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Marianne - Réforme des retraites : "L’objectif de l’État social minimal tend à s’affirmer plus clairement"

Février 2023, par Info santé sécu social

Article de Frédéric Farah

Le 16/02/2023

Même s’il a choisi depuis le départ le passage en force pour faire aboutir son projet de réforme des retraites, le gouvernement essaye de rendre son dessein plus fréquentable par une attention feinte aux petites retraites et à la pénibilité.
Même s’il a choisi depuis le départ le passage en force pour faire aboutir son projet de réforme des retraites, le gouvernement essaye de rendre son dessein plus fréquentable par une attention feinte aux petites retraites et à la pénibilité.

Même s’il a choisi depuis le départ le passage en force pour faire aboutir son projet de réforme des retraites, le gouvernement essaye de rendre son dessein plus fréquentable par une attention feinte aux petites retraites et à la pénibilité. Nous pourrions dire que ces mesures participent de la justice sociale. Devrions-nous nous féliciter de cette orientation ? A priori oui, même si dans les faits, la retraite à 1 200 euros n’est qu’un mirage ou, plus précisément, un mensonge du gouvernement. Par-delà l’effectivité de la mesure, ce qui mérite attention dans le discours sur le seuil de 1 200 euros, c’est la profonde transformation de nature de notre État social depuis plus de trois décennies. L’adhésion à l’Union européenne (UE) par le biais du traité de Maastricht et la persistance de l’idéologie néolibérale ont pour objectif la mise en œuvre d’un État social minimal, tel que défini par l’économiste Noëlle Burgi. Cet État social rompt avec l’idée d’une protection pour tous. « Cela signifie que les systèmes de protection sociale, construits à partir de 1945 dans la perspective de garantir une sécurité sociale au plus grand nombre, se réorientent vers des politiques d’assistance aux pauvres mettant en œuvre des prestations sociales sous condition de ressources, écrit-elle. Ce changement, radical en effet, conduit à une dualisation accrue de la société. »

Nous sommes désormais à l’heure d’une reconfiguration de l’État social. Il s’agit moins d’imaginer une citoyenneté sociale qui viendrait s’articuler avec la citoyenneté politique mais d’imaginer un État social comme un filet de sécurité pour les populations en plus grande difficultés. Désormais, il s’agit d’assurer des minima d’acceptabilité sociale pour permettre aux individus de pouvoir participer au jeu économique et rester des parties prenantes de la société de consommation. L’air du temps n’est pas en faveur des travailleurs : les salaires ne progressent pas rapidement, les chômeurs sont placés sous surveillance et voient leurs indemnités se réduire drastiquement, les retraités s’appauvrissent et s’appauvriront encore. À côté de ce mouvement, l’épargne se concentre dans des catégories de plus en plus restreintes, la fiscalité du capital devient plus qu’accommodante : modification de l’impôt sur la fortune, prélèvement forfaitaire unique, ou bien encore, profits records des grandes entreprises.

Désormais, il s’agit de poursuivre et amplifier les attaques contre la sphère socialisée de l’économie et au premier rang desquelles la maladie, les retraites ou encore l’assurance-chômage. Pour les retraites, il ne s’agit plus d’envisager un système qui reviendrait sur des modalités de calcul défavorables au plus grand nombre, ou encore de revoir pour l’ensemble des salariés des retraites plus importantes mais d’assurer un filet de sécurité dans le fond bien modeste pour ceux qui ont connu des carrières plus heurtées. Ce filet sera d’ailleurs plein de trous et il n’est dans le fond qu’un mauvais maquillage marketing. Les remarquables travaux de l’économiste Michaël Zemmour ont démontré brillamment combien les promesses du gouvernement en la matière étaient fallacieuses. Les récentes mutations de l’assurance-chômage montrent aussi le glissement de notre système d’une dimension assurantielle vers une dimension assistancielle.

Favorable au capital

Il se produit en fait un changement de philosophie de notre système social. Le président de la République ne s’en cache pas. Lors d’un discours prononcé le 1er juillet 2018 devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, il a expliqué « la philosophie même de notre solidarité nationale est de moins en moins une assurance individuelle, assortie d’un droit de tirage, financée par l’ensemble des contribuables, […] l’assurance chômage aujourd’hui n’est plus du tout financée par les cotisations des salariés ». Et d’ajouter : « Cette transformation, il faut en tirer toutes les conséquences. Il n’y a plus un droit au chômage, au sens où on l’entendait classiquement, il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé ». Voilà une rupture majeure avec notre système de protection sociale, cette mutation ouvre la voie très largement à l’État social minimal et à l’aggravation d’une politique de contrôle faite de méfiance, de suspicion. La dernière réforme de l’assurance-chômage s’est fondée sur l’idée que les chômeurs rechignaient au travail, laissaient sans titulaire des offres d’emploi vacantes et profitaient des largesses de l’État social. Il était temps de les mettre au pas et rien de mieux que les appauvrir pour y parvenir.

L’histoire économique est intéressante tant elle nous est riche d’enseignements sur les choix politiques qui ont été effectués depuis quatre décennies. Lors de la décennie 1990, la France comme les autres États européens ont décidé de défendre le change fixe et la libre circulation des capitaux et de renoncer à la souveraineté monétaire. Désormais, il s’agit de courir après cette vieille obsession qu’est l’équilibre budgétaire, consentir peut-être à quelques investissements pour l’avenir et de l’autre redimensionner à la baisse l’État social. La naissance de l’euro a été aussi un élément clé de la transformation de l’État social tant il impliquait une action sur les dépenses publiques qui, nous le savons, sont principalement sociales. C’est pourquoi dès l’été 1993, se mettait en place la réforme Balladur. Les recommandations européennes dans les divers Semestres européens exigent des réformes de la protection sociale. Nous le voyons bien, c’est désormais et plus que jamais un environnement favorable au capital qui s’installe et qui devient désormais l’horizon normatif de nos pays dits industrialisés. Le progrès social semble loin derrière nous, et comme le souligne l’économiste Michaël Zemmour, nous arrivons au troisième temps de l’histoire de la réforme des retraites, c’est-à-dire le souhait d’en réduire la part dans le PIB.

De ce fait, un gouvernement de la protection sociale paritaire disparaît au profit d’une étatisation préoccupante depuis le mitan des années 1990. L’objectif de l’État social minimal tend à s’affirmer plus clairement. On pourrait nous rétorquer que vu le budget de la protection sociale et la part redistribuée de notre PIB, nos inquiétudes paraissent infondées. Mais il ne s’agit pas d’observer les montants pris dans leur globalité. Il s’agit de percevoir des changements profonds d’orientation qui mettent très largement à mal le projet de Sécurité sociale tel qu’il a été pensé. Il s’agit aussi d’entrer dans une ère plus que jamais soupçonneuse à l’égard des comportements des travailleurs regardés comme des tire-au-flanc dès qu’ils sont privés d’emploi, sans compter la mise à mal de la démocratie sociale tant l’étatisation de la protection sociale semble préoccupante. Les malheurs de la Grèce orchestrés par les autorités européennes seraient-ils des signes avant-coureurs ?