Luttes et mobilisations

Mediapart : A Toulouse, des milliers de manifestants aux multiples revendications

Novembre 2020, par infosecusanté

Mediapart : A Toulouse, des milliers de manifestants aux multiples revendications

21 NOVEMBRE 2020

PAR EMMANUEL RIONDÉ

La mobilisation toulousaine autour du secteur de la santé, samedi, a donné à voir un cortège massif, pluriel. Les manifestant·e·s entendaient répondre aux offensives en cours sur les services publics, inquiets du « climat réactionnaire » qui s’installe dans le pays.

Toulouse (Haute-Garonne).– « Pourquoi, on est là ? Pff... La liste, elle est longue, hein ! » Au départ de la place Saint-Cyprien, samedi, en début d’après-midi, Valérie et Maïlys, deux quinquagénaires qui travaillent « entre l’éducatif et le soin » auprès de personnes handicapées, résument : « On n’a pas de moyens pour bien bosser et on sait pas trop ce qu’ils font là-haut..., indique la première en levant les yeux. Nous, par contre, on sait qu’on n’a droit qu’à métro, boulot, dodo et c’est un peu léger, on trouve. »

À côté d’elles, des soignantes de l’hôpital Joseph-Ducuing sont venues en blouse blanche. Non loin, un panneau dénonce : « Article 24 : abolition de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ». Un autre s’inquiète des drones et de la reconnaissance faciale. Valérie, elle, esquisse sa « liste » : « Les gamins qui vont à l’école avec le masque, notre retraite, la loi sécurité aussi... » Maïlys : « Tu peux ajouter la 5G, tant qu’on y est ! » Ses copines se marrent. Elle ajoute, sérieuse et amère : « Je suis AESH (accompagnante d’élève en situation de handicap), je vois des gamins tous les jours. Leur futur, il est pas glorieux. La dernière chanson que j’ai vu passer qu’on leur apprenait, c’était un truc du genre “Si je sors pas, on va tous s’en sortir...” C’est ça qu’on leur réserve ? »

À offensive globale et multiple, riposte à l’avenant. Ce samedi, Toulouse était l’une des rares villes de France à ne pas accueillir une manifestation spécifiquement contre le projet de loi sécurité globale. Le mot d’ordre de l’appel – « Un plan d’urgence pour notre santé, pas pour les profits » – était le même que lors de la manifestation des personnels soignants et hospitaliers du 7 novembre, qui avait rassemblé un peu moins de 5 000 personnes. Selon la CGT, ils étaient environ 8 000 dans la rue aujourd’hui.

L’ensemble des syndicats, à l’exception de la CFDT et de FO, et tout l’arc des formations de gauche, étendu aux libertaires de l’UCL, mais à l’exception du PS, du PC et des radicaux, avaient signé l’appel. Act Up, Attac, Copernic ou Droit au logement étaient aussi de la partie.

Bien au-delà de ce rassemblement unitaire autour du secteur de la santé, la manifestation a vu converger, comme attendu, des Toulousaines et des Toulousains porteurs de bien d’autres revendications.

Poing-poing, coude-coude, un coin de masque vite baissé pour identifier un sourire, un regard qui hésite puis reconnaît et s’allume... Les salutations et retrouvailles sont celles, empruntées, d’une manif sous Covid.

Travailleur social d’environ 30 ans, Herman avance tranquillement sa grande carcasse le long du Pont-Neuf. « Trop c’est trop. Le politique n’arrive pas à bien gérer cette crise sanitaire, estime-t-il d’un ton grave. Il y avait déjà les déserts médicaux, le fait qu’on en demande toujours plus aux soignants et maintenant ça : le système sanitaire est en danger. Avec en plus cette loi sur la sécurité, c’est n’importe quoi : on substitue l’autorité publique à la liberté et à la démocratie. Ça m’inquiète. »

Comme lui, beaucoup s’alarment de la gestion erratique de la crise sanitaire par le gouvernement. Louis, jeune professeur des écoles, baisse son masque pour mieux parler et tirer un peu sur sa clope. Il dénonce « les instructions contradictoires et les consignes intenables » avec lesquelles il doit « se démerder sur le terrain » comme tous les collègues.

« Moi, j’ai des CP, apprendre à lire avec un masque, c’est juste pas possible... L’autre problème en ce moment, c’est les remplacements. Ce n’est pas nouveau, notamment sur l’académie de Toulouse mais là, ça ne fait que s’aggraver avec les collègues cas contacts, les malades, celles et ceux qui n’en peuvent plus... » Avant, lui aussi, de basculer sur le virage sécuritaire à l’œuvre : « Moi, je suis optimiste de base mais là, quand même, j’ai le sentiment qu’on s’est engagé sur une pente qu’on va avoir du mal à remonter : toujours plus de sécurité, de répression, de surveillance. Peut-être que je regarde un peu trop de dystopie, mais je crois pas. »

Dans ce climat où le pouvoir est perçu comme incapable de renvoyer autre chose que des gages d’amateurisme et de durcissement, les lectures de la situation frisant avec le complotisme, ou ayant clairement franchi le pas, ne sont pas rares : Sam, aide-soignant, parle d’un « Coronacircus » mis en place pour « museler le peuple », selon lui. « Oui, il y a une crise, bien sûr, mais la majorité des gens sont des cas Covid, pas des malades du Covid », tente-t-il de nuancer. Il a vu Hold-up : « C’est exactement ça qui se passe », assure-t-il.

De nombreux gilets jaunes sont dans le cortège, dont Marie, professeure des écoles, la quarantaine, venue là pour protester « contre tout ce qui se passe depuis deux ans, avec le comité de défense qui dirige désormais le pays ». Pour elle, la manifestation du jour se situe dans la continuité de la mobilisation des gilets jaunes. Au mégaphone, un prof lance « Jean-Michel Blanquer, ministre autoritaire, on veut pas bosser pour toi ». C’est repris avec ferveur.

Le collectif des salariés de l’aéronautique, eux aussi très durement touchés par la crise économique liée au Covid, est venu avec sa banderole. Rozenn, étudiante à l’université du Mirail et militante à Révolution Permanente fait, elle, le lien avec la loi de programmation pour la recherche (LPR) adoptée mardi par l’Assemblée et de ces dispositions qui vont « nous empêcher de contester, de s’organiser, de nous mobiliser. Il y a clairement un climat répressif et réactionnaire qui s’installe en ce moment », s’alarme la jeune femme.

Nina, l’une des porte-parole de Droit au logement, évoque la fin de la trêve hivernale en mars prochain, où « ça risque d’être très compliqué pour tout un tas de gens qui auront accumulé les dettes, il va y avoir des expulsions », et les sans-logis pour qui « tout est devenu plus compliqué : se déplacer, accéder aux centres d’accueil, la peur de se faire contrôler... »

Vers 16 heures, la manifestation est arrivée en haut des allées Jean-Jaurès au terme d’un parcours long de deux heures. Quelques incidents et affrontements avec les forces de l’ordre ont eu lieu en fin d’après-midi. Et rendez-vous a été pris pour d’autres mobilisations dans les jours à venir, notamment un rassemblement féministe mercredi, et un autre contre la loi sécurité globale jeudi.