Le chômage

Médiapart - Ce que signifie l’obsession du contrôle des chômeurs

Octobre 2017, par Info santé sécu social

19 octobre 2017| Par Romaric Godin

La proposition d’un « contrôle journalier » des chômeurs de Pierre Gattaz n’est pas le fruit d’un esprit farfelu, c’est la partie visible d’une logique plus profonde qui réduit le chômeur à n’être qu’un simple instrument de la politique du coût du travail.

La remarque de Pierre Gattaz, le président du Medef, suggérant mardi 17 octobre pour les chômeurs un « contrôle journalier » pourrait simplement prêter à sourire tant elle est caricaturale. Qui contrôlerait les chômeurs ? Pierre Gattaz serait-il prêt à renoncer à une partie du CICE pour financer les recrutements nécessaires ? Comment seraient-ils contrôlés ? Quel est le sens de ce contrôle dans une démarche de recherche d’emplois ? Tout cela prête évidemment à rire. Mais on aurait tort, alors que s’ouvrent les discussions sur la réforme de l’assurance-chômage, de traiter par le seul mépris, portant fort mérité, ce type de remarques. Il est révélateur de l’état d’esprit nouveau qui domine la France depuis l’élection d’Emmanuel Macron.

D’abord, les forfanteries de Pierre Gattaz interviennent dans un contexte où le chômeur est par nature suspect. Dans son interview fleuve au Point du 31 août, le président de la République avait tracé les lignes de la réforme : « Au deuxième refus [d’un emploi proposé], les droits seront perdus. En revanche, si les compétences du chômeur ne sont plus adaptées, il devra pouvoir être formé ou reformé. » L’ambition de l’exécutif sera donc de « remettre la France au travail », comme l’a dit peu auparavant le chef de l’État. Le ton était donné : la France, ce pays de « fainéants », doit retrouver le chemin du travail. Dans une telle vision, le chômeur n’est pas victime, il est criminel et doit être châtié. Dans cette vision, ce n’est plus un citoyen, mais juste un fardeau puisqu’il ne répond plus à la seule fonction reconnue, celle d’homo œconomicus.

Quelques jours avant Pierre Gattaz, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner avait ainsi fustigé ceux qui étaient tentés de « partir deux ans en vacances grâce à l’assurance-chômage ». On comprend qu’un tel scandale appelle immédiatement des contrôles étroits. Et, du reste, si ce même Christophe Castaner a « douté du succès » 3 de la proposition de Pierre Gattaz, il a reconnu que le « patron des patrons » était « légitime » à faire cette proposition. Ce détail n’en est pas un : reconnaître la légitimité d’une proposition aussi absurde traduit un certain état d’esprit qui place immédiatement le problème du chômage au niveau du seul contrôle et de l’efficacité de ce dernier.

Dès lors, le chômage n’est plus perçu comme un problème économique, mais comme un problème sociétal qui appelle une réponse du même type, certes en partie préventive (c’est la « formation »), mais aussi – et surtout – répressive (c’est le contrôle). Rien n’est, du reste, plus logique. Avec la loi travail et ses précédents, puis avec ses mesures fiscales, le gouvernement estime avoir réglé l’essentiel des déséquilibres économiques du pays. S’il reste des chômeurs, ce ne peut être que de deux types : des inadaptés et des paresseux. On leur enverra donc des maîtres et des policiers pour qu’ils évitent de coûter cher. La « nationalisation » annoncée de l’assurance-chômage est le couronnement de cette logique : il n’est pas besoin d’une « assurance » mais d’une action régalienne de l’État pour lutter contre le chômage.

« Nul ne doit faire payer à la société le fardeau de sa paresse ou de son imprévoyance », disait déjà Adolphe Thiers à la tribune de l’Assemblée constituante en 1848, l’année même où le gouvernement provisoire de la deuxième République, qui s’apprêtait à faire tirer sur les ouvriers parisiens, réduisait de moitié l’indemnité des chômeurs « payés à ne rien faire ». Comme souvent avec ce gouvernement et ce patronat qui n’ont que les mots de « modernisation », « d’agilité » et « d’innovation » à la bouche, ce sont en réalité les vieux réflexes conservateurs du XIXe siècle qui se révèlent dans ces obsessions. En elles, « les hommes de bien » sont seuls respectables. Les chômeurs doivent être remis au travail pour pouvoir alléger les impôts des plus fortunés, « pour qu’ils créent des emplois », ne cessent de proclamer le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire, partisan d’une autre théorie périmée, celle du « ruissellement ».

Peu importe que la réalité se montre rétive à cette vision caricaturale. Peu importe qu’il existe des chômeurs malheureux de l’être n’ayant guère besoin d’être fustigés pour chercher des emplois qu’ils ne trouvent pas, même en étant formés. Et peu importe que ce soit sans doute la majorité. Peu importe que l’efficacité des sanctions soit controversée (les études pouvant l’identifier ont été réalisées dans des conditions de plein emploi). Peu importe enfin qu’il existe de sérieux indices de vrais problèmes économiques à l’origine du chômage qui ne seront pas réglés par les méthodes éculées du gouvernement. L’essentiel est ailleurs.

L’essentiel, c’est de donner libre cours aux vieilles rengaines simplistes et, pour tout dire, « populistes » de la droite historique française. On caresse ainsi dans le sens du poil le citoyen qui travaille dur, paie ses impôts pour financer les « assistés » et rêve de devenir riche par son labeur. On le fait en jetant en pâture le chômeur, en dégradant le principe redistributeur de l’impôt et en fustigeant la « jalousie » envers les riches de ceux qui, évidemment, ne méritent pas de le devenir parce qu’ils ne s’en donnent pas les moyens. Emmanuel Macron devait être un rempart au populisme, il est devenu l’homme des solutions faciles et des stigmatisations.

Le président à la « pensée complexe » chérit les vieilles doctrines périmées. Son monde est celui de Thiers, mais aussi celui de Guizot, son adversaire pour la forme de la monarchie de Juillet, qui avait lancé ce mot que ne renierait aucun membre du gouvernement actuel : « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne. » Cela ne manque pas de piquant : ceux qui donnent des leçons de « modernité » aux salariés évoluent dans un cadre intellectuel totalement périmé et dépassé. Et ce n’est pas un hasard si, depuis son arrivée à l’Élysée, le patronat français, toujours prêt à « manger au budget » et subventionné par un CICE des plus inefficace, ne soit plus dans la retenue, demande toujours plus et avance des propositions on ne peut plus farfelues et outrancières.

Où veulent en venir ces nouveaux conservateurs ? Le gouvernement peut avancer sa rhétorique prétendant « donner de nouvelles opportunités » aux chômeurs, la réalité qui transparaît derrière les déclarations des uns et des autres est bien différente. Le but de l’opération n’est en aucun cas la réalisation individuelle du chômeur, mais son employabilité. Son libre arbitre, ses choix et ses désirs doivent donc disparaître derrière sa fonction : être une force de travail répondant aux besoins des producteurs. Et en devenant cette force passive, il participe à la fluidification du marché du travail, déjà renforcée par la loi travail. Or un marché du travail plus fluide a pour fonction principale d’abaisser la rémunération des salariés. En réduisant le chômage à un simple coût social, en « criminalisant » la demande d’emploi, on fait du chômeur un simple instrument de la politique de coût du travail, lui interdisant toute volonté propre. On le réifie. Il n’a plus vocation qu’à être membre d’une masse au service du marché. C’est la différence avec l’entrepreneur, glorifié dans son individualité et son succès personnel, à qui l’on ne doit demander aucun compte des cadeaux fiscaux qu’on lui fait parce que, dans cette logique, sa volonté n’est jamais défaillante. Lui est digne de confiance, pas le chômeur dont la volonté est ennemie. Et qui doit être réduit à faire partie de « la multitude, la vile multitude », comme disait aussi Adolphe Thiers.