PLFSS 2020

Mediapart : Comment l’État a creusé le « trou de la sécu »

Septembre 2019, par infosecusanté

Mediapart : Comment l’État a creusé le « trou de la sécu »

30 septembre 2019| Par Romaric Godin


En décidant de faire porter à la sécurité sociale les conséquences de ses propres choix fiscaux, le gouvernement a creusé le déficit. Et trouve là une justification parfaite pour la réforme des retraites et la destruction de la sécurité sociale de 1945.

La présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 a, de nouveau, donné lieu à l’entrée en scène du chœur des pleureuses. En cause : le retour du « trou de la sécurité sociale », autrement dit du déficit cumulé des quatre branches du régime général de la sécurité sociale : maladie, accidents du travail, vieillesse et famille.

En 2018, ce solde était excédentaire de 500 millions d’euros ; en 2019, il est redevenu déficitaire de 3,1 milliards d’euros. En 2020, le déficit atteindra 3,8 milliards d’euros. On notera que le déficit global, qui inclut le fonds de solidarité vieillesse (FSV), organisme chargé du financement du minimum vieillesse, reculera néanmoins en 2020 de 5,4 milliards d’euros à 5,1 milliards d’euros.

Vu sous le seul angle du solde, on a l’impression d’un nouveau « dérapage » des comptes sociaux. Mais non seulement cette dégradation demeure réduite, mais elle a été également savamment orchestrée par les choix politiques et sociaux du gouvernement. Tout d’abord, il faut rappeler que ce « trou de la sécurité sociale » n’est pas béant : 5 milliards d’euros ne représentent que 0,2 % du PIB et c’est 5,4 % du déficit des administrations d’État prévu en 2020 (93,1 milliards d’euros).

Dans la mesure où le déficit global des administrations publiques au sens de Maastricht progresse de 2,5 milliards d’euros en 2020 (en excluant l’effet de la double année du CICE), la baisse de 300 millions d’euros du déficit du régime général et du FSV est plutôt une bonne performance qui contribuera à ralentir la dégradation des comptes de la France. Ce n’est pas une faible performance pour un ensemble qui pèse, en termes de recettes, 21 % du PIB et 117 % du budget de l’État…

De surcroît, il convient toujours de rappeler que s’endetter de 0,2 % du PIB aujourd’hui ne pose aucun problème. Le taux moyen à 10 ans de la dette publique française était le 30 septembre de – 0,39 %. Ces taux sont négatifs jusqu’à 15 ans. Autrement dit, s’endetter actuellement n’alourdit pas pour les quinze prochaines années le service de la dette. Compte tenu de l’inflation à venir et du taux négatif, le capital emprunté aujourd’hui sera fortement dévalorisé lorsqu’il faudra emprunter dans 15 ans pour le rembourser.

Il n’existe donc aucune raison de s’inquiéter de ce déficit et le retour à l’équilibre du régime général désormais prévu pour 2023 ne représente aucun risque pour la stabilité de l’État. En réalité, l’époque devrait être aux investissements massifs, à la modernisation et à la remise à niveau du système, notamment de santé.

En réalité, on en est loin. La mise en scène de ce déficit trahit un autre objectif : celui de justifier la poursuite de l’austérité dans le domaine de la santé et, surtout, la future réforme des retraites qui sera sans doute annoncée à l’été 2020. Car ce déficit est une construction politique. La petite phrase qui traverse les médias signale que « le trou de la sécu » a été creusé en raison des « réponses apportées aux gilets jaunes ».

De fait, trois mesures pèsent lourd dans le creusement du déficit : la défiscalisation du forfait fiscal sur l’intéressement et la participation prévue dans la loi Pacte indépendamment de la crise des gilets jaunes (500 millions d’euros), le renoncement au relèvement du taux de CSG pour les retraités ayant des revenus de moins de 2 500 euros brut (1,8 milliard d’euros de recettes en moins en 2019) et enfin la défiscalisation des heures supplémentaires qui a été avancée du 1er septembre au 1er octobre (1,1 milliard d’euros de recettes perdues en 2019). Soit un total de 3,4 milliards d’euros qui, s’ajoutant au 1,7 milliard d’euros de déficit prévu en 2019 pour le régime général et le FSV, place le déficit de l’année en cours à 5,1 milliards d’euros. C’est donc là l’essentiel du déficit prévu de 5,4 milliards d’euros.

On pourrait effectivement en conclure que les 2,8 milliards d’euros de mesures « gilets jaunes » ont donc creusé le déficit. On pourrait même ajouter que la défiscalisation de la prime exceptionnelle plafonnée à 1 000 euros a encore contribué à ralentir la croissance des recettes au regard de celle de la masse salariale. Mais immédiatement, il faut préciser que ces pertes liées aux décisions prises le 10 décembre dernier n’auraient pas dû relever de la responsabilité de la sécurité sociale.

Effectivement, la sécurité sociale, dans l’esprit qui a prévalu à sa naissance, est un ensemble géré par les partenaires sociaux à partir des cotisations des salariés et des employeurs. Lorsque l’État décide de baisser le coût du travail ou de dégager du pouvoir d’achat par des baisses de cotisations, il est donc logique qu’il prenne à sa charge le manque à gagner. C’est ce qu’il a généralement fait jusqu’ici.

Mais l’an dernier, le gouvernement a annoncé qu’il ne prendrait plus en charge les baisses de cotisations générales qu’il décidait donc lui-même. Autrement dit, il a choisi de faire peser sur le déficit de la sécurité sociale les mesures de baisse de cotisations.

Dès lors, lorsque, pour répondre au malaise social, le gouvernement a décidé de recourir aux baisses de cotisations, soit par la défiscalisation des heures supplémentaires, soit par celle de la prime dite « exceptionnelle », plutôt, par exemple, qu’à une hausse du Smic ou une baisse de la TVA, il a fait le choix de faire payer à la sécurité sociale ces mesures.

La même logique a prévalu avec le renoncement à la hausse de la CSG pour les retraites modestes. Cette hausse, rappelons-le, venait initialement compenser pour la sécurité sociale la suppression des cotisations sociales maladie et chômage sur les salaires. Revenir dessus sans rétablir ces compensations, c’est donc clairement faire porter entièrement le poids de la mesure sur la sécurité sociale.

En refusant de prendre à sa charge cette erreur stratégique, l’État a mis en scène le retour du « trou de la sécu ». La hausse du déficit n’est donc pas une surprise ou le fruit d’un « dérapage » : c’est un choix politique.

Ce choix politique permet de justifier un certain nombre de mesures d’économies dans le PLFSS 2020 et ceux à venir puisqu’on prétend faire arriver la sécurité sociale à l’équilibre en 2023 avec ce poids aux pieds. Il faudra désormais savoir que toute mesure d’allègement des cotisations sera donc payée directement par des mesures d’économies de la sécurité sociale.

Et c’est ici qu’intervient la réforme des retraites. Au-delà du récit gouvernemental sur la « justice », son seul intérêt est la maîtrise des coûts puisqu’elle s’appuie sur l’idée d’une stabilité du financement des retraites à 14 % du PIB. Autrement dit, il faudra, par la gestion du point, que les dépenses de retraites ne croissent pas davantage que le PIB.

Déjà, des sources gouvernementales préviennent que ce déficit serait le reflet de « l’épuisement des économies issues des dernières réformes des retraites ». Il faut donc en trouver de nouvelles, et vite. Or, la retraite par points est le nec plus ultra de toutes les réformes. Elle offre en effet la capacité de gérer les dépenses en modulant le « point ». Et cela permet une maîtrise parfaite du coût de la retraite à l’image de ce qui se fait déjà dans l’assurance-maladie où l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam) est respecté (et sous-réalisé) depuis dix ans.

Mais comme ce respect de l’Ondam a conduit à la crise de l’hôpital, cette maîtrise des dépenses de retraite conduira inévitablement dans les prochaines décennies à une crise sociale. Cela est inévitable parce que la démographie conduit à une hausse des besoins beaucoup plus élevée que celle du PIB. C’est déjà ce qui se produit avec le secteur hospitalier.

Le gouvernement ne s’en préoccupe cependant guère. Pour le moment, il épargne les retraités existants qui constituent son socle électoral et en fait payer le coût à la sécurité sociale, ce qui lui fournit un alibi parfait pour réformer les retraites. Se dessine alors une autre sécurité sociale, très différente de celle qui a été fondée en 1945 et dont les revenus ne dépendent plus de la masse salariale mais de la croissance économique et qui sera gérée par les coûts.

Ce sera l’aboutissement logique d’un mouvement qui a commencé dans les années 1990, mais qui a été porté à son paroxysme par l’actuel exécutif avec la bascule entre cotisations et CSG et la transformation du CICE en baisses de cotisations (pour près de 20 milliards d’euros).

La base de cotisations de la sécurité sociale se réduit comme peau de chagrin. Cet affaiblissement est couplé d’abord avec une croissance faible (plus faible aujourd’hui que la croissance de l’emploi) qui rend la sécurité sociale encore plus dépendante de l’État et de ses choix fiscaux et sociaux. La boucle est alors bouclée : la sécurité sociale n’est plus un lieu de solidarité, c’est une chambre de compensation des politiques de l’État.