici à la fin de l’année aux Etats européens, mais cette production devrait être réalisée dans d’autres pays. Les ONG appellent l’OMS à intervenir pour assurer un accès équitable, pour tous les pays, au futur vaccin contre le nouveau coronavirus, au lieu d’un accaparement par les plus offrants.

S’il est produit en Inde, ce vaccin sera en tout cas plus abordable. « Les sociétés comme le Serum Institute of India produisent de grandes quantités de doses, sur lesquelles elles font moins de profits, explique Kate Elder, conseillère sur la politique de vaccins chez Médecins sans frontières. Alors que les multinationales vendent de plus petites quantités avec une plus grande marge et vendent les vaccins plus chers. » Quel que soit le pays de fabrication, MSF demande à toutes ces entreprises « une plus grande transparence pour obtenir les meilleurs prix de vaccins ».

Sébastien Farcis Correspondant à New Delhi