Luttes et mobilisations

Mediapart : Urgences : les grévistes rejettent le plan Buzyn et attendent le renfort de médecins

Septembre 2019, par infosecusanté

Urgences : les grévistes rejettent le plan Buzyn et attendent le renfort de médecins

11 septembre 2019

Par Caroline Coq-Chodorge

Les 750 millions d’euros pour les urgences, annoncés lundi 9 septembre, par la ministre de la santé Agnès Buzyn ne suffisent pas aux paramédicaux grévistes. Ils appellent à une extension du mouvement à d’autres services et aux médecins.

Le collectif Inter-Urgences, ces paramédicaux qui agitent le monde de la santé depuis six mois, savent se mettre en scène. C’est avec des linceuls et des fumigènes qu’ils ont débuté leur assemblée générale à Saint-Denis, mardi 11 septembre, en réponse au « pacte de refondation » des urgences présenté la veille par la ministre de la santé. « De l’enfumage ! », dénoncent-ils.

À l’unanimité, une motion a été adoptée qui élargit l’appel à la grève à l’ensemble des services hospitaliers, avec ces revendications immuables : « L’embauche de personnels, à la hauteur des besoins ; l’arrêt de la fermeture des lits, là où les tensions sont importantes, et une revalorisation de 300 euros des salaires », étendue à tous les soignants. « Ce sont aujourd’hui les personnes âgées, les malades psychiatriques et les pauvres qui trinquent, mais bientôt ce sera tout le monde, a insisté le président du collectif, Hugo Huon, en préambule. L’État cherche à diminuer les dépenses publiques et l’hôpital est la variable d’ajustement. »

Des ponts ont ainsi été jetés avec d’autres mouvements sociaux, en particulier ceux des Ehpad et de la psychiatrie, dont des représentants étaient présents à l’AG. Et les grévistes comptent bien, dans les jours qui viennent, visiter les services hôpital par hôpital, pour tenter de mobiliser leurs collègues.

Car dans le détail, le « pacte de refondation des urgences » à 750 millions d’euros (jusqu’en 2022) présenté lundi par Agnès Buzyn ne les a aucunement impressionnés. D’abord, parce que cet argent est alloué à « budget hospitalier » constant, ce qui suppose des ponctions ailleurs. La ministre, d’ailleurs, après avoir entretenu le flou lundi, a ensuite admis, devant les députés, qu’elle n’avait pas obtenu d’enveloppe supplémentaire de Bercy : « Nous travaillons à avoir au moins les mêmes capacités de financer l’hôpital que l’année dernière… »

S’engage dès lors, pour les grévistes, la « bataille du PLFSS », comme ils disent, en référence au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (débattu chaque automne au Parlement), qui sera dévoilé pour 2020 dans les prochaines semaines.

Déjà, cet été, ces urgentistes avaient été déçus par la première salve d’annonces de la ministre, pour un montant de 70 millions d’euros. Une prime de 100 euros, certes, est depuis acquise. Mais s’agissant des effectifs promis, le bilan leur paraît maigre, très loin des 10 000 postes qu’ils continuent de réclamer – seuls quelques postes seront gagnés ici et là, dans un petit nombre de services d’urgences.

Au fond, ils attendent beaucoup plus. Et revendiquent par exemple, en reprenant une proposition de la CGT Santé, la suppression de la taxe sur les salaires des hospitaliers, qui ponctionne 4 milliards d’euros à l’hôpital.

Parce que ce « nouveau pacte de refondation des urgences » est plus ambitieux que les mesures de cet été, il satisfait tout de même une partie du corps médical, en particulier Samu Urgences de France, le premier syndicat de médecins urgentistes.

Dans le détail, il comprend douze mesures techniques, censées soulager le fonctionnement des urgences.

En amont, il crée un « nouveau service d’accès aux soins », animé par le Samu et les médecins libéraux, qui devrait répondre, par téléphone ou Internet, à toute demande de soins. Cela ressemble au 15, en bien plus ambitieux, et exigera des effectifs médicaux et paramédicaux. Le plan demande aussi aux libéraux d’ouvrir plus de consultations sans rendez-vous et d’animer 50 maisons médicales de garde, à proximité des gros services d’urgence, quand leurs cabinets sont fermés. Mais tout cela est-il réaliste, avec une grande partie du territoire en désertification médicale, des médecins qui manquent aux urgences, n’assurent déjà plus la permanence des soins en ville et refusent de nouveaux patients ?

L’hôpital est aussi mis à contribution. Les services hospitaliers devront mettre à disposition des lits pour les patients qui sortent des urgences. Des « cellules de gestion de lits » seront créées, avec des outils informatiques dédiés. Mais que pourront-ils faire lorsqu’un hôpital débute sa journée ou sa nuit sans aucun lit disponible pour hospitaliser de nouveaux patients ? À Saint-Nazaire, par exemple, cette situation est fréquente.

Ce pacte se soucie également des personnes âgées, celles pour lesquelles la recherche de lits est la plus difficile, et qui meurent d’attendre aux urgences. Ils devront être admis directement, du domicile ou des Ehpad, vers les services d’hospitalisation. Mais là encore, il faut des lits.

Or sur le terrain, la politique de fermeture de lits et de suppression d’effectifs se poursuit, les deux sujets restant intrinsèquement liés. Le projet de construction du CHU à Nantes, par exemple, comprend la suppression de 362 lits et 530 postes.

Dans leur contribution à la mission sur les urgences conduite cet été, les médecins à la tête des commissions médicales d’établissement ont pourtant mis en garde la ministre : « De nombreux lits ont été indûment fermés et de manière totalement déconnectée des besoins de santé. » En phase avec le collectif Inter-Urgences, ils écrivent : « Non seulement, il ne faut plus fermer de lits […], mais il faut probablement dans de nombreux endroits en ouvrir de nouveaux. »

Agnès Buzyn, elle, reste ferme : « Avant d’[en] créer, je veux qu’on optimise la gestion. On va rationaliser tout ça. » Lundi, cependant, elle a simplement évoqué l’éventuelle création, à la sortie des urgences, de lits de médecine et de gériatrie polyvalentes.

La ministre n’a pas non plus pu saisir l’opportunité que lui offrent les paramédicaux en grève, lesquels réclament de monter en compétence. Tous les grands systèmes de santé en Europe sont confrontés à un manque de médecins et ont trouvé une solution qui marche : les infirmières praticiennes, qui font des consultations, diagnostiquent, prescrivent, en complémentarité des médecins… et coûtent moins cher que ces derniers. « Dans la série [télé] Urgences, Carole Hathaway est une infirmière praticienne, elle a un stéthoscope autour du cou. Elle peut prescrire des électrocardiogrammes, les lire », souligne l’infirmière Barbara Coué, membre du collectif Inter-Urgences.

Or en France, si l’on parle d’infirmière de pratique avancée (IPA) depuis une dizaine d’années, les premières promotions (au niveau bac + 5) sortent avec quelques dizaines d’infirmières seulement. Et outre qu’elles ne savent toujours pas combien elles seront payées, elles mèneront de simples « entretiens infirmiers », les médecins voulant rester les seuls à « consulter ».

Le collectif, lui, défend la création d’infirmiers de pratique avancée en soins primaires, « un nouveau métier », insiste Hugo Huon. « Elles pourraient travailler aux urgences, en ville, en autonomie… Mais les médecins veulent que les IPA restent sous leur férule… » Les propositions d’Agnès Buzyn restent ainsi très limitées : dans le cadre de protocoles de soins, encadrés par les médecins, ils pourraient réaliser des sutures, demander des actes d’imagerie, etc. Et une deuxième, qui consiste à créer des IPA aux urgences, dès 2022, paraît vide de contenu aux paramédicaux : « On a l’impression qu’on ne parle pas de la même chose », se désespère Barbara Coué.

« Vont-ils décider de se mettre en grève ? Ce n’est que comme ça qu’on arrivera à opérer un virage à 180 ° », a prévenu Olivier Youinou, du syndicat Sud Santé. Seuls une petite dizaine de médecins étaient d’ailleurs dans la salle, mardi à l’AG, dont Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), qui a promis de « prendre ses responsabilités ». Et de lancer : « On a été à côté de vous depuis six mois, je pense qu’il faut maintenant qu’on soit avec vous. » Son association se réunira en assemblée générale ce jeudi.

Au nom d’Action praticiens hôpital (APH), la plus importante intersyndicale de médecins hospitaliers (qui organise aussi son AG jeudi), le gériatre Renaud Péquignot était également présent mardi. Lui a prévenu le collectif : « Certains syndicats sont satisfaits des annonces, les médecins sont difficiles à mettre en grève… » Une infirmière l’a vivement interpellé : « On a besoin d’un appel clair de votre part. Est-ce que vous êtes avec nous ? » La médecin hépatologue Anne Gervais, vice-présidente de la commission médicale d’établissement (CME) de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, elle aussi présente, était sceptique : « On a besoin d’un appel clair de votre part : est-ce que vous êtes avec nous ? Les professeurs de médecine sont dans une fuite en avant individuelle pour préserver leurs services. Les simples praticiens hospitaliers sont abattus et fuient l’hôpital public. Peut-être vont-ils se réveiller… » Mardi soir, dans la foulée, la CME de l’AP-HP, le plus gros groupe hospitalier de France, a voté une motion de soutien à la grève.