Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Vaccins contre le Covid-19 : comment interpréter les « taux d’efficacité » communiqués par les laboratoires ?

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par Florian Gouthière 4 décembre 2020 à

Les estimations de l’efficacité des différents vaccins, diffusées par les laboratoires par voie de communiqués de presse, ne suffisent pas à préjuger de l’intérêt relatif de ces différents produits.

Ces dernières semaines, plusieurs laboratoires ont transmis – par voie de communiqués – des données partielles sur l’efficacité des vaccins sur lesquels ils travaillent. Pour l’heure, ces différents résultats n’ont pas fait l’objet de publications scientifiques, revues par des experts indépendants.

Vous nous interrogez sur la signification du « pourcentage d’efficacité ». Que comprendre quand un laboratoire vante un vaccin « efficace à 90% » ?

Les essais réalisés portent sur un suivi de population en zone à risque, dont la moitié se voit administrer le candidat-vaccin, et l’autre une substance sans activité biologique (placebo). Les données prises en compte portent généralement sur les infections survenues au moins une semaine après la dernière injection, afin de laisser au vaccin le temps de produire une réaction immunitaire significative. A l’issue d’une période donnée, par exemple deux mois, on observe dans chaque groupe la proportion d’individus ayant développé la maladie, ou ayant été infecté par le virus.

Si la proportion de personnes ayant développé la maladie est deux fois moindre dans le groupe vacciné, on estime que son « taux d’efficacité à deux mois » est de 50%. Si la proportion d’infectés est 20 fois moindre chez les vaccinés, cela correspond à un « taux protection contre l’infection à deux mois » de 95% (1).

A titre d’exemple, l’essai de Pfizer, selon leur communiqué, a permis de vacciner « à deux doses » environ 20 000 personnes, un nombre équivalent se voyant administrer le traitement placebo. Huit cas d’infection ont été recensés dans le premier groupe contre 164 dans le second, laissant présager d’une « efficacité » voisine de 95%.

Une valeur qui ne résume pas toutes les informations pertinentes
Ce chiffre recèle néanmoins plusieurs limites. Tout d’abord concernant la forme de la maladie. Pour le Covid-19, une donnée importante a ainsi trait au « taux d’efficacité pour les formes graves ». Si le vaccin réduit la fréquence d’apparition des formes bénignes, mais pas celles des formes graves, son intérêt peut être remis en question. Autrement dit : si les rares personnes vaccinées qui développent la maladie développent des formes graves, et que la proportion de ces formes graves est identique dans le groupe « placebo », cela signifie que le traitement n’est efficace que pour les formes légères et modérées.

A titre d’exemple, la société AstraZeneca affirme que son vaccin a une efficacité de 90% s’il est administré selon le schéma « une demi-dose suivie d’une dose complète un mois plus tard », et de 62% avec « une première dose suivie d’une seconde dose un mois plus tard ». Pour les formes graves, elle avance « 100% d’efficacité ». Il faut cependant garder à l’esprit que même dans une grande cohorte, la proportion de personnes infectées pendant la durée de suivi est faible, et que le pourcentage de cas graves est lui-même faible. Aussi est-il difficile de considérer cette valeur de 100% comme une donnée définitivement acquise.

Par ailleurs, il est important de rappeler que ces différents taux d’efficacité sont une estimation qui n’a de pertinence que pour une population comparable à celle enrôlée dans l’essai thérapeutique. Pour grossir le trait : les résultats d’un essai mené sur une population d’adultes âgés de 20 à 60 ans ne peuvent pas être extrapolés à des groupes plus âgés (2). Selon les communiqués des laboratoires, toutefois, les essais thérapeutiques auraient été menés sur des cohortes assez diversifiées (âges, existence de comorbidités, etc.). Toutefois, on ignore si les taux d’efficacité sont similaires dans toutes les classes d’âge. Un vaccin qui serait moins efficace chez les populations les plus à risque n’aurait, là encore, qu’un intérêt limité.

Etre vacciné n’empêche pas nécessairement de transmettre le virus
Le taux d’efficacité d’un vaccin n’est cependant pas la seule donnée à prendre en compte pour évaluer son intérêt dans la lutte contre une épidémie. S’il reflète le fait que les personnes qui ont été vaccinées tombent moins malades que les non vaccinées, il ne nous dit pas, en effet, si le virus peut, ou non, toujours utiliser ces hôtes vaccinés pour se développer, notamment dans les voies respiratoires supérieures. Si tel était le cas, les personnes vaccinées n’auraient pas à craindre de développer la maladie, mais continueraient de contaminer autrui, et de participer ainsi à la propagation de l’épidémie. Cette hypothèse a été rappelée ces dernières semaines par plusieurs virologues et immunologistes, parmi lesquels Alain Fischer, lors de la présentation, jeudi soir, de la politique vaccinale du gouvernement. Pour l’heure, il s’agit d’une possibilité, qui n’a pas encore été dûment évaluée lors les essais thérapeutiques.

Selon l’étendue de la couverture vaccinale envisageable (la proportion de Français souhaitant être vaccinée), certains vaccins pourront être privilégiés à d’autres. Un vaccin qui ne diviserait « que » par deux le risque de développer la maladie mais casserait la chaîne de contamination pourrait, dans certaines circonstances, s’avérer plus pertinent qu’un vaccin « efficace à 90% », mais uniquement pour la personne vaccinée.

Comme le résume la Haute Autorité de santé (HAS), pour qu’une stratégie vaccinale « vise le contrôle de l’épidémie, il est nécessaire d’attendre que les études établissent la preuve que les vaccins ont une efficacité possible sur la transmission du virus et que la disponibilité des vaccins soit suffisante ».

Ces différentes considérations sur l’efficacité vaccinale, enfin, sont à mettre en regard d’autres paramètres, liés à la sûreté de chaque vaccin et à la durée de protection qu’ils confèrent.

(1) Le calcul peut s’écrire : (1 - [proportion d’infectés chez les vaccinés / proportion d’infectés dans le groupe placebo]) = taux d’efficacité sur la durée considérée, dans la population considérée.
(2) De même, on rappellera que le résultat d’un essai mené sur un nombre limité de personnes permet d’estimer un intervalle de valeurs dans lequel on s’attend à trouver le taux d’efficacité réelle en population générale. Comme dans un sondage, la valeur communiquée est assortie d’un « intervalle de confiance », entre les bornes de laquelle on estime très probable (95% de chance) de trouver le taux de protection réel pour le groupe de population étudié.

Florian Gouthière