Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Liberation.fr : « On peut débattre de tout sauf des chiffres » : le débat sur le Covid au niveau zéro

Novembre 2021, par infosecusanté

Libveration.fr : « On peut débattre de tout sauf des chiffres » : le débat sur le Covid au niveau zéro

Cédric Mathiot -

mardi 16 novembre 2021

« On peut débattre de tout, sauf des chiffres. » Peut-être avez vous croisé sur les réseaux sociaux ce mot d’ordre imbécile, qui a connu ces derniers jours une poussée de fièvre (quelques exemples ici ou là). Il accompagne les commentaires sur un chiffre pioché dans un rapport de l’Agence technique d’information sur l’hospitalisation (Atih) auquel on fait dire n’importe quoi depuis plusieurs jours. L’Atih, revenant sur le bilan de l’année 2020 à l’hôpital, écrit que les admissions des quelque 218 000 patients Covid dans les établissements de santé français ont représenté 2 % des hospitalisations sur l’année. Suffisant pour que certains hurlent au « mensonge d’Etat » et affirment que preuve est enfin faite que le Covid n’a jamais saturé l’activité hospitalière.
Comme CheckNews l’a expliqué, cette statistique, livrée comme telle, ne signifie rien. Les principales raisons en sont que ce pourcentage est une moyenne qui mêle tous les services hospitaliers (en réanimation, les patients souffrant du Covid ont pesé 19 % des jours d’hospitalisation sur toute l’année, selon le même rapport), ne tient compte ni des pics épidémiques étalés sur l’année, ni des différences entre les régions (certaines ayant été épargnées, d’autres durement frappées). Des internautes pédagogues ont essayé d’invoquer l’exemple de la météo pour faire comprendre pourquoi ce chiffre ne dit rien. Nier que le Covid ait pu saturer durant des mois des services hospitaliers en mettant en avant la « part moyenne » des patients Covid sur toute l’année et dans toute la France, c’est à peu près la même chose que nier la canicule de 2003 en affirmant qu’il n’a fait que 15 degrés en moyenne cette année-là. Mais les obtus tiennent leur statistique de 2 %, et ne veulent rien entendre, clamant que c’est un « fait ». Comme si un chiffre nu de tout contexte était un fait. Et d’ajouter donc, comme on tire le rideau : « On peut débattre de tout, sauf des chiffres. »

De l’arithmétique
Si ce slogan est brandi aussi systématiquement, c’est parce qu’il est un emprunt à la communication des autorités. Un peu comme quand les enfants disent « toi même ! » à la récré. Il y a quelques mois, le gouvernement s’était lancé dans une campagne de communication sur l’efficacité du vaccin. Un clip mettait en scène un barbecue entre amis, avec un débat animé sur l’intérêt, ou non, de la vaccination. Puis une voix off venait couper la discussion : « On peut débattre de tout, sauf des chiffres. Aujourd’hui en France, huit personnes sur dix hospitalisées à cause du Covid ne sont pas vaccinées. » Le slogan était déjà idiot. Car les chiffres se discutent en général, et ceux qu’invoquait le gouvernement tout particulièrement.

En effet, cette part de 80 % de non-vaccinés parmi les hospitalisés, loin d’être une vérité générale (c’était la vérité du moment) était destinée à baisser. Non seulement à cause d’une probable baisse d’efficacité du vaccin qu’on redoutait déjà, mais plus automatiquement encore en raison de la progression de la couverture vaccinale : plus on vaccine de monde, plus la part des vaccinés dans les hospitalisations va croître. Indépendamment de toute baisse d’efficacité du vaccin. C’est de l’arithmétique. Quand on connaît la défiance d’une partie de l’opinion vis-à-vis des décisions sanitaires et de leurs justifications, prétendre clore le débat sur la vaccination en invoquant comme argument d’autorité un chiffre, était peu adroit. Le faire en choisissant un chiffre qu’on savait d’avance périssable, car conjoncturel, l’était encore moins. Et sans surprise, le slogan est revenu comme un boomerang.

Mais c’est bien la plus sotte manière de moquer la communication des autorités que de la singer, en pire. Anonner en boucle ce pourcentage de 2 % de « patients Covid » parmi les hospitalisés et réfuter ses angles morts les plus évidents, au prétexte vengeur que, comme les autorités, « on débat de tout, sauf des chiffres », ce n’est pas prendre le gouvernement à son propre piège comme certains ont l’air de s’en féliciter, c’est revendiquer en étendard la bêtise qu’on disait dénoncer. C’est le niveau zéro du débat. Le fait que les autorités aient parfois exagéré la saturation hospitalière via des indicateurs obscurs et trompeurs n’excuse absolument rien. Une ânerie ne vient jamais compenser une autre. Elle s’y ajoute, épaississant encore plus de brouillard. Au milieu de cette baston de statistiques, il y a une majorité de citoyens de bonne foi qui tentent de comprendre une épidémie interminable que les scientifiques eux-mêmes disent ne pas toujours comprendre, et qui méritent qu’on débatte de tout. Et surtout de chiffres qui, sinon, ne veulent disent absolument rien dire. D’où qu’ils viennent.