Réforme retraites 2023

Liberation.fr : Le mensonge de Gabriel Attal et Elisabeth Borne à propos de l’impact de la réforme des retraites sur les femmes

Février 2023, par infosecusanté

Liberation.fr : Le mensonge de Gabriel Attal et Elisabeth Borne à propos de l’impact de la réforme des retraites sur les femmes

Selon l’exécutif, les femmes, qui partent aujourd’hui plus tard en retraite que les hommes, partiront plus tôt après la réforme. C’est vrai, mais cela n’a rien à voir avec le projet du gouvernement… qui risque au contraire de freiner cette tendance.

par Emma Donada

publié le 3 février 2023

Les femmes perdantes de la réforme des retraites ? C’est l’un des principaux reproches formulés contre le projet de l’exécutif. Mais il s’agirait de « fake news » répondent à l’envi les membres du gouvernement. Sur le plateau du 20 heures de TF1, mardi, Gabriel Attal a ainsi défendu le fait que la réforme permettrait aux assurées de liquider leurs droits plus tôt que les hommes. « Aujourd’hui, en moyenne, [les femmes] partent à la retraite après les hommes. Demain, après notre réforme, en moyenne, elles partiront avant », a-t-il affirmé. Des propos que le ministre délégué chargé des Comptes publics a de nouveau tenu le lendemain, presque mot pour mot, sur France Inter. Ajoutant : « C’est aussi cela l’impact de cette réforme. »

Notons que la déclaration apparaît d’abord quelque peu contradictoire avec celle de la Première ministre, qui affirmait devant l’Assemblée nationale le 24 janvier que « les femmes continueront à partir plus tôt que les hommes ». Supposant donc que c’est déjà le cas aujourd’hui.

En réalité, et contrairement à ce qu’affirme la Première ministre, les femmes qui liquident leurs droits partent effectivement plus tard que les hommes, d’après les statistiques disponibles. Ainsi, selon l’Insee, l’âge conjoncturel moyen de départ à la retraite était, en 2020, de 62,6 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes. Cela s’explique notamment par le fait que les femmes ont des carrières plus courtes ou hachées que les hommes – et sont donc moins susceptibles d’entrer dans les dispositifs permettant des départs anticipés – et sont davantage contraintes d’attendre l’âge du taux plein pour liquider leurs droits.

Sans aller jusque-là, une partie des femmes qui ont bénéficié de trimestres supplémentaires pour enfants attendent l’âge légal de départ pour partir. On retrouve ces différentes stratégies dans les statistiques fournies par la Drees. « Ainsi en 2020, 40 % des hommes étaient en retraite à 61 ans et seulement 20 % des femmes. Mais à 62 ans pile, les femmes sont plus nombreuses (35 %) à liquider leur retraite que les hommes (25 %) », observe l’économiste Michaël Zemmour dans un billet de blog. Quoi qu’il arrive, les femmes « ne continueront pas à partir plus tôt que les hommes », comme l’affirme Elisabeth Borne, puisqu’elles liquident en moyenne leurs droits plus tard. Gabriel Attal a donc raison sur ce point. Ce qui ne lui donne pas pour autant raison sur la suite. Car si le rapport va effectivement s’inverser selon les projections, ce n’est pas du fait de la réforme.

D’après les projections, l’écart se réduira dans les années à venir
L’écart entre les femmes et les hommes tend en effet à se réduire. « Les femmes partaient à la retraite en moyenne un an et demi plus tard que les hommes parmi les générations nées dans la première moitié des années 30, contre dix mois en moyenne dans la première moitié des années 40. L’écart s’est à nouveau légèrement creusé lors de la mise en place des retraites anticipées pour carrière longue, dont les bénéficiaires sont en majorité des hommes […], mais il recommence à se réduire à partir de la génération 1950 », indique ainsi la Drees dans une note de 2019. « Dans le futur, un resserrement des écarts est prévu par toutes les sources », commente Michaël Zemmour. Le maître de conférences à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne s’appuie notamment sur les prévisions de la Drees pour le Conseil d’orientation des retraites (COR). En l’état, et donc sans modification de la législation, la bascule devrait avoir lieu, selon ces projections, pour les générations nées à partir de 1975. « Les femmes partiraient à la retraite en moyenne un peu avant les hommes, de l’ordre d’un à deux mois jusqu’aux générations nées avant 1990, et de l’ordre de trois mois pour les générations les plus récentes », peut-on lire dans le rapport du COR publié en septembre.

La Caisse nationale de l’assurance vieillesse (Cnav) indique la même dynamique, même si son indicateur suggère un croisement encore plus rapide. Celui-ci s’opérerait dès la génération née en 1962. « Très tôt par rapport à ce qu’on a observé dans les dix dernières années [écart stable de six mois, ndlr] », analyse Michaël Zemmour, qui s’interroge sur le modèle utilisé par la Cnav.

Toujours est-il que la tendance est la même : sans la réforme, les femmes partiraient donc avant les hommes. La formulation de Gabriel Attal laissant à penser que le projet du gouvernement est responsable de cette inversion est donc largement trompeuse. Elle l’est même d’autant plus que la réforme, sans l’annuler, pourrait en réalité freiner cette dynamique.

Dans sa note, la Cnav évalue l’impact de la réforme sur l’âge moyen de départ en retraite. « La hausse de l’âge moyen (calculé sur la première liquidation) de départ en retraite déjà projetée hors réforme […] serait accentuée avec la réforme […]. Après réforme, l’âge moyen de départ en retraite demeurerait toujours inférieur chez les femmes relativement aux hommes », peut-on lire.

Cependant, l’écart entre les femmes et les hommes serait réduit. L’étude d’impact, qui reprend les prévisions de la Cnav, précise que « si elle était appliquée indifféremment à l’ensemble des assurés, c’est-à-dire sans les ajustements prévus pour les départs au titre de l’inaptitude et des carrières longues, la mesure prévoyant un relèvement de deux années de l’âge légal, couplé à l’accélération du calendrier d’augmentation de la DAR [durée d’assurance requise], conduirait à stabiliser l’âge moyen de départ à la retraite aux alentours de 64,8 ans en moyenne (64,7 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, à compter de la génération 1975), contre 64,1 ans en l’absence de réforme (respectivement 63,8 ans et 64,4 ans). »

Pour quelles raisons ? « L’âge moyen de départ en retraite augmenterait notamment pour les assurés liquidant avec le taux plein par la durée [donc a priori des femmes profitant des trimestres supplémentaires liés à la maternité, ndlr], les [carrières longues, qui bénéficient plutôt aux hommes], et les assurés ayant une décote. En effet, ces catégories sont davantage touchées par la hausse de l’âge légal », écrit la Cnav sur la base de ses projections. Les femmes pourraient donc être particulièrement concernées puisqu’une partie peut pour le moment liquider ses droits grâce aux trimestres maternité (par la durée). « Si le décalage de l’âge concerne à la fois les carrières longues (de six mois à un an et demi), les départs anticipés pour pénibilité (jusqu’à deux ans), le choc individuellement le plus important en termes de décalage va concerner les personnes qui prennent leur retraite après, à partir de 62 ans (dans le dossier de presse [du projet de réforme], les personnes qui liquident à taux plein après 62 ans connaîtront pour la génération 1972 un décalage moyen de l’ordre de quinze mois) et il sera maximal pour les personnes qui liquident à 62 ans pile. Or c’est particulièrement le cas des femmes, qui ne sont pas parties en carrière longue mais atteignent souvent le taux plein dès 62 ans, du fait à la fois de leur carrière et de la validation de trimestres pour enfant », analyse Michaël Zemmour sur son blog.

Mise à jour du 3 février 2022 : Sur France 2, jeudi soir, Elisabeth Borne a répété cet élément de langage mensonger selon lequel grâce à la réforme, les femmes partiront plus tôt que les hommes à la retraite (changeant ainsi légèrement de version par rapport à son intervention du 24 février). « Par le passé, les femmes partaient à la retraite plus tard que les hommes. Aujourd’hui, elles partent à peu près au même âge (sic) […]. Demain, après la réforme, elles partiront plus tôt que les hommes », a-t-elle défendu. Derrière elle, est projeté sur grand écran un visuel du gouvernement tiré de l’étude de la Cnav… mais tronqué. Effectivement, les courbes montrant les trajectoires estimées de l’âge de départ des femmes et des hommes, hors réforme, ont été retirées. Le graphique donne donc faussement l’impression que la réforme pourrait avoir un impact favorable sur l’âge de départ des femmes par rapport aux hommes.

Affirmation à vérifier
Les femmes partiront à la retraite avant les hommes après la réforme, selon Gabriel Attal

Conclusion
D’après les données disponibles, la réforme n’aura donc -a minima- pas d’effet positif sur la différence d’âge de départ à la retraite entre les femmes et les hommes, contrairement à ce qu’affirme le gouvernement.