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Liberation.fr : Mais où est passée la démocratie sanitaire ?

Janvier 2023, par infosecusanté

Liberation.fr : Mais où est passée la démocratie sanitaire ?

Le discours d’Emmanuel Macron sur la santé, vendredi, comme les décisions récentes des pouvoirs publics ne font plus référence au modèle de la démocratie sanitaire. Changement de philosophie ou simple oubli  ?

par Eric Favereau

Publié le 10/01/2023

C’était une belle idée et un beau modèle : la démocratie sanitaire. Mais aujourd’hui, la voilà quasi morte et enterrée. Qui en parle ? Qui en fait référence ? Ce concept inédit, apparu il y a plus de trente ans avec les associations de lutte contre le sida, partait du principe que le système de santé se devait d’intégrer le patient dans les décisions le concernant. Or cette idée n’apparaît plus dans le langage des pouvoirs publics, ni dans celui d’Emmanuel Macron, qui ne l’a jamais cité. Ainsi, dans son discours à l’hôpital d’Evry (Essonne) la semaine dernière, qui se voulait refondateur de notre système, le chef de l’Etat n’a pas fait la moindre référence à ce modèle.
Plus désarçonnant encore, le président de la République n’a cité les patients que dans un chapitre qui visait à les sermonner, Emmanuel Macron jugeant nécessaire de les responsabiliser. « Comme la santé n’a plus de prix pour beaucoup de nos compatriotes, elle n’a plus de valeur, a-t-il affirmé. Trop de temps médical est gaspillé par un excès d’imprévoyance, de la désinvolture avec, en particulier, des rendez-vous non honorés. […] Pour supprimer cette perte sèche de temps médical, un travail sera engagé avec l’assurance maladie pour responsabiliser les patients lorsque plusieurs rendez-vous ne sont pas honorés. […] On fait avec notre système de santé ce qu’on ne fait avec rien d’autre dans la vie de notre société : on pense que le droit de tirage est absolu, illimité, que le respect n’a plus cours parce qu’on ne paye jamais. Ce n’est pas possible. »

« Situation critique »
Bref, c’est la faute aux malades, qui consomment sans limite des frais médicaux. Ces propos sont un vieux refrain, classique dans le monde libéral, reposant sur cette idée que les malades doivent payer un peu de leur poche pour ne pas abuser d’un système trop généreux. De Philippe Séguin à la présidence de Nicolas Sarkozy, ce discours avait été repris et amplifié au cours des dernières décennies. Qu’il puisse y avoir quelques abus, et parfois un nomadisme médical inutile chez certains assurés sociaux, nul ne le conteste, mais aujourd’hui c’est plutôt l’inverse qui prévaut, lesdits assurés sociaux souffrent de ne pas avoir de médecin traitant ni la possibilité d’aller aux urgences. Et l’on ne peut plus, en tout cas, leur faire le reproche d’emboliser l’hôpital par de la petite « bobologie ».

Plus généralement, dans les discours dominants, on peut être surpris de l’absence de toute référence aux associations de malades. Ce n’est pas pour rien que l’Unafam (Union nationale de familles et d’amis de personnes malades et /ou handicapées psychiques) par la voix de sa présidente Marie-Jeanne Richard, s’est inquiétée de cette absence. « On n’est plus sollicité du tout », a-t-elle confié à Libération. Puis elle a ajouté, dans la foulée du discours présidentiel : « La psychiatrie et le médico-social absents des vœux du président de la République au monde de la santé alors que la situation est critique. Les hôpitaux ferment par manque de personnels et de moyens et les délais d’accès aux soins deviennent inacceptables. Les places dans les établissements spécialisés se font de plus en plus rares. Il est plus que temps de soutenir la profession dans et hors des murs de l’hôpital pour que les personnes vivant avec des troubles psychiques puissent être accompagnées sereinement dans une continuité qui permet de se projeter vers le rétablissement. »
« Chemin démocratique »
De fait, logiquement, la crise actuelle focalise toute l’attention sur les soignants. Et non plus sur les malades. On avait déjà entraperçu ce glissement avec la crise du Covid, où la gestion des pouvoirs publics s’était montrée centralisée, jupitérienne selon l’expression. La démocratie sanitaire était alors mise de côté. Et ce n’était pas la création d’un petit comité citoyen, en janvier 2021, qui avait changé les choses. Pour autant, nous ne vivions pas dans une dictature sanitaire, comme l’évoquaient certains, et Emmanuel Macron pouvait faire état d’une gestion démocratique de l’épidémie. « Nous avons rendu publiques toutes les données dont nous disposions […], nous avons pris des décisions – et c’est ce qui est attendu de celles et ceux qui président et gouvernent. Ces décisions ont ensuite suivi un chemin démocratique normal, avec des débats parlementaires nourris » et « un contrôle constitutionnel comme il se doit », déclarait-il en août 2021.
Certes. Mais la démocratie sanitaire, c’est autre chose : c’est considérer que le patient est une partie de la solution et non le problème. C’est croire que le regard du malade est unique, y compris pour avoir son mot à dire dans l’organisation du système. Or, aujourd’hui, il est aux abonnés absents de tous les discours, et ce ne sont pas les réunions santé du Conseil national de la refondation qui changent la donne.
L’air de rien, la démocratie sanitaire est ainsi passée de mode. Ce qui est de mauvaise augure face à une crise du secteur de la santé qui a du mal, non seulement à être comprise, mais surtout à être résolue.