Emploi, chômage, précarité

Médiapart - Assurance-chômage : les allocations baisseront dès cet été

Mars 2021, par Info santé sécu social

2 MARS 2021 PAR CÉCILE HAUTEFEUILLE

Une partie de la réforme de l’assurance-chômage entrera en vigueur le 1er juillet 2021. La baisse des allocations est bel et bien la priorité du gouvernement. C’est la première mesure qui sera appliquée.

« La ministre s’entête et elle s’entête sur le dos des chômeurs ! », s’indigne Michel Beaugas, de Force ouvrière, à l’issue d’une ultime séance de concertation avec Élisabeth Borne. Une séance « sereine », selon le ministère du travail. « Tendue », aux dires de plusieurs négociateurs qui décrivent une ministre « sur la défensive ».

La version finale de la réforme a été présentée. Un décret sera publié dans les prochaines semaines et la réforme commencera à s’appliquer le 1er juillet prochain. Comme Mediapart l’a récemment détaillé, le mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) sera la première mesure à entrer en vigueur. Elle fera baisser les allocations chômage : celles-ci pourront être divisées par presque deux, dans le pire des cas.

Selon le ministère du travail, 800 000 demandeurs d’emploi seront concernés. Le cabinet d’Élisabeth Borne précise « que tous ne seront pas touchés d’un coup. Ce chiffre est une estimation dans le temps ».

« C’est un véritable scandale », tempête Denis Gravouil, de la CGT, qui prévient : « On n’en restera pas là. » Sous-entendu : un recours devant le Conseil d’État est déjà à l’étude. Un premier recours avait déjà fait tomber le mode du calcul du SJR, voulu par le gouvernement dans la version 2019 de la réforme.

« On punit les demandeurs d’emploi les plus précaires et on punira – peut-être – les entreprises », résume Michel Beaugas, en insistant volontairement sur le « peut-être ». Le bonus-malus censé sanctionner les employeurs qui abusent des contrats courts ne s’appliquera effectivement pas avant… septembre 2022. Sur Twitter, Laurent Berger, de la CFDT, a d’ailleurs dénoncé une « réforme injuste et déséquilibrée ».

Le ministère, lui, défend des « assouplissements » et des adaptations à la crise. Mais ils restent pour le moins minimes. La dégressivité des allocations pour les hauts revenus s’enclenchera ainsi à partir du neuvième mois de chômage et non plus à partir du septième. Le compteur commencera à tourner dès le 1er juillet 2021. Mais ce sera provisoire : dès le retour à un contexte économique favorable, la dégressivité reprendra à la fin du sixième mois, comme prévu par la réforme 2019. La baisse sera de 30 % pour les salariés qui percevaient un salaire brut mensuel de plus de 4 500 euros.

Enfin le voile a été levé sur les conditions d’ouverture des droits au chômage. Pour le moment, le seuil reste fixé à quatre mois de travail pour ouvrir et recharger des droits. Tous les demandeurs d’emploi sont concernés. Il n’y aura pas d’exception pour les jeunes, comme évoqué à l’automne dernier. Le seuil repassera à six mois, là encore, quand la conjoncture sera meilleure.

Deux indicateurs « de retour à meilleure fortune » permettront au gouvernement d’enclencher ces dernières mesures. Une baisse du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A (sans aucune activité) de 130 000 sur six mois. Et en parallèle, 2,7 millions d’embauches de plus d’un mois (hors intérim) sur quatre mois. « Ces critères seront facilement atteignables dès le mois de novembre 2021 », croit savoir Jean-François Foucard, de la CFE-CGC, qui s’interroge : Le pays ira-t-il vraiment mieux ? »

Nous republions ci-dessous notre article publié le 19 février 2021, où nous présentions les enjeux et les mesures de cette réforme.

* * *

« Prioritaire » et « absolument nécessaire ». La ministre du travail Élisabeth Borne ne cesse de le répéter : la réforme de l’assurance-chômage est « bonne » et ne finira pas aux oubliettes. Ses deux premiers volets, appliqués dès la fin 2019, ont été suspendus courant 2020, à cause de la crise du Covid-19. Un autre volet, prévu pour avril 2020, n’a jamais vu le jour : il a été reporté de trimestre en trimestre.

C’est justement pour adapter la réforme au contexte que des concertations ont été entamées, dès juillet dernier, avec les partenaires sociaux. Elles touchent à leur fin. Après une série de réunions bilatérales techniques, une rencontre multilatérale devrait se tenir fin février ou début mars. Puis viendra le décret. Et enfin, les premières applications, attendues, selon plusieurs organisations syndicales, dans le courant de l’été 2021.

Des allocations divisées par presque deux au lieu de quatre, dans le pire des cas
C’est la mesure la plus brutale et la plus impopulaire de la réforme. Mais visiblement, la plus urgente à appliquer aux yeux de l’exécutif. Elle sera sans doute la première à entrer en vigueur, dans la torpeur de l’été 2021 ; au 1er juillet ou au 1er août, selon les informations de Mediapart. Cette mesure modifie en profondeur le mode de calcul des allocations-chômage.

Comme Mediapart l’avait déjà détaillé ici, il s’agit d’une redéfinition sévère des règles de calcul du salaire journalier de référence (SJR) qui détermine le montant des allocations. Au lieu de partir d’une moyenne des salaires touchés les jours travaillés par un salarié pendant un an (comme c’est le cas depuis quarante ans), la nouvelle règle prendra également en compte des périodes d’inactivité, en remontant jusqu’à deux ans en arrière. C’est mathématique : en comptabilisant les périodes non travaillées – et en remontant plus loin dans le passé professionnel – la moyenne s’effondre. Le SJR est plus bas. Et avec lui, les allocations-chômage.

Dans la première version de la réforme, censée s’appliquer en avril 2020, toutes les périodes non travaillées – sans exception – étaient prises en compte. La baisse des allocations était drastique : divisées par quatre dans les cas les plus extrêmes. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a censuré cette formule, jugeant qu’elle portait atteinte au principe d’égalité.

« Le montant du salaire journalier de référence peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence », écrivait l’institution, pointant « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi ».

Mouché, le ministère n’a pas renoncé à modifier le mode de calcul du SJR. Il a trouvé une parade et souhaite appliquer un plancher. Toutes les périodes d’inactivité ne seraient pas prises en compte. La baisse du SJR ne pourrait pas dépasser 43 %. « On diviserait les allocations par presque deux au lieu de les diviser par quatre », commente Denis Gravouil, le négociateur CGT sur l’assurance-chômage.

Mediapart a pu consulter la simulation du ministère du travail, présentée aux partenaires sociaux. Actuellement, une personne qui a travaillé six mois (deux CDD de trois mois, payés au Smic, sur les 24 derniers mois) perçoit une allocation-chômage de 975 euros par mois, pendant six mois. Avec l’application d’un plancher, elle percevra 659 euros pendant un peu plus de dix mois au lieu des modiques 285 euros (pendant 24 mois) que lui aurait attribués la première version de la réforme. La baisse serait donc de 32 % contre 70 % initialement.

« Certes, la baisse est limitée avec l’instauration d’un plancher », commente Michel Beaugas, de Force ouvrière. « Mais ça reste non négligeable. Nous n’y sommes pas favorables. » Franc désaccord également de la CGT. Denis Gravouil tempête : « C’est formidable ! On va avoir une baisse des droits en plein été et en pleine crise. Le ministère instaure un plancher, mais peut-on vivre avec 659 euros par mois ? »

Les demandeurs d’emploi alternant contrats courts et inactivité seront les plus pénalisés. Car c’est bien le but, assumé, de la réforme. Mettre un terme à ce que Pierre Gattaz, alors patron du Medef, appelait « le scandale de l’optimisation des chômeurs ». À l’écouter, les demandeurs d’emploi seraient de fins stratèges qui travaillent quelques mois, rechargent des droits et « profitent » ensuite tranquillement du chômage.

Aujourd’hui, le discours politique est focalisé sur le montant des allocations et le problème « d’équité » entre ceux qui travaillent en continu et ceux qui alternent les petits contrats. La ministre du travail le martèle dans les médias : « Il est difficilement compréhensible qu’un salarié qui travaille à mi-temps tous les jours ait une allocation qui soit la moitié de celle versée à celui qui travaille à temps plein mais un jour sur deux. » En réalité, si l’allocation peut être plus élevée, elle est versée sur une durée beaucoup plus courte. Bizarrement, personne ne le souligne.

Autre précision de taille : plus un chômeur a une durée de droit courte, plus vite il va retravailler. L’Unédic, le gestionnaire de l’assurance-chômage, l’a démontré dans une note publiée il y a deux ans : 63 % des personnes qui ont ouvert cinq mois de droits reprennent une activité au bout de trois mois.

On est loin du fantasme du chômeur attendant d’avoir épuisé ses allocations pour chercher un emploi. Qu’importe : la règlementation est complexe et le ministère peut brandir sans trop être contredit des arnaques intellectuelles pour assurer le service après-vente de sa réforme.

Une réforme censée être plus juste et efficace pour lutter contre les contrats courts. Il s’agit de réduire la précarité « en agissant à la fois sur les allocations et les employeurs », affirme le cabinet d’Élisabeth Borne. Pourtant, selon Denis Gravouil, le gouvernement envisage de « faire les choses à l’envers » en pénalisant d’abord les travailleurs par intermittence avant de s’attaquer aux employeurs qui leur proposent des contrats courts.

Bonus-malus : un équilibre, vraiment ?
C’est le « en même temps » de la réforme. Le volet « justice sociale » prévoyant la taxation des contrats courts. Il s’agit d’instaurer un bonus-malus pour contraindre les employeurs à des pratiques plus saines. Ceux qui abusent des contrats courts verront leurs cotisations augmenter. Et inversement. Les détails de ce volet ne sont pas encore connus. Une mission confiée conjointement sur le sujet à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à celle des finances (IGF) n’a pas encore rendu son rapport.

Le ministère promet une application « synchronisée » de cette mesure avec celle concernant le SJR et donc, la baisse des allocations. Pour ne pas donner l’impression que seuls les chômeurs vont en pâtir. Sauf que... là encore, c’est une petite entourloupe.

« On va commencer à regarder le comportement des entreprises dès l’été 2021 », détaille Denis Gravouil. « Le ministère fait croire qu’il y a un équilibre et va annoncer que les mesures se déclenchent en même temps. Mais en réalité, le bonus-malus sera effectif sur les cotisations un an plus tard ! », s’insurge-t-il.

« Pour que ce soit réellement équilibré, il faudrait que la baisse des allocations intervienne également à l’été 2022 », abonde Michel Beaugas, de Force ouvrière, sans trop y croire. Ce dernier rappelle que la future convention d’assurance-chômage commencera à être discutée dès l’automne 2022. Et plaide pour la suppression pure et simple de la réforme. « Autant laisser couler les règles actuelles, celles de la convention 2017, jusqu’à la suivante. »

Mais là encore, il n’y croit guère. « Politiquement, renoncer à la réforme d’assurance-chômage, c’est impossible ! Il n’y aura pas de réforme des retraites, ils ne peuvent pas tout laisser tomber. »

Ouverture des droits : assouplir puis appliquer. Mais quand ?
Ce volet de la réforme avait commencé à s’appliquer dès le mois de novembre 2019, quelques mois avant la pandémie. Il a finalement été suspendu fin juillet 2020. Il durcissait les conditions d’ouverture et de rechargement des droits. Six mois de travail étaient nécessaires, au lieu de quatre, pour pouvoir bénéficier d’une allocation-chômage. Le seuil passait également à six mois pour recharger au lieu de 150 heures (environ un mois) auparavant.

Les premiers mois d’application ont été redoutables : l’Unédic a comptabilisé 20 000 rejets d’ouverture de droit par mois « pour cause d’affiliation insuffisante » entre novembre 2019 et février 2020. Dans les mois qui ont suivi, des dizaines de milliers de précaires ont continué d’être brisés, en silence et en pleine pandémie, par cette mesure, comme Mediapart a pu le documenter.

Depuis juillet, le seuil de quatre mois est de nouveau en vigueur pour l’ouverture et le rechargement. Une mesure provisoire, en attendant une meilleure conjoncture économique ; le « retour à meilleure fortune » pour reprendre une expression chère au cabinet d’Élisabeth Borne.

Plusieurs pistes sont maintenant sur la table : maintenir ces seuils pour tout le monde en attendant la reprise économique. Ou alléger la mesure mais uniquement pour les jeunes. De quels jeunes parle-t-on ? Moins de 30 ans ? Moins de 26 ans ? « Ce n’est pas encore très clair », commente Jean-François Foucard, de la CFE-CGC.

Dégressivité des allocations : au bout de neuf mois au lieu de sept ?
C’est une autre mesure entrée en vigueur dès novembre 2019 puis suspendue pour cause de crise. La dégressivité des allocations-chômage pour les hauts revenus. La réforme prévoit une baisse de 30 % des allocations à partir du septième mois de chômage pour les salariés qui percevaient un salaire de plus de 4 500 euros brut mensuel. Elle pourrait être assouplie : la dégressivité serait effective au bout de neuf mois plutôt que sept. Là encore, en attendant un « retour à meilleure fortune ».

Comment seront définis ces critères de meilleure santé économique ? C’est toujours flou. « On ne sait pas si on va se focaliser sur le taux de chômage ou les chiffres de Pôle emploi, explique Jean-François Foucard. On ne sait pas non plus quelle durée sera fixée pour considérer que les indicateurs sont stabilisés. »

En attendant la prochaine réunion multilatérale, qui devrait éclaircir ces points, une dernière question se pose. Introduire une modulation des règles d’assurance-chômage en fonction de la santé économique du pays serait une nouveauté. Et n’est pas sans rappeler les récentes préconisations, pour le moins fracassantes, du Conseil d’analyse économique.

Publiée début janvier 2021, cette note propose d’adapter le montant des allocations-chômage en fonction de la conjoncture. Elle est signée, entre autres, par un certain Pierre Cahuc. Un économiste dont les idées, dès 2015, ont largement inspiré... l’actuelle réforme de l’assurance-chômage.