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Liberation.fr : Le Sénat se penche sur le cas du pneumologue Michel Aubier

Mars 2016, par infosecusanté

Le Sénat se penche sur le cas du pneumologue Michel Aubier

Par Coralie Schaub — 17 mars 2016

Les parlementaires auxquels le médiatique médecin a menti sous serment en avril 2015, cachant ses liens avec Total, l’ont auditionné en urgence ce jeudi. Le prochain bureau du Sénat décidera s’il convient ou non de transmettre son cas à la justice.

Le Sénat se penche sur le cas du pneumologue Michel Aubier

Après les révélations de Libération et du Canard enchaîné sur ses liens d’intérêts depuis près de vingt ans avec le pétrolier Total, le pneumologue Michel Aubier a été auditionné ce jeudi matin en urgence et à huis clos par la commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air. Auditionné par cette commission le 16 avril 2015, où il représentait l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le médecin déclarait n’avoir « aucun lien d’intérêts avec les acteurs économiques ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d’enquêtes sénatoriales et comme l’atteste le compte rendu de cette audition, le président de celle-ci, le sénateur (LR) Jean-François Husson, lui avait alors au préalable demandé de prêter serment. Puis il lui avait rappelé « pour la forme », qu’un faux témoignage devant cette commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Avant de lui demander : « Monsieur Michel Aubier, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : "Je le jure." »

Sous serment

Michel Aubier avait prêté serment. Juste avant d’affirmer, donc : « Je n’ai aucun lien d’intérêts avec les acteurs économiques. » Or il se trouve, comme l’a révélé notre enquête, que le pneumologue de l’hôpital Bichat de Paris, professeur à l’université Paris-Diderot, et chercheur à l’Inserm (entre moult autres casquettes), est aussi médecin-conseil du groupe Total « depuis 1997 ou 1998 » (comme il l’a lui-même admis à Libération lundi) et rémunéré pour cela. En plus d’être, accessoirement, membre du conseil d’administration de la Fondation Total, « depuis une dizaine d’années, et bénévolement » (selon les statuts de cette fondation d’entreprise, la plus grande de France, « les membres du Conseil d’administration ne peuvent recevoir aucune rétribution à raison des fonctions qui leur sont confiées. Des remboursements de frais sont seuls possibles. »)

Des éléments qu’il avait omis de dire aux sénateurs. Questionné par Libération, il avait répondu : « J’aurais dû le déclarer, c’est vrai, mais ça ne m’était même pas venu à l’esprit. » Avant de confesser avoir été « un peu léger en ne le disant pas au Sénat », après qu’on lui a fait remarquer qu’il s’agit a priori là d’un conflit d’intérêts majeur. D’autant que Total vend du diesel et que lui-même minimise depuis des années dans les médias les effets de ce carburant sur la santé.

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Il s’était ensuite défendu, toujours très calme et serein : « Ces activités n’influencent absolument pas mon jugement sur la pollution de l’air et le diesel. Jamais, au grand jamais, Total ne m’a demandé de le faire, ce n’est pas du tout mon rôle et je ne l’aurais pas accepté. Je vous garantis en toute transparence qu’il n’y a absolument aucun conflit d’intérêts. »

5 000 euros par mois

Ces activités annexes pour Total lui prennent « deux demi-journées par semaine », avait-il assuré à Libération, avant de refuser de donner le montant de ses émoluments. Selon nos informations, ceux-ci s’élèvent à près de 5 000 euros par mois, en plus d’avantages en nature. Ce qu’il aurait avoué aux sénateurs, ce jeudi. Michel Aubier aurait aussi admis qu’il avait parjuré, qu’il a eu tort et le regrettait.

L’audition du mandarin, qui a duré une heure, et été suivie de celle de Martin Hirsch. Le DG de l’AP-HP avait dit à Libération qu’il « n’était pas au courant » de ce lien avec Total quand il a envoyé Aubier le représenter à sa place devant cette commission d’enquête en avril 2015.

Les six sénateurs présents à l’audition d’Aubier ce jeudi matin ont « tous eu la même position, claire et unanime : hors de question de passer l’éponge, sans pour autant se transformer en justiciers », indique Jean-François Husson à Libération.

Vers une enquête judiciaire ?

Ils vont transmettre le rapport de ces auditions au président du Sénat Gérard Larcher ainsi qu’au bureau du Sénat. Lors de sa prochaine réunion, dans environ un mois, ce dernier se prononcera sur la suite à donner à l’affaire au vu de ces éléments. Et décidera s’il convient ou non de transmettre le cas de Michel Aubier à la justice. Qu’en sera-t-il ? « Je n’en sais rien, mais mon souhait, c’est qu’on n’en reste pas là », répond Jean-François Husson, qui croit savoir que ce genre de cas est « assez rare ».

Pourquoi avoir convoqué Aubier aussi vite, l’obligeant à écourter ses vacances au ski ? « Je n’ai pas voulu attendre ne serait-ce qu’une semaine, il faut traiter ces problèmes-là à chaud, c’est trop important, il y a trop de délitement des valeurs en ce moment », répond le sénateur. Michel Aubier, qui est par ailleurs aussi membre de l’Institut Servier, serait un habitué des conflits d’intérêts, comme le dénonce ce jeudi l’association Respire.
Coralie Schaub