Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Circulation du virus : quel rôle joue l’école ?

Novembre 2020, par Info santé sécu social

7 NOVEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE ET DONATIEN HUET

Parce que l’épidémie de Covid-19 ne ralentit pas, la question se repose d’une réduction des effectifs dans les établissements scolaires, surtout du secondaire. Olivier Véran a jugé « possible » une fermeture des lycées si les mesures en cours ne suffisent pas. Mediapart fait le point sur les données les plus récentes, qui distinguent bien enfants et adolescents.

Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, le gouvernement navigue à vue. Parmi les écueils, l’un des plus difficiles à négocier reste la scolarisation, enjeu de santé publique et de justice sociale aussi important que le Covid. À la rentrée de septembre, l’Éducation nationale a considérablement allégé son protocole sanitaire, autorisant même les chorales en primaire, pourtant décrites comme des évènements super-propagateurs du virus dans de nombreux pays.

Avec le nouveau confinement, les écoliers sont désormais contraints de porter le masque à partir de 6 ans. Mais sous la pression du ministère de la santé, des enseignants (lire l’article de Faïza Zerouala) et de lycéens, le ministre de l’éducation a dû accepter un allègement des effectifs au lycée.

Dissensions entre ministères de la santé et de l’éducation
Le ministre de l’éducation nationale se pose en « militant de l’école ». « Ce qui compte, c’est que les enfants ne perdent pas le fil », a déclaré Jean-Michel Blanquer sur France Inter, lundi 2 novembre. À ses yeux, la fermeture des lycées n’est donc pas « à l’ordre du jour. On veut que les lycéens aient cours. Il y a la possibilité de faire des demi-groupes. Mais je ne l’encourage pas ». Il contredit ainsi Olivier Véran qui, la veille, dans le Journal du dimanche, estimait « possible » une fermeture des lycées si l’épidémie ne marquait pas rapidement le pas.

Le problème avec le ministre de l’éducation, c’est qu’il est capable d’affirmer sans ciller que « les élèves ne se contaminent pas dans un cadre scolaire », comme le 29 octobre, à la conférence de presse gouvernementale sur les mesures du reconfinement.

De son côté, le ministère de la santé alerte sur la participation des établissements scolaires à la dynamique de l’épidémie. Dans une note révélée par Europe 1, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, considère que ce nouveau confinement n’est pas assez strict, notamment en raison du maintien des établissements scolaires ouverts. Selon lui, la France risque de voir sa courbe épidémique non pas redescendre rapidement comme au printemps, mais dessiner « un plateau haut et prolongé ». Les conséquences économiques en seraient plus désastreuses encore.

Les faits semblent pour l’instant donner raison à Jérôme Salomon. Trois semaines après l’instauration du couvre-feu, une semaine après le début du confinement, l’épidémie ne ralentit toujours pas : Santé publique France a annoncé, le 6 novembre, 60 486 nouveaux tests positifs dans les dernières 24 heures, un chiffre toujours très haut, et très probablement sous-estimé, compte tenu d’importants retards dans les remontées des résultats des tests.

Circulation chez les enfants et adolescents : ce que l’on sait
Les connaissances scientifiques ne sont pas beaucoup plus solides qu’en septembre (voir notre article ici). Le conseil scientifique a résumé ainsi l’état des connaissances : des « clusters nombreux » dans les universités ont été décrits partout dans le monde, souvent liés à la vie festive et aux lieux de vie collectifs des étudiants ; les lycéens et les collégiens semblent avoir, quant à eux, « la même susceptibilité au virus et la même contagiosité vers leur entourage que les adultes » ; les enfants de 6 à 11 ans seraient, de leur côté, moins susceptibles de l’attraper et de le transmettre.

« Les enfants se contaminent très très majoritairement à partir des adultes, principalement en intra-familial. Aucun expert des questions pédiatriques, dans aucun pays, ne conteste cette donnée confirmée par de multiples publications », affirme le professeur Christophe Delacourt, président de la Société française de pédiatrie, qui argumente depuis le printemps en faveur de la réouverture des écoles et d’un protocole sanitaire allégé.

Mais cette lecture des pédiatres n’est pas unanimement partagée, notamment parmi les épidémiologistes. Le professeur Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, est ainsi convaincu que « les écoles sont des hauts lieux de transmission du virus, de véritables incubateurs, en raison des effectifs, de la promiscuité, des cris, des chants, dans ces locaux fermés et souvent insuffisamment ventilés. La difficulté d’y respecter les gestes barrières aussi. Le rôle des enfants dans la transmission est sous-estimé depuis le départ de cette pandémie, parce qu’ils sont très peu malades du Covid, font peu de complications sévères, et aussi parce que les tests PCR sont difficiles à réaliser chez l’enfant. »

Il renvoie, par exemple, à une étude du Center for Disease Control (CDC), l’agence de santé publique américaine, parue vendredi 6 novembre. Ses auteurs s’intéressent à 101 foyers où un membre a été détecté positif. Dans un intervalle de sept jours, 53 % des foyers étudiés étaient touchés par une seconde infection, et les enfants de tous âges se sont avérés aussi contagieux que les adultes.

Les récentes modélisations de l’équipe de Vittoria Colizza (à l’Inserm) sur l’impact possible de ce second confinement accréditent aussi le rôle joué par les écoliers dans la propagation du virus, tout en l’estimant marginal. Selon ses calculs, si la France était confinée avec tous les établissements scolaires fermés pendant un mois comme au printemps, le nombre de personnes hospitalisées pour Covid serait inférieur à la fin de l’année de 55 à 74 % par rapport à un scénario sans confinement ; si seuls les collèges et les lycées étaient fermés un mois, le nombre des hospitalisations baisserait légèrement moins, entre − 52 et − 69 % ; et si tous ces établissements restaient ouverts, la baisse attendue des hospitalisations serait entre − 41 et − 60 %.

La France a-t-elle cassé le thermomètre du Covid à l’école ?
Le dépistage et le traçage des cas chez les enfants est-il fait d’une manière assez rigoureuse ? Le collectif de médecins Du côté de la science en doute. Le 22 septembre, le protocole sanitaire a été allégé dans les écoles maternelles et primaires : lorsqu’un élève est diagnostiqué dans une classe, ses camarades ou son enseignant ne sont plus considérés comme des « cas contact », évitant ainsi leur isolement pour sept jours avant d’être testés. Il faut que trois cas soient diagnostiqués, dans un délai de sept jours, sans lien familial entre eux, pour que la classe soit testée.

« Cette décision a été prise la semaine 39, à partir du lundi 21 septembre. On voit très bien, sur la courbe épidémique, un tassement. Certains l’attribuent à la météo, mais il est bien plus marqué chez les 0-9 ans », argumente le médecin généraliste Michaël Rochoy, membre du collectif.

Les arguments du collectif – qui réunit des médecins généralistes, des infectiologues, des pneumologues, des psychiatres, mais aucun pédiatre – font bondir Christophe Delacourt, président de la Société française de pédiatrie. Il ne leur accorde « aucune compétence et donc aucune légitimité pédiatrique ».

Il leur oppose l’expertise de sa société savante : « Les enfants sont effectivement moins testés que les adultes, mais le pourcentage de tests PCR positifs parmi les enfants testés est le plus bas de la population française, témoignant d’une circulation virale plus basse dans cette tranche d’âge. Lorsqu’il y a eu beaucoup de tests faits chez les enfants, mi-septembre, avant l’allègement des règles, le pourcentage de tests positifs était plus bas encore : il est donc faux de dire que la place des enfants est biaisée par un moindre testing. »

Chacun s’accorde en revanche pour constater que les enseignants sont peu touchés par le virus, simplement à l’image du reste de la population française. « C’est probablement parce qu’ils portent des masques et gardent leurs distances avec les enfants. Cela prouve que les mesures barrières fonctionnent », estime Michaël Rochoy.

« L’éducation est un droit de l’enfant »
Le médecin généraliste est en revanche ulcéré par l’attitude du ministre de l’éducation devant cette épidémie : « Jean-Michel Blanquer est-il naïf ou cynique ? À la rentrée, il affirmait que l’Éducation nationale était préparée à tout. Mais il n’a pas appliqué le protocole sanitaire prévu face à une dégradation sanitaire. Qu’est-ce qu’on attend ? La dégradation sanitaire est manifeste, il suffit de regarder le nombre d’enfants hospitalisés pour un Covid. Bien sûr, ils sont très peu nombreux (175 enfants de 0 à 19 ans le 5 novembre). Mais il y en a autant aujourd’hui qu’au pic de la vague au printemps. »

Pas d’inquiétudes pour la santé des enfants
Enfants, adolescents et jeunes adultes porteurs du virus n’ont, la plupart du temps, aucun symptôme. Et quand ils en développent, ils restent mineurs, à de très rares exceptions près.

« Toute augmentation du nombre de cas chez l’adulte aboutit mathématiquement à une augmentation du nombre de cas chez l’enfant. Le pourcentage d’hospitalisations pédiatriques liées au Covid représente – dans tous les pays – 1 % du total des hospitalisations liées au Covid, tous âges confondus », assure Christophe Delacourt, le professeur de la Société française de pédiatrie.

À l’hôpital pour enfants Robert-Debré à Paris, le professeur de réanimation pédiatrique Stéphane Dauger voit toujours quelques enfants porteurs du virus qui développent une maladie de Kawazaki, un syndrome inflammatoire. « Mais ils sont très très peu nombreux. Et on a fait des progrès dans les traitements. La plupart du temps, ils ne restent qu’un ou deux jours en réanimation, et ils n’ont pas de séquelles. On voit aussi quelques détresses respiratoires chez les enfants, en très petit nombre, la plupart du temps chez des enfants atteints d’autres maladies, notamment des maladies immunitaires. »

Peu sollicité jusqu’ici, l’hôpital pédiatrique Robert-Debré s’apprête d’ailleurs à accueillir des malades du Covid-19 adultes en réanimation, comme au printemps.

Faut-il fermer les écoles pour casser l’épidémie ?
Une vaste étude parue dans le Lancet le 22 octobre dernier s’est intéressée à l’impact des différentes modalités de confinement sur le taux de reproduction du virus, dans 131 pays. Elle conclut que la réouverture des écoles a eu l’un des impacts les plus importants sur la reprise de l’épidémie, au même titre que la tenue d’évènements publics.

Le collectif de médecins « Du côté de la science » milite depuis l’été pour un protocole sanitaire bien plus strict dans les écoles : le port du masque dès 6 ans, une aération régulière des locaux, l’allègement des effectifs au collège et au lycée, des cantines sans brassage, équipées de plexiglas…

Le médecin généraliste Michaël Rochoy se félicite du port du masque dès 6 ans et de l’allègement des classes au lycée, finalement décidés. « Mais il fallait prendre des mesures de prévention dès le mois de septembre. Là, on prend des décisions au pied du mur. Je crains qu’on soit au final contraints de fermer les écoles devant la flambée de l’épidémie. »

L’épidémiologiste Antoine Flahault résume ainsi la situation épidémique en Europe et l’enjeu des écoles : « Un grand nombre de pays européens ont vu le taux de reproduction du virus remonter aux environs de 1,4 : une personne contamine 1,4 personne. C’est trop, c’est au-dessus de la valeur 1 qui détermine le seuil épidémique, mais c’est beaucoup mieux qu’en mars, lorsque ce taux était de 3. On peut penser que nos gestes barrières, couplés à un frein estival puissant, avaient réussi, en Europe, à bloquer le processus pandémique à la sortie du confinement jusqu’en septembre. »

« Mais depuis la rentrée, avec la levée progressive du frein estival sur le virus, les seuls gestes barrières ne sont plus suffisants pour bloquer seuls l’épidémie, poursuit l’épidémiologiste. Si la moitié du chemin semble effectuée, on doit activer d’autres leviers pour parcourir le chemin restant. En l’absence de vaccin, ce sont les leviers du confinement qui sont à notre disposition, pour nous permettre de ramener le R au-dessous de 1, c’est-à-dire pour reprendre le contrôle de cette épidémie galopante. »

« Comme un pianiste, le gouvernement dispose de plusieurs touches et pédales à actionner pour jouer sa partition, et ralentir le rythme épidémique. L’école est l’une de ces touches. On peut imaginer que les collèges et les lycées puissent être amenés à fermer, pour 15 jours par exemple, afin d’amplifier la reprise de contrôle de l’épidémie, si elle devait s’avérer trop lente ou incertaine dans une semaine ou deux. L’hiver devant nous sera long, il va falloir chercher des modalités qui nous permettent de tenir. Tenir l’épidémie sans sacrifier la vie sociale et économique du pays. L’éducation non plus. L’éducation est un droit de l’enfant. »

De son côté, le professeur de pédiatrie Christophe Delacourt insiste sur l’impact des fermetures pour les enfants : « Les fermetures d’école ont été, dans l’expérience de tous les pays, un creuset de l’inégalité sociale et un facteur d’amplification de la précarité. Dans des pays moins développés que le nôtre, l’Unicef a estimé que les confinements allaient aboutir, par manque d’accès à la nourriture, à 10 000 décès mensuels supplémentaires d’enfants. Sans aller jusqu’aux décès par malnutrition, la France n’est pas exempte de cette question, quand on regarde les dizaines de milliers de petits déjeuners distribués dans les écoles ou de cantines à 1 euro. »