Les retraites

Marianne - Tripatouillage. Valeur du point : dans le flou, le gouvernement se dirige vers l’option la moins favorable aux retraités

Février 2020, par Info santé sécu social

Par Sébastien Grob
Publié le 11/02/2020 à 09:35

Le projet de loi du gouvernement prévoit que les points de retraite seront indexés sur le "revenu moyen d’activité par tête". Mais cette statistique complexe doit encore être mise au point, et garantirait une revalorisation moins favorable que celle initialement promise.

Un saut dans l’inconnu. La réforme des retraites du gouvernement prévoit de créer un système par points : ces derniers seront acquis en échange des cotisations versées au fil de la carrière, avant d’être convertis en pension au moment de la liquidation. Leur valeur sera revalorisée chaque année, et devrait suivre "par défaut" l’évolution du "revenu moyen d’activité par tête" à partir de 2045, comme l’indique le projet de loi. Problème : cet indicateur n’existe pas aujourd’hui dans les comptes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Charge à ses chercheurs de le mettre au point, ce qui s’annonce être un casse-tête. Une autre option s’offrait pourtant au gouvernement : réévaluer le point selon le salaire moyen, une statistique déjà publiée par l’Insee. Et qui conduirait à une revalorisation plus favorable que celle voulue par l’exécutif.

Les contours du futur "revenu d’activité moyen" sont encore flous. Le projet de loi précise que l’Insee devra le mettre au point selon "des modalités de calcul déterminées par décret", c’est-à-dire par le gouvernement après le vote des parlementaires. "Vous nous demandez d’adopter une base de calcul du point sans savoir ce que ce sera ce revenu d’activité par tête. C’est ahurissant !", s’insurgeait la députée de La France insoumise Clémentine Autain ce vendredi 7 février en commission. Invité ce lundi 10 février sur France Inter, le secrétaire d’Etat aux retraites Laurent Pietraszewski s’est voulu rassurant, sans donner beaucoup plus de précisions : cet indicateur "ultra-technique" doit "comprendre l’activité des salariés, mais aussi des fonctionnaires et des professions libérales", a-t-il indiqué.

USINE À GAZ
Mais l’intégration des travailleurs non-salariés posera une difficulté non négligeable. "Les revenus des indépendants (professions libérales, agriculteurs, commerçants) sont mal connus. Il n’y a aucune source statistique pour les suivre trimestre par trimestre", pointe Henri Sterdyniak, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Leurs rentrées d’argent ne pourraient être mesurées qu’avec un important décalage : "Ce genre de statistique n’est disponible que deux ans après la période étudiée". Pour fournir l’indicateur voulu par le gouvernement année par année, l’Insee en serait réduite à "faire une estimation, qui sera imprécise", avance Henri Sterdyniak. Autre problème : les revenus des indépendants "fluctuent beaucoup plus" que ceux des autres catégories de travailleurs, fait valoir l’économiste. De quoi rendre plus instable la future revalorisation du point.

L’intitulé du futur indicateur a été modifié par rapport à la version initiale du projet de loi. Alors qu’il devait s’agir d’un "revenu moyen par tête", un amendement soutenu par le gouvernement l’a transformé en "revenu moyen d’activité par tête". Cette précision représente un léger progrès selon Henri Sterdyniak : "La première formulation était extrêmement ambiguë. On ne savait pas si cela allait intégrer les revenus financiers comme les dividendes, les prestations sociales… L’amendement a au moins réduit le périmètre".

UNE ÉVOLUTION MOINS FAVORABLE
Une autre solution s’offre encore au gouvernement, plus précise et beaucoup plus simple : indexer la valeur du point sur l’évolution du salaire moyen (sans intégrer les indépendants), qui est déjà mesurée par l’Insee. "L’évolution de cet indicateur peut être suivie facilement grâce aux déclarations sociales des entreprises", plaide Henri Sterdyniak. Cette option correspondait d’ailleurs à la promesse du gouvernement : son projet présenté en décembre assurait que les points seraient revalorisés "selon les salaires moyens".

Une évolution selon les salaires aurait aussi toutes les chances d’être plus favorable qu’avec le nouvel indicateur voulu par l’exécutif. C’est ce que montrent les statistiques de l’Insee, qui mesure d’année en année le revenu d’activité de l’ensemble des ménages (mais pas par tête, comme le veut le gouvernement). La note publiée par l’institut en décembre 2019 montre ainsi que ce chiffre a augmenté de 2,5% en 2018, alors que les salaires ont grimpé de 2,9%. Cet écart s’explique par la légère baisse des revenus des indépendants, qui se sont effrités de 0,3%. Une telle différence se retrouve dans les années précédentes : depuis 2012, les salaires ont augmenté d’environ 14%, alors que les ressources des indépendants n’ont progressé que de 4%. S’il se prolongeait à l’avenir, ce fossé tirerait largement vers le bas le futur "revenu d’activité par tête". De quoi freiner la revalorisation des points acquis par tous les assurés.

En plus d’être floues, les règles d’indexation des points ne représentent qu’une faible garantie. Elles ne s’appliqueront d’abord qu’à partir de 2045 : d’ici là, le projet de loi prévoit une hausse comprise "entre l’évolution annuelle des prix" (c’est-à-dire l’inflation) et celle du "revenu moyen d’activité par tête". Et après cette date, la revalorisation selon le revenu moyen ne s’appliquera que "par défaut". La future gouvernance et le gouvernement pourront toujours décider d’une évolution différente, notamment pour garantir l’équilibre financier du système. Au final, une seule règle semble vraiment gravée dans le marbre : la valeur du point devra au minimum suivre la hausse des prix.