Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Campagne vaccinale anti-Covid : un défi éthique bien plus que logistique

Décembre 2020, par Info santé sécu social

4 DÉCEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Selon le plan national détaillé jeudi par Jean Castex, un million de personnes vont être invitées à se faire vacciner contre le Covid dès janvier : les personnes âgées en Ehpad et une partie du personnel. Si le gouvernement insiste sur le défi logistique, les médecins se posent surtout des questions éthiques.

Le premier ministre Jean Castex a présenté, jeudi 4 décembre, les grandes lignes de la campagne vaccinale qui va s’ouvrir, avec une première phase dans les maisons de retraite. En janvier et février, le gouvernement prévoit que 1 million de personnes se fassent vacciner : les 600 000 résidents des Ehpad, ainsi que les professionnels qui y travaillent, s’ils courent le risque de présenter des formes graves, comme l’a recommandé la Haute Autorité de santé lundi.

Les autorisations de mise sur le marché des vaccins des laboratoires Moderna et Pfizer devraient être déposées dans les tout prochains jours auprès de l’Agence européenne du médicament, qui pourra se prononcer à partir des données complètes des études de phase 3, qui ne sont toujours pas publiées (lire ici). Ensuite, en France, la Haute Autorité de santé sera chargée d’évaluer les vaccins et de diffuser l’information scientifique.

Jean Castex a précisé « la responsabilité de l’État : que tout vaccin mis sur le marché ait bien reçu toutes les autorisations nécessaires pour assurer la sécurité sanitaire des Français. De garantir que les vaccins autorisés arrivent rapidement et dans le cadre d’une logistique efficace ».

L’approvisionnement en vaccins a été sécurisé au niveau européen, pour peser plus fortement dans la négociation : six contrats ont été signés, pour 1,3 milliard de doses. La France a droit à 200 millions de doses. Le vaccin s’administrant en deux fois, la France aurait donc de quoi vacciner 100 millions de personnes, si toutes les précommandes étaient confirmées. « C’est la marge de sécurité que nous prenons car certains des vaccins en cours de développement pourraient ne pas obtenir in fine leur autorisation, et parce qu’un taux de perte doit être pris en compte », a indiqué le premier ministre. Il a aussi précisé : « Nous ne paierons que ce qui sera livré. »

Le budget prévisionnel de cette campagne de vaccination atteint 1,5 milliard d’euros pour la France.

Le ministre de la santé a, lui, prévenu : « Au cours des prochains mois, le vaccin ne va pas changer le cours de l’épidémie. » Les premières données indiquent en effet que les vaccins peuvent diminuer la mortalité du Covid. Mais il n’existe pas de données sur l’immunité des personnes vaccinées, et aucune certitude sur la part de la population à vacciner pour atteindre l’immunité collective, seule capable d’arrêter l’épidémie.

Le premier vaccin livré sera celui de Pfizer-BioNTech. Or, il pose un « défi logistique immense », a insisté le ministre de la santé Olivier Véran, lors de la conférence de presse. Il doit être conservé à – 80 degrés, dans des « super-congélateurs », de la livraison au stockage.

La logistique arrêtée par le gouvernement s’appuie sur les acteurs habituels de la distribution des médicaments, les répartiteurs pharmaceutiques. Ceux-ci livreront le vaccin décongelé, aux pharmacies intérieures des Ehpad ou aux pharmacies d’officine qui les fournissent. Ils seront alors conservés dans un congélateur classique, mais devront être administrés dans les 5 jours, par lots de 10. Il y a 21 jours d’intervalle entre les deux injections du vaccin.

Le docteur Gaël Durel, président de l’Association nationale des médecins coordonnateurs du médico-social, ne voit pas, à son niveau, de difficultés particulières : « Organiser une campagne de dépistage par test PCR dans la journée est beaucoup plus complexe. »

Pour ce médecin en Ehpad, le vrai défi est d’ordre « éthique », et de nombreuses questions restent en suspens. Son association les a adressées à la Haute Autorité de santé (HAS) et attend ses retours. Par exemple, « faut-il vacciner les personnes âgées qui ont déjà eu le Covid ? Faut-il pratiquer des sérologies, et ne vacciner que les personnes négatives », c’est-à-dire celles qui n’ont pas d’anticorps ? Le médecin défend « une approche individualisée de la vaccination, fondée sur un raisonnement médical, qui évalue le bénéfice et le risque de la vaccination ». Par exemple, « est-ce qu’un résident en fin de vie, avec un cancer métastasé doit être vacciné ? Il faut montrer aux familles qu’on vaccine à bon escient ». Il attend des études plus poussées sur « les effets de la vaccination sur les personnes âgées poly-pathologiques… nous manquons de données ».

« Mais nous accueillons positivement le fait que les personnes les plus vulnérables soient prioritaires, complète le médecin. Il y a urgence dans les Ehapd. Nous n’allons pas pouvoir tenir les gestes barrières éternellement, 15 à 20 % des familles ne les respectent pas. »

Le ministre de la santé a précisé que le vaccin serait administré après une consultation médicale, une information sur le bénéfice/risques du vaccin, et le recueil du consentement de la personne âgée ou sa tutelle, si elle n’est pas en capacité de le donner.

Ce consentement n’est pas acquis, selon Claude Rabatel, médecin coordonnateur dans deux Ehpad de la région parisienne, également membre de l’Association nationale des médecins coordonnateurs du médico-social : « J’ai organisé une réunion Zoom avec les familles la semaine dernière, mon impression est qu’il y a beaucoup de réticences. »

« À chaque consultation, nos patients nous interrogent »
La deuxième phase de la vaccination débutera à partir du mois de mars 2021 et concernera 14 millions de personnes, dans l’ordre arrêté par la HAS : les personnes ayant plus de 75 ans, puis les personnes de 65 à 74 ans ayant une comorbidité, puis les autres personnes de 65-74 ans, mais aussi les professionnels du secteur de la santé, du médico-social et du transport sanitaire, en priorisant les plus de 50 ans et ceux ayant des fragilités.

Dans une troisième phase, à partir du printemps, la vaccination sera élargie au reste de la population, en commençant par les personnes les plus fragiles au virus et celles qui sont le plus exposées au public, comme les enseignants. Les enfants ne sont pour l’instant pas visés.

Si l’Allemagne a fait le choix de monter des centres de vaccination, par souci d’efficacité, la France opte plutôt pour la « proximité ». « Il est souhaitable que le médecin généraliste soit au cœur du dispositif, et en particulier le médecin traitant », a expliqué Jean Castex. Le premier ministre et le ministre de la santé n’ont pas pu détailler le dispositif, puisque les vaccins disponibles et leurs modalités d’administration ne sont pas encore connus.

La médecin généraliste Margot Bayart, vice-présidente du syndicat MG France, s’en réjouit : « Nous voulons être associés à la stratégie vaccinale. Les médecins ont d’abord besoin d’être convaincus, se sentir en sécurité vis-à-vis des effets indésirables du vaccin. Nous sommes les mieux placés pour convaincre. À chaque consultation, les patients nous interrogent : que pensez-vous de cette vaccination, docteur ? Il y a beaucoup de méfiance, même chez les personnes les plus âgées. Si le bénéfice de la vaccination en Ehpad est évident, tant le Covid y fait des ravages, il l’est moins pour les personnes âgées qui vivent à leur domicile. »

Le premier ministre s’est engagé hier vis-à-vis des Français sur la « transparence » : « Je souhaite que les Français aient accès à toute l’information dont nous disposerons nous-mêmes. » Cela passera par des débats au Parlement d’une part, mais aussi par le travail d’un conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, qui chapeautera différents comités : le comité technique vaccin, présidé par Marie-Paule Kieny, un autre associant les professionnels de santé, les fédérations d’établissements et associations de patients, un comité d’élus et enfin un comité de citoyens, animé par le conseil économique social et environnemental (CESE).

Ce conseil d’orientation de la stratégie vaccinale est présidé par le professeur d’immunologie pédiatrique Alain Fischer, qui s’est présenté lors de la conférence de presse. Il est familier de l’exercice : en 2016, il a présidé la concertation citoyenne sur la vaccination, voulue par la ministre de la santé Marisol Touraine.

Il a fait d’entrée preuve de transparence. S’il s’est déclaré agréablement surpris par la « qualité des premiers résultats » fournis par Pfizer et Moderna, il a aussi rappelé que seuls des communiqués de presse ont été diffusés et qu’il faut attendre les publications scientifiques. Il a également souligné que l’évaluation de la sécurité des vaccins, sur quelques dizaines de milliers d’individus, « ne dépassait pas deux à trois mois », et qu’elle devait être complétée concernant les personnes âgées. Il n’a pas évacué non plus le sujet des vaccins ARN, ceux de Pfizer et Moderna, rappelant que cette stratégie vaccinale était « nouvelle », précisant « qu’elle n’a jamais été utilisée chez l’homme à grande échelle ».

Le sujet de la pharmacovigilance, c’est-à-dire la remontée et l’étude de tous les effets indésirables, sera majeur. Ce sera la mission de l’Agence nationale de sécurité du médicament. Peut-être plus important encore : Alain Fischer a annoncé le suivi sur le long terme par l’Inserm, c’est-à-dire la recherche publique, d’une cohorte de sujets vaccinés.

Les liens d’intérêts d’Alain Fischer avec l’industrie pharmaceutique sont minimes : un peu plus de 1 000 euros depuis 2014, selon la base Transparence santé.

Le ministre de la santé a enfin tenu à balayer la polémique autour de Louis-Charles Viossat, qui pilote la « task force vaccin » au sein du ministère, après plusieurs allers et retours entre la haute fonction publique et l’industrie pharmaceutique. Le ministre a expliqué que le rôle de cette « task force » se cantonnait à un rôle « logistique » d’organisation de la campagne vaccinale et n’avait « pas de rôle décisionnel ».