Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Liberation.fr : Coronavirus : l’hydroxychloroquine, objet de convoitise dans les pharmacies : « J’ai déjà vu passer deux fausses ordonnances rédigées par les patients »

Mars 2020, par infosecusanté

Liberation.fr : Coronavirus : l’hydroxychloroquine, objet de convoitise dans les pharmacies : « J’ai déjà vu passer deux fausses ordonnances rédigées par les patients »

Par Béatrice Gurrey

La « molécule miracle » préconisée par le professeur Raoult est en rupture de stock, même pour les malades chroniques habituels.

La vidéo où le microbiologiste Didier Raoult assure pouvoir vaincre le Covid-19 grâce à la chloroquine, une affaire, somme toute, assez simple selon lui, a fait recette sur Internet. Les conséquences de ses déclarations dans l’opinion, appuyées sur un essai au mieux fragile, se révèlent, elles, complexes à gérer, notamment pour les pharmaciens.

L’hydroxychloroquine, la « molécule miracle » ou réputée telle, est devenue un tel objet de convoitise que les pouvoirs publics ont interdit sa vente en officine de ville − dans l’usage contre le coronavirus − par deux décrets des 25 et 27 mars.
« Je n’ai pas attendu les décrets pour bloquer la vente et je réserve le médicament aux malades chroniques qui en ont besoin pour vivre : ceux atteints de polyarthrite et de lupus [une maladie auto-immune, qui touche à 90 % les femmes] », explique au Monde Catherine Cochet, pharmacienne à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), vendredi 27 mars.

« C’est le serment d’hypocrite que vous avez prêté ? »
« Dans ces pathologies, les articulations se déforment, s’abîment, les gens perdent une hanche, un genou », ajoute la praticienne, furieuse d’avoir eu plusieurs demandes du médicament − le Plaquenil des laboratoires Sanofi − par des médecins, pour eux-mêmes. Elle les a refusées pour ne pas démunir ses patients et appliqué le principe qui la guide en toutes circonstances : tant qu’il n’y a pas de certitude que la balance bénéfice-risque est favorable, il faut s’abstenir de délivrer. A tout le monde, médecins compris.
« C’est pour ma femme, elle a une polyarthrite, a tenté l’un d’eux.
− Vous me prenez pour une idiote ? C’est le serment d’hypocrite que vous avez prêté ?, a rétorqué la pharmacienne.
− Je vais vous envoyer le conseil de l’Ordre ! », a tonné le docteur.
La tentative d’intimidation n’a guère ému Catherine Cochet, prête à s’amuser un peu si cette menace était mise à exécution. « Au fond, tout cela me déçoit terriblement, se désole surtout la pharmacienne. Peut-être que le professeur Raoult a raison, mais au lieu de perdre deux mois à faire du théâtre, il aurait pu mener une étude clinique vraiment sérieuse. Il avait le temps. »

« Un beau bazar »
Bon nombre d’études scientifiques ont été lancées : l’essai européen Discovery chapeauté par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’essai international Solidarity mené par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ou encore une étude à New York, sous le contrôle de la Food and Drug Administration, pour déterminer si l’hydroxychloroquine aura bien « l’énorme impact » qu’en escompte le président américain, Donald Trump. Mais il faut encore patienter.

En attendant, à Paris, ce pharmacien du 18e arrondissement rame : « J’ai plein de demandes et j’ai déjà vu passer deux fausses ordonnances rédigées par les patients eux-mêmes. On est très vigilants. » Il est en rupture de stock, même pour les malades chroniques habituels et le mail mis à disposition des pharmaciens par Sanofi pour les dépanner ne lui a pas permis de s’en procurer. « On peut dire que ça a fichu un beau bazar cette histoire », conclut-il.
Dans cette officine d’Ile-de-France en milieu rural, le pharmacien avait pris ses précautions. « J’avais mis des boîtes de côté pour mes patients chroniques. J’ai de quoi tenir deux mois. D’ici là, peut-être que Sanofi aura refait un peu de stock. » Il a eu plusieurs médecins au téléphone : « T’as pas une boîte pour moi ? », mais il n’a cédé à aucun.

Tout le monde n’est pas aussi vertueux et ces requêtes émanant des professionnels eux-mêmes ont sans doute contribué à la pénurie. D’autant que dans les hôpitaux, sous le contrôle des équipes dédiées, la molécule est toujours testée pour les cas graves. Selon l’un des deux principaux syndicats de pharmaciens, la demande globale aurait triplé lors de la semaine écoulée.

« Immense gâchis »
Dans une officine du Calaisis, la fille du propriétaire, étudiante en dernière année de pharmacie, a vu, samedi 21 mars, un médecin de l’Agence régionale de santé (ARS) arriver directement avec son ordonnancier sous le bras pour se procurer du Plaquenil.
« C’est un comportement exécrable, dit son père. C’est dommage qu’elle n’ait pas eu le temps de photocopier cette autoprescription ; il l’a retirée vite fait. » Il s’indigne que Christian Estrosi, le maire (Les Républicains) de Nice et fervent soutien de Didier Raoult, « s’improvise pharmacologue et raconte à la télévision qu’il a “le sentiment d’être guéri” grâce à la chloroquine ».
Les consignes de l’Ordre des pharmaciens sont, quoi qu’il en soit, sans ambiguïté : ne doivent être honorées que les ordonnances émanant de spécialistes qui prescrivent d’habitude ce médicament entré en classe II (substance vénéneuse) le 13 janvier : rhumatologues, dermatologues, néphrologues, neurologues…
A Compiègne, dans l’Oise, l’un des épicentres de l’épidémie en France, les clients posent beaucoup de questions sur la chloroquine dans cette grande pharmacie où dix personnes se tiennent en permanence derrière le comptoir, mais sans manifester l’intention d’en acheter. Dans ce département également, à Beauvais, ce pharmacien a choisi la pédagogie comme beaucoup de ses confrères : « J’explique aux patients les limites des études menées jusqu’à maintenant et je leur dis qu’il faut attendre des résultats fiables. »

Au final, domine le sentiment d’un « immense gâchis », comme le déplore un pharmacien de Montélimar (Drôme), au moment où tous devraient s’unir pour lutter contre la pandémie.