La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Médiapart - Amiante : des dizaines de cheminots font condamner la SNCF

Décembre 2021, par Info santé sécu social

Ils sont 119 à avoir obtenu de la cour d’appel de Paris la condamnation de l’entreprise pour « préjudice d’anxiété ». La SNCF, qui n’a pas démontré les avoir fait travailler avec une protection adéquate ou les avoir informés des risques, devra leur verser dix mille euros d’indemnité à chacun.

Manuel Sanson (Le Poulpe)

20 décembre 2021 à 19h27

Rouen (Seine-Maritime).- C’est un cadeau de Noël dont la SNCF se serait à l’évidence passé. De sources concordantes, la cour d’appel de Paris a condamné le 16 décembre l’entreprise publique ferroviaire à indemniser 119 cheminots, aujourd’hui retraités, au titre de leur préjudice d’anxiété, pour avoir exercé leur activité au contact de l’amiante pendant de longues années. La SNCF doit verser plus de 1,2 million d’euros.

L’affaire est portée depuis 2013 par le syndicat Sud Rail Saint-Lazare. Environ 25 autres demandes similaires ont en revanche été rejetées par la juridiction. Une large part de ces dossiers concerne des salariés ayant eu à travailler, à partir des années 1970, dans deux ateliers SNCF situés dans l’agglomération rouennaise, à Sotteville-lès-Rouen et Saint-Etienne-du-Rouvray.

« D’anciens cheminots des ateliers des gares Saint-Lazare et de Lyon à Paris, de Metz et de Nancy sont également concernés », indique Dominique Malvaud, cheminot Sud rail retraité de Saint-Lazare, qui suit l’affaire depuis ses débuts.

« Ces ateliers ne sont pas destinés à la production ou à la transformation de l’amiante, mais ce minerai entrait dans la composition de certains équipements qui y étaient utilisés, et ce, à raison de ses propriétés isolantes », exposent les magistrats de la cour d’appel dans leur décision. Chacun des requérants se voit allouer la somme de 10 000 euros d’indemnisation pour préjudice moral.

Alors que leurs homologues de première instance avaient débouté les cheminots, les juges d’appel ont donné raison à ces derniers à la faveur d’un basculement récent de jurisprudence au niveau de la cour de cassation.

Préjudice d’anxiété « établi »
En 2019, la juridiction judiciaire suprême a ouvert la reconnaissance du préjudice d’anxiété à tous les salariés ayant œuvré au contact de la fibre tueuse, même s’ils n’étaient pas salariés des entreprises mentionnées dans un décret, restrictif et limité, édicté par l’État.

Dans l’une des 119 décisions rendues, que Le Poulpe a pu consulter, la cour d’appel de Paris considère que « doit être retenue la faute contractuelle engageant la responsabilité de la société SNCF Voyageurs ». Les juges notent que le salarié a versé à l’appui de sa requête le témoignage de proches évoquant « une forte perturbation, une forte inquiétude pour avoir été environné par l’amiante ».

La juridiction rappelle qu’il a fait l’objet d’un examen tomodensitométrique, le tout dans un contexte difficile dès lors que le lien entre l’exposition à l’amiante et le développement de cancers lui est connu. « Le préjudice d’anxiété qu’il invoque est donc établi », estime la décision.

« Alors qu’elle ne méconnaît pas la présence d’amiante dans les matériaux utilisés pour l’entretien ou la rénovation des équipements [...], la société ne démontre pas avoir mis à la disposition de son salarié des équipements adaptés de protection, ni même l’avoir informé des dangers qu’il pouvait encourir en raison de la présence d’amiante dans les matériaux utilisés », développe la cour d’appel.

La juridiction renvoie dans les cordes l’entreprise, qui s’est défendue en invoquant notamment le fait que les seuils réglementaires d’empoussièrement en fibres d’amiante avaient été respectés : « Il importe peu que soit évoqué le respect de textes réglementaires successifs relatifs au degré d’empoussièrement ou à des limites d’utilisation de l’amiante dès lors que le seul respect de ces dispositions ne démontre pas l’effectivité de la protection du salarié. »

Et d’enfoncer le clou sur les manquements de l’entreprise ferroviaire : « Si la consigne générale du 21 septembre 1987 démontre qu’à cette date, et contrairement à ce qu’elle affirme, la SNCF avait une parfaite conscience des dangers de l’amiante et des mesures à prendre pour en protéger ses salariés, ce document, dont aucun autre ne permet de connaître les suites effectives, ne suffit pas à démontrer que l’employeur avait pris les mesures nécessaires et mis à la disposition de ses employés des équipements de nature à protéger utilement leur santé contre l’inhalation des poussières d’amiante ou même seulement porté l’information à tous sur ce point. »

« Risque élevé de développer une maladie grave »
« La réalité du caractère nocif de l’amiante à laquelle M. X était exposé est établie », arguent ensuite les magistrats d’appel. « Le fait que d’anciens collègues de M. X, ayant travaillé au sein de l’établissement de Sotteville-lès-Rouen aient été atteints et soient pour certains décédés de maladies liées à une exposition à l’amiante n’est pas contesté par l’employeur, l’existence du risque élevé de développer une maladie grave liée à ce minerai étant dès lors confortée », ajoutent-ils.

« Outre le mésothéliome, cancer spécifique dont il est encore aujourd’hui considéré qu’il a, avec l’âge, pour seul facteur une exposition à l’amiante, il est également établi que les fibres de ce minerai ont une relation causale avec l’apparition de certains cancers bronchopulmonaires », rappellent les magistrats.

« Au regard de la dangerosité aujourd’hui reconnue de l’amiante, aucune évidence ni expérimentale ni épidémiologique ne permet d’établir l’existence d’un seuil d’innocuité et donc l’existence d’un risque simple et non élevé de développer une pathologie grave », développent-ils encore. Les dernières données scientifiques disponibles décrivent l’amiante comme une substance cancérigène sans seuil.

La SNCF dispose d’un délai de deux mois à compter de la signification de la décision de la cour d’appel aux requérants pour éventuellement se pourvoir en cassation. Si la procédure en reste là, ce sera l’épilogue d’une longue saga judiciaire entamée en 2013.

En parallèle de la procédure principale, Xavier Robin, l’avocat des requérants, avait fait condamner l’État en juillet 2020 pour « le dépassement excessif du délai raisonnable de jugement » à hauteur de 40 mois sur l’ensemble de la procédure. Chacun des plaignants – ils étaient environ 145 initialement – avait ainsi obtenu la somme de 8 000 euros. Soit une facture globale de près d’1,2 million d’euros à la charge du Trésor public.

Manuel Sanson (Le Poulpe)

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Cet article a été publié par Le Poulpe lundi 20 décembre 2021.

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