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Mediapart : Avec sa réforme des retraites, le gouvernement braque ses derniers alliés

Décembre 2019, par infosecusanté

Mediapart : Avec sa réforme des retraites, le gouvernement braque ses derniers alliés

11 décembre 2019|

Par Dan Israel et Ellen Salvi


Édouard Philippe a présenté ce mercredi le projet du gouvernement pour réformer le système des retraites. Persuadé d’emporter l’adhésion de la CFDT en accordant quelques concessions, comme le décalage de la date d’application de la réforme, le premier ministre s’est pourtant mis le syndicat à dos. Laurent Berger appelle « l’ensemble des travailleurs à se mobiliser le 17 décembre ».

L’exécutif pensait que le discours du premier ministre serait un point d’atterrissage. Ce sera peut-être le début d’une vraie zone de turbulences. Comme il l’avait promis la semaine dernière, Édouard Philippe a présenté, mercredi 11 décembre, le projet du gouvernement pour réformer le système de retraites. Sans surprise, la CGT et FO l’ont rejeté, appelant à de nouvelles actions locales le 12 décembre et à des manifestations massives le 17 décembre.

L’espoir que l’exécutif avait placé dans les annonces délivrées pendant une heure devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a été anéanti en l’espace d’une petite minute par le secrétaire général de la CFDT, seul syndicat d’envergure à soutenir le principe d’un régime universel par répartition et par points. « Pour la CFDT, il y avait une ligne rouge dans cette réforme : ne pas mélanger la nécessité d’une réforme systémique pour rendre le système plus juste, plus lisible, et la réforme paramétrique qui demanderait aux travailleurs de travailler plus longtemps. Cette ligne rouge est franchie », a commenté dès la fin du discours son secrétaire général Laurent Berger.

Après avoir réuni son bureau national dans l’après-midi, le syndicat a appelé « l’ensemble des travailleurs à se mobiliser le 17 décembre », jour de la prochaine grosse manifestation annoncée par les autres centrales. « La CFDT veut que le gouvernement revienne en arrière sur le fait de faire travailler les gens plus longtemps dès 2022 », a indiqué Laurent Berger au « 20 heures » de France 2 3, fidèle aux positions qu’il défend publiquement depuis plusieurs mois déjà. Devant Anne-Sophie Lapix, il a dénoncé une « technocratie de comptables ».

Mardi, le duo exécutif était pourtant rassuré après avoir observé la deuxième journée de manifestations nationales. « La baisse de mobilisation les rend euphoriques », commentait l’un de leurs visiteurs réguliers. Preuve de cette confiance retrouvée, le porte-parolat du gouvernement n’avait livré aucun élément de langage sur la mobilisation. C’est donc dans ce climat de sérénité qu’Emmanuel Macron, Édouard Philippe, les ministres concernés et les dirigeants de la majorité se sont retrouvés le soir à l’Élysée pour caler les derniers arbitrages de la réforme.

« Il me semble que les garanties données justifient que la grève, qui pénalise des millions de Français, s’arrête », a même estimé le premier ministre dans son discours, lui qui assurait pourtant la veille, devant les députés de la majorité, qu’il n’existait pas d’« annonces magiques » capables de « faire cesser les manifestations ». « Nous allons discuter [avec les partenaires sociaux – ndlr], ma porte est ouverte, ma main est tendue », a-t-il assuré mercredi après-midi au Sénat, sans pour autant laisser entendre qu’il pourrait revenir sur tout ou partie de ses annonces. Avant de répéter comme un mantra au « 20 heures » de TF1 3 : « Je suis ferme, mais pas fermé. »

Le gouvernement était persuadé d’emporter l’adhésion de la CFDT, notamment en reculant largement la date d’application de la réforme et la suppression des régimes spéciaux, mais aussi en acceptant d’attendre 2027 – au lieu de 2025, comme proposé initialement – pour atteindre l’équilibre financier du système. Il a aussi acté que le futur « organe de gouvernance », qui sera formé par les syndicats et le patronat, aura la main sur la façon d’atteindre cet équilibre.

« J’ai entendu ceux qui, à la CFDT, l’UNSA, la CFTC, nous appellent à ne pas tout mélanger », a souligné Édouard Philippe devant le CESE. Pour autant, a-t-il exhorté, il ne faut « pas fuir nos responsabilités en renvoyant au-delà du quinquennat » les décisions effectives sur les mesures d’équilibre. Et de prévenir : « Sans forcer, il faut inciter les Français à travailler plus longtemps. » L’État veillera donc à ce qu’un âge d’équilibre à 64 ans soit mis en place dès 2027.

De fait, même si l’âge légal de départ restera fixé à 62 ans, les Français partant avant 64 ans subiront donc un fort malus – 5 % par année de différence, suggérait le rapport Delevoye paru au mois de juillet. Ceux qui partiront plus tard obtiendront un bonus. 64 ans, « ce sera, selon les projections, l’âge moyen auquel les salariés partiront à la retraite dans 5 ans », a argumenté le premier ministre devant le CESE.

Mais il s’est bien gardé de donner le détail, dévoilé dans le dossier de presse 3 présentant la réforme : si les partenaires sociaux ne se mettent pas d’accord sur des mesures d’économie, le gouvernement prévoit déjà que l’âge d’équilibre soit mis en place dès 2022. Il sera alors de 62 ans et 4 mois, et « augmentera ensuite de 4 mois par an pour rejoindre progressivement l’âge d’équilibre du futur système ». Autrement dit, la promesse d’Emmanuel Macron, le 13 mars 2017 sur TF1, de ne pas « faire des économies aujourd’hui sur le dos des retraités ou de ceux qui vont partir en retraite » ne sera pas tenue. On comprend mieux la réaction du dirigeant de la CFDT, qui n’en est pas à sa première déconvenue avec ce gouvernement.

Depuis un an, Laurent Berger a en effet subi une succession de revers qu’il n’a pas digérés et qui ont transformé la mesure d’économie annoncée mercredi en fatale goutte d’eau. En novembre 2018, au démarrage du mouvement des gilets jaunes, il avait vu sa proposition de « pacte social de la conversion écologique » être balayée en trente secondes par Édouard Philippe. Quelques semaines plus tard la CFDT assistait également, impuissante, à la reprise en main des règles de l’assurance-chômage par l’exécutif, « une tuerie », selon Berger.

S’agissant des retraites, voilà des mois que le responsable syndical se dit « très clairement favorable » à un régime universel à condition qu’il ne s’agisse pas d’« une réforme d’équilibre financier ». Ce débat entre le « systémique » et le « paramétrique », qui a empoisonné les discussions durant de longues semaines, a donc été tranché en défaveur de la CFDT. « Quand vous êtes en situation critique, vous ne pouvez pas vous désintéresser de l’équilibre… », justifie un proche d’Emmanuel Macron.

Comme il le fait depuis un moment déjà, le premier ministre a insisté dans son discours sur la « responsabilité » vis-à-vis des « jeunes générations » et l’impossibilité, à ses yeux, de « leur demander de financer, en plus de nos retraites, des déficits que nous aurions accumulés parce que nous ne voudrions pas, nous, payer la totalité de la retraite de nos parents ». Pour les économies, le gouvernement veut donc aller vite. Et prévient les éventuelles critiques : « Je n’exclus pas que ceux qui nous accusaient hier d’aller trop lentement ne manqueront pas de dire que nous allons maintenant trop vite », a dit Édouard Philippe.

Ce dernier a d’ailleurs présenté un calendrier à court terme, puisque « le projet de loi de réforme des retraites sera prêt à la fin de l’année ». « Nous le soumettrons au conseil des ministres le 22 janvier. Il sera discuté au Parlement à la fin du mois de février », a-t-il précisé. Malgré quelques références à Pierre Mendès France, Michel Rocard, de Gaulle et Georges Pompidou – pour une fois le nom de son mentor Alain Juppé n’a pas été cité et on imagine bien pourquoi –, le chef du gouvernement s’est surtout concentré sur les détails techniques de la réforme, en les présentant sous leur meilleur jour.