Amerique du Nord

Médiapart - Aux Etats-Unis, Trump instrumentalise le vaccin anti-Covid

Septembre 2020, par Info santé sécu social

23 SEPTEMBRE 2020 PAR FRANÇOIS BOUGON

Le président américain pense avoir trouvé l’arme fatale contre son rival démocrate Joe Biden : un vaccin anti-SARS-CoV-2 avant le 3 novembre, jour de l’élection. Quitte à vouloir accélérer les procédures et faire pression sur l’administration.

Rien n’échappe à la polarisation exacerbée de la campagne présidentielle américaine. Et, en ces temps de pandémie de Covid-19, la course aux vaccins contre le virus SARS-CoV-2 est polluée par l’affrontement entre Donald Trump, le président républicain sortant, et son rival démocrate, Joe Biden.

Le premier a lancé en mai à la Maison Blanche l’opération « Warp Speed » (« vitesse de l’éclair »), dont le nom résume tout l’enjeu : arriver à mettre au point un vaccin le plus rapidement possible en mobilisant les ressources de l’administration, de l’armée et du secteur privé. L’objectif est de produire d’ici la fin de l’année 2020 des dizaines de millions de doses efficaces et sûres, approuvées par la Food and Drug Administration (FDA), l’administration chargée d’autoriser la commercialisation des médicaments sur le sol américain, et d’avoir quelque 300 millions de doses à la mi-2021.

Comme le souligne l’un de ses responsables, l’immunologiste marocain à la retraite, ancien dirigeant du géant mondial de l’industrie pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK), Moncef Slaoui, « le rythme et la portée d’un tel effort de vaccination sont sans précédent ». Le budget est à la mesure de l’enjeu : dix milliards de dollars pour huit candidats aux vaccins. Et les procédures pourront être accélérées par la FDA dans le cadre d’un processus accéléré dit « emergency use authorization (EUA) » (autorisation d’utilisation d’urgence).

Martial, Donald Trump a même comparé « Warp Speed » au projet Manhattan qui permit aux États-Unis en plein effort de guerre de se doter de la première bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale...

Interrogé par le site Science, Moncef Slaoui a assuré ne pas subir de pressions politiques pour que le vaccin soit disponible avant le 3 novembre, date de la présidentielle, assurant vouloir disposer d’un vaccin sûr et efficace avant tout.

« Si un vaccin [a des preuves de sécurité et d’efficacité] le 25 octobre, l’autorisation sera demandée le 25 octobre. Si c’est le 17 novembre, ce sera le 17 novembre. Si c’est le 31 décembre, ce sera le 31 décembre. On doit être absolument protégé de la politique. Je ne peux pas contrôler ce que les gens disent. Le président dit des choses, d’autres diront des choses. Croyez-moi, aucune EUA ne sera déposée si ça ne va pas », a-t-il affirmé.

Mais ces prises de position n’ont pas été suffisantes. Le thème a forcément fait irruption dans la campagne, Donald Trump ne faisant guère dans la nuance. Lui qui auparavant ne faisait pas mystère de ses doutes sur les vaccins – il avait repris des allégations infondées sur le lien entre la vaccination des enfants et l’autisme, et avait affaibli à son arrivée à la Maison Blanche le système de vaccination étasunien (lire ici) – se trouve aujourd’hui à les défendre de manière très cynique, car il y voit un bon moyen de redorer son blason auprès de l’électorat après sa gestion désastreuse de la pandémie.

Selon CCN, il ferait même pression sur la FDA pour accélérer la cadence et obtenir une autorisation avant le 3 novembre. « Nous sommes très proches d’avoir un vaccin. Si vous voulez savoir la vérité, l’administration précédente aurait tardé peut-être des années pour avoir un vaccin à cause de la FDA et de toutes les approbations. Et nous sommes à quelques semaines de l’avoir... cela pourrait prendre trois, quatre semaines », a-t-il affirmé le 15 septembre. Le lendemain, il remettait ça en promettant un vaccin à la mi-octobre.

Enfin, dans son discours enregistré pour la 75e Assemblée générale des Nations unies mardi 22 septembre, il est revenu sur la question, accusant de nouveau la Chine d’« avoir déchaîné ce fléau sur le monde ». « Grâce à nos efforts, trois vaccins sont en phase finale d’essais cliniques. Nous les produisons en masse à l’avance afin qu’ils puissent être livrés dès qu’ils seront disponibles. Nous distribuerons un vaccin, nous vaincrons le virus, nous mettrons fin à la pandémie et nous entrerons dans une nouvelle ère de prospérité, de coopération et de paix sans précédent », a-t-il fanfaronné.

Le bilan des morts dus au Covid-19 aux États-Unis a en effet dépassé les 200 000 morts, soit le plus élevé au monde devant le Brésil, l’Inde et le Mexique. « Le nombre de morts équivaut à une attaque du 11-Septembre chaque jour pendant 67 jours. Il est à peu près égal à la population de Salt Lake City ou de Huntsville, en Alabama », a écrit l’agence de presse américaine Associated Press. Donald Trump a refusé de s’exprimer lorsqu’il a été interrogé par une journaliste. « Quelqu’un d’autre ? », a-t-il esquivé.

Tout comme il a écarté un autre sujet controversé soulevé par le directeur du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies Robert Redfield lors d’une audition au Sénat. Ce dernier a expliqué ne pas disposer d’un budget suffisant pour la distribution en 24 heures d’un éventuel vaccin. Réponse toute trumpienne du président des États-Unis : « Je pense qu’il a probablement mal compris la question. »

Du côté des démocrates, la riposte n’est pas évidente. Il s’agit de ne pas jeter le bébé (un possible vaccin) avec l’eau du bain (Donald Trump). Un exercice pas toujours facile, alors que les républicains n’hésitent pas à caricaturer toute prise de position. C’est ce qui s’est passé avec la colistier de Joe Biden, Kamala Harris, interrogée par CNN sur la question du vaccin. « Je ne ferai pas confiance à Donald Trump et il faudra que ce soit une source d’information crédible qui parle de l’efficacité et de la fiabilité de ce dont [Trump] parle. »

Les républicains ont sonné la charge, l’accusant de ne pas vouloir le bien des Américains. Le vaccin contre la mauvaise foi n’a toujours pas été inventé et Trump et ses partisans peuvent continuer leur campagne de manipulation.