Les professionnels de santé

Médiapart - Aides à domicile : ces invisibles du Covid

Septembre 2020, par Info santé sécu social

13 SEPTEMBRE 2020 PAR JORDAN POUILLE

Le choc de la pandémie aura permis des avancées salariales pour le personnel soignant mais fait prendre conscience aux aides à domicile, soutiens essentiels des seniors dépendants, de leur tenace invisibilité. Sur Facebook, loin des syndicats, certaines préparent le sursaut. Samedi, un collectif appelait à manifester à Paris.

Payées au rabais pour des tâches délicates auprès de personnes vulnérables, certaines aides à domicile attendent encore le coup de pouce promis aux « oubliés de la prime Covid » par Emmanuel Macron, début août. Samedi, à Paris, à l’appel d’un collectif naissant baptisé La Force invisible, elles étaient une poignée à manifester, conscientes des risques de contamination pour elles et les personnes qu’elles assistent.

Faute de ressources, il leur est difficile de faire grève. Ces derniers jours, Mediapart en a rencontré trois en milieu rural, qui s’indignent de leurs faibles rémunérations, du remboursement dérisoire de leurs trajets ou du mépris de leur ancienneté, inquiètes aussi des effets d’une deuxième vague.

À 47 ans, Caroline, mère de quatre enfants, mariée à un surveillant de collège, travaille comme aide à domicile à Onzain (Loir-et-Cher) depuis neuf ans déjà, après avoir été caissière puis assistante maternelle – « Jusqu’à ce que j’en aie assez de rester à la maison ». Aide à la toilette et au repas, ménage, lever et coucher : chaque jour, Caroline rend plusieurs fois visite à six bénéficiaires, ceux que lui octroient l’association ADMR (Aide à domicile en milieu rural), son employeur, auxquels s’ajoutent de nombreux remplacements. Des heures supplémentaires stockées dans un « compteur » et redéployées par l’employeur quand des visites s’annulent, suite à l’hospitalisation du bénéficiaire, par exemple.

Dans son secteur patrouillent une quarantaine d’aides à domicile qui ont touché, au mieux, quelques centaines d’euros de prime après l’annonce du chef de l’État. Ces derniers jours, presque la moitié s’est mise en arrêt maladie. Le métier est éreintant et celles qui l’exercent, dans ce territoire rural, ne sont pas toutes jeunes. « Des mères célibataires y vont pour se faire un peu d’argent, mais elles ne tiennent jamais plus de quelques mois, car les horaires sont ingérables, sans parler de la paye, qui n’est versée que le 8 ou 9 du mois suivant. »

Caroline traîne une douleur dorsale à force de manipuler des patients chichement équipés. « Certains ont des logements adaptés et d’autres n’ont pas de lit médicalisé et tout devient compliqué, comme quand il faut multiplier les transferts entre le fauteuil-confort et la chaise percée de la chambre en déplaçant la personne sur son fauteuil roulant. »

Le mois dernier, Caroline a reçu 1 280 euros net sur son compte courant. Comme elle ne dispose pas d’un véhicule de fonction, à la différence des aides-soignants qu’elle croise au quotidien, elle inclut dans cette somme le remboursement de ses frais kilométriques, soit 35 centimes du kilomètre pour les trajets en voiture entre chaque intervention. 15 centimes si elle se déplace à scooter. « Le trajet de ma maison au premier lieu d’intervention n’est payé qu’à 60 %. Pareil pour le retour. C’est comme ça depuis 2010. » Cette année-là, l’ADMR signa une nouvelle convention collective.

Comme toutes ces collègues, Caroline dispose d’un contrat à temps partiel. Le sien atteint trente heures par mois, au tarif horaire de 8 euros net. Chaque prestation excède rarement une demi-heure. Elle démarre à 8 heures et s’accorde une pause déjeuner à 13 h 30. Elle reprend à 14 heures et rejoint son foyer vers 20 heures, juste à temps pour vérifier les devoirs des enfants. Un week-end sur trois est travaillé avec, dans ce cas, une journée de repos le lundi. « Sachant qu’on reste tout le temps d’astreinte. Demain, samedi, je suis certaine qu’ils vont m’appeler, mais là, je refuserai. Et tant pis pour leurs 3 euros de bonus par intervention. »

Caroline réclame une revalorisation des salaires, soit au moins 11 euros net et non plus 10 euros et 15 centimes de l’heure, équivalant au strict smic horaire, en vigueur chez l’ADMR. « Parce qu’on fait bien plus que de l’aide à domicile. Le week-end, ce sont des toilettes sur des personnes qui ont de grosses pathologies, or c’est le travail des aides-soignantes. Quand on vous demande de nettoyer une personne âgée paralysée de moitié, forcément, vous appréhendez. »

Caroline appréhende aussi la deuxième vague de Covid-19 et les protocoles sanitaires lourds qui indisposent ses bénéficiaires. « Certains ont du mal à comprendre, ils disent qu’on est parano, qu’on leur ment. » Pendant le confinement, les prestations de ménage étaient annulées.

Ana Fernandes, 53 ans, est déléguée syndicale CGT à l’ADMR du Loir-et-Cher depuis décembre dernier. Aide à domicile depuis cinq ans pour 800 euros net par mois, elle rend visite, ce vendredi soir, à deux bénéficiaires : une heure et trois minutes de travail lui seront comptabilisées, temps de trajet inclus. « Pour du déshabillage, du changement de protection », résume-t-elle.

Pendant le confinement, Ana a tenté d’alerter les hautes sphères à propos du manque de tests chez les aides à domicile, des incohérences dans la distribution des masques par sa direction locale. Laquelle l’a sanctionnée de quatre jours de mise à pied. « Des personnes étaient autour de moi et l’une d’elles a dit, à haute voix : “Et si elle était comme ça avec les bénéficiaires ?” Ça m’a glacée. »

Samedi, Ana est allée à Paris, de son propre chef, répondre à un appel à manifester d’un collectif naissant, La Force invisible. Sur un post Facebook, le rendez-vous était fixé à 14 heures sur le parvis de la Maison de la Radio. Une petite trentaine d’aides étaient présentes, avec des banderoles et des tee-shirts blancs, à l’écart des « gilets jaunes ».

En fin de journée, les participantes semblaient amères : « J’ai mené plusieurs manifs soutenues par la CGT cet été, devant les locaux de l’ADMR. J’ai fait grève, aussi. Et là, je ne sais plus comment faire bouger les choses, confie Ana. Mon employeur exige plus de contrôles sur les arrêts maladie, mais il ne s’intéresse pas à sa raison principale : le manque d’argent à la fin du mois. Combien de filles m’ont dit que sans la paie de leur mari elles ne survivraient pas ! »

Ana nous raconte comment une jeune maman a laissé un soir ses enfants de 6 et 8 ans seuls à la maison. « Elle est arrivée à l’ADMR l’an dernier, elle avait un contrat de quatre-vingts heures et souhaitait basculer rapidement vers un contrat de cent quatre heures. Bien sûr, ils lui ont fait du chantage, en lui donnant des heures du soir qu’elle ne pouvait pas refuser, alors qu’elle ne trouvait pas de moyen de garde pour ses gosses. Elle s’en est voulue à mort. Quand elles font les plannings, les maisons de services se fichent pas mal des contraintes de ces filles, de leur vie de famille. Au final, elles sont sur les nerfs, angoissent beaucoup et se mettent en arrêt. »

Ana décrit enfin les remplacements au pied levé, envoyé d’un clic de souris, à accepter sans sourciller : « Avant, tout se faisait au téléphone, mais, depuis quelques mois, les plannings sont envoyés par email, vers 17 heures, juste avant la fermeture des bureaux. Il est alors trop tard pour contester, demander un ajustement. C’est comme ça qu’on arrive à devoir commencer une heure plus tôt sans pouvoir déposer son enfant à l’école. Pour une jeune femme, c’est ingérable. »

Lyna, 59 ans, trois enfants, travaille depuis vingt ans déjà avec l’ADMR du Loir-et-Cher, sur un périmètre au nord de Blois. « J’ai fait beaucoup de métiers avant, j’ai distribué des prospectus, travaillé dans les cantines, fait le ménage dans les écoles, puis la nounou, comme une de mes filles aujourd’hui. » Son contrat de soixante-dix heures avec l’ADMR lui rapporte à peine 600 euros par mois.

« Petit à petit, les anciennes perdent leurs heures au profit des plus jeunes. On est plusieurs à constater cela. L’inspection du travail s’en est mêlée et l’ADMR nous a reçues en entretien pour savoir si nous voulions travailler plus. En fait, ça nous a plutôt incitées à chercher du travail ailleurs, à trouver des bénéficiaires en direct, qui nous paient en Cesu [chèque emploi service universel – ndlr]. »

La différence de paie est frappante. « Jusqu’à 14 euros net de l’heure pour du repassage. Avec l’ADMR, au bout de vingt ans d’ancienneté, j’en suis à 10,28 euros brut de l’heure, pour m’occuper de dames qui ont des maladies de type Charcot, Alzheimer ou Parkinson. » Son mari, jeune retraité, a transformé un atelier de leur maison, une ancienne ferme bordée de champs de céréales, en petit studio coquet qu’ils louent à l’année. « Ça me permet d’avoir enfin un revenu décent. »