Pauvreté, inégalités sociales

Médiapart - Conditionner le RSA à une activité ? « Il faudrait que Macron vive la pauvreté pour savoir ce que c’est »

Mars 2022, par Info santé sécu social

Six bénéficiaires du RSA réagissent à la proposition avancée par le candidat Macron de lier le versement du revenu de solidarité à un minimum d’activité. « Il faudrait qu’il vive la pauvreté pour savoir ce que c’est », s’indigne une jeune coiffeuse de formation. « Ça va se faire au détriment des travailleurs », s’inquiète surtout Romain, ex-ingénieur.

Faïza Zerouala
23 mars 2022

La proposition avancée par le candidat Macron de conditionner le RSA à l’exercice d’une activité de 15 à 20 heures par semaine passe mal. Un euphémisme. Interrogé par France Inter, Richard Ferrand, le président LREM de l’Assemblée nationale, a précisé mercredi qu’il ne serait « pas question d’activité obligatoire ». Très peu de détails ont filtré sur la mise en œuvre concrète de la mesure, mais Mediapart a surtout voulu sonder les concerné·es. Paroles de six bénéficiaires.

Sylvain, 58 ans, Aubervilliers. À 58 ans, Sylvain a longtemps exercé la profession de plombier. Après deux infarctus, deux AVC, il y a une dizaine d’années, il a récemment subi une opération pour déboucher ses artères, « comme pour les canalisations ». Il rit de ce clin d’œil mais beaucoup moins de la proposition d’Emmanuel Macron de conditionner le RSA à l’exercice d’une activité de 15 à 20 heures hebdomadaires. Il ne peut plus pratiquer la marche comme jadis, certains de ses orteils sont nécrosés et il en a perdu des bouts. Bref, il a le corps en vrac.

Avec ses multiples problèmes de santé dont il se sent responsable (« j’ai trop travaillé, été trop stressé et j’ai trop fumé »), Sylvain se demande bien ce qu’il pourrait faire en échange de ses 477 euros mensuels.

Au quotidien, et c’est une évidence de le rappeler, toute dépense est millimétrée. Son loyer s’élève pour un F2 à 175 euros après les APL. Il paye 34 euros d’EDF et 5 euros pour une association citoyenne. « Être au RSA, c’est invivable. Vous regardez la moindre dépense, le cinéma et tous les loisirs, c’est fini. Et j’ai pas intérêt à avoir mon frigo ou ma machine qui lâche, impossible de faire un crédit. Je suis coincé, je ne peux rien faire. » Il tapote sa poche de pantalon et dit qu’il n’a rien dedans, pas même un euro.

Pour la nourriture, cela lui coûte 50 euros par mois pour recevoir des barquettes de nourriture via le centre communal d’action sociale de la ville. Les portions sont légères, dit Sylvain, mais il s’en contente. Parfois, il vient compléter à Épicéa. Avec son Pass Navigo gratuit, il en profite pour bouger un peu, aller prendre l’air au parc de la Courneuve.

Sylvain a bien rempli un dossier Cotorep pour faire reconnaître son handicap mais il se balade dans la nature depuis trois ans. Il pense que le département est submergé et que sa demande s’est noyée au passage.

À la grande époque, quand il travaillait tout le temps, il touchait 3 000 euros net. « C’est dur de basculer. Avant, j’avais une voiture et j’aurais pu partir en vacances si j’avais voulu. Tout ça, c’est fini. »

Son emploi aidé, entre 2014 et 2019, à l’épicerie sociale et solidaire Épicéa installée à deux pas de la mairie d’Aubervilliers, lui a vraiment plu. Il faisait un peu de ménage ou de bricolage. Assis dans la cuisine jaune vif, il montre son œuvre. C’est lui qui a repeint tous les locaux. Et il pouvait utiliser la machine à laver et prendre une douche ici car il a vécu à un moment dans un squat insalubre. « Ça me sauvait … »

« Puis Macron m’a viré. Je touchais 800 euros et j’étais bien. Mais il a préféré supprimer les emplois aidés. Il a créé ses propres pauvres. Et maintenant, il veut qu’on fasse 15 à 20 heures de bénévolat. Mais dans quoi ? On va se débrouiller si c’est obligatoire mais, à mon âge et avec ma santé, c’est infaisable. »

Le militant communiste attend tout de même de voir ce qu’Emmanuel Macron va proposer concrètement. « Et il n’a pas intérêt à me dire de traverser la rue… »

Rebecca*, 31 ans, Aubervilliers. Dans la même épicerie sociale et solidaire Épicéa, une bénévole tend une barquette de viande à une bénéficiaire, les morceaux de bœuf ont un peu noirci. Mais Rebecca* s’en fiche et la récupère sans sourciller. « Il suffit de couper les bouts noirs, ce sera très bien. » Les astuces pour cuisiner sans gâcher sont son quotidien. Elle prépare une très bonne soupe à base des épluchures de légumes. La mère de famille de 31 ans a un fils de 2 ans et une fille de 12. Et avec son conjoint, ils touchent le RSA « couple » depuis fin 2021.

Pendant qu’elle allaite son petit, Rebecca raconte son parcours sinueux. Elle est coiffeuse de formation mais aussi percluse d’allergies diverses et atteinte d’un asthme sévère. Impossible pour elle d’être en contact avec les produits chimiques capillaires. Ses problèmes de dos, de bassin et de cervicales lui interdisent toute station debout prolongée. Cela ajouté à ses soucis personnels, elle n’a pu travailler. Elle touche le RSA jusqu’en 2019, puis il est suspendu car son conjoint gagne trop à l’époque.

Mais ce dernier travaille dans l’événementiel, alors la crise sanitaire lui est fatale.

Il se retrouve au chômage et arrive en fin de droit en juillet 2021. Après quelques péripéties administratives, le couple touche 713 euros de RSA et 600 euros de prestations diverses (APL, allocations familiales et prestation d’accueil du jeune enfant).

Le loyer s’élève à 1 040 euros. Chaque mois, il faut s’acquitter de 124 euros pour l’EDF ou encore 60 euros d’assurance habitation sans compter les autres charges incompressibles comme les 30 euros d’Internet ou 40 euros pour l’eau. Le couple a aussi cumulé environ 4 000 euros de dettes de loyer, qu’il rembourse à hauteur de 172 euros par mois. Il ne reste presque rien ensuite.

Tout est bon pour améliorer le quotidien. Elle coupe elle-même les cheveux de ses enfants et veille sur les groupes Facebook de la ville où des dons de vêtements sont proposés. Elle récupère des paniers solidaires donnés par le Parti communiste et elle vient faire ses courses à Épicéa. Avec une amie, elle aussi en difficulté, elles s’échangent des denrées alimentaires en fonction de ce qu’elles arrivent à se procurer. Son père, qui touche une retraite de 1 200 euros, l’aide tant bien que mal en payant son forfait téléphonique.

Ce 20 du mois, il lui reste 10 euros. Elle ne fera pas sa prise de sang pour vérifier son anémie, à quatre euros non remboursés.

Rebecca explique qu’elle attend que son dernier aille à l’école maternelle en septembre pour se remettre à chercher du travail activement. « Je ne peux pas payer une nounou. Ça coûte quoi ? 400, 800 euros ? Je ne les ai pas et quel intérêt si je gagne 1 200 euros de tout dépenser en frais de garde et de ne plus m’occuper de mes enfants ? »

La proposition du candidat Macron d’imposer une activité aux bénéficiaires du RSA l’agace. « Je n’ai pas l’impression de rien faire, je m’occupe de mes enfants, de la maison, c’est un travail en tant que tel. Je cours entre les Restos du cœur, Épicéa et tout le reste pour avoir de quoi nourrir mes enfants. »

« Macron pense comme tout le monde que mère au foyer, c’est rien. Si je dois en plus faire du bénévolat je le mets où sachant qu’il va aller à l’école que le matin ? Ça veut dire que je dois les mettre à la cantine ? »

Rebecca n’en revient pas. Elle a le sentiment que le président-candidat « veut nous descendre encore plus bas, nous, les plus pauvres. Pour lui, on est des bons à rien mais il faudrait qu’il vive la pauvreté pour savoir ce que c’est ».

Romain, 35 ans, Marseille. Allocataire depuis quatre ans, il perçoit 400 euros. Cet ancien ingénieur a arrêté de travailler dans son secteur car il a déménagé puis rencontré des difficultés à trouver « un type d’emploi qui correspond à ses critères », « avec des conditions de travail satisfaisantes, un semblant d’éthique dans le travail et qui ne me prenne pas tout mon temps pour faire de l’associatif en parallèle ».

Il souligne que son profil est atypique puisqu’il a fait des études et surtout a « pas mal d’argent de côté, ce qui est un sacré confort même si je ne l’utilise pas ». Avec 400 euros par mois, un loyer du même montant et 250 euros d’APL, il explique s’en sortir car il est habitué à dépenser très peu.

Il regrette que la mesure annoncée par le candidat LREM soit encore floue, entre activité, bénévolat et formation, et ne sait toujours pas comment analyser les conséquences d’un tel bouleversement. « De prime abord, je l’ai vu comme une mesure démagogique dans la perspective d’un duel avec l’extrême droite, donc jamais mise en œuvre. Je me suis dit ensuite qu’il serait compliqué de former tous les bénéficiaires du RSA. Je commence maintenant à me dire que la mise en place se fera de manière violente, surtout dans un contexte où les entreprises prétendent avoir des difficultés à recruter, elles vont profiter de cette main-d’œuvre. Cela va se faire au détriment des travailleurs. »

Marion, 33 ans, Marseille. Elle a commencé à travailler à l’âge de 18 ans dans la vente et la restauration, puis à la fin 2020, elle s’est lancée dans une reconversion dans le marketing. Elle s’est formée à la communication digitale, mais peine à trouver un contrat. Elle est sur la piste d’un poste, en intérim « hélas ». Donc, en attendant de décrocher un contrat, elle touche 565 euros de RSA depuis fin 2020, après un an de chômage.

Comme tous les autres bénéficiaires, elle est agacée de l’image qui colle à la peau des bénéficiaires du RSA, et choquée « qu’on flique les personnes qui ont les minima sociaux pour vivre et qu’on entretienne l’idée que les personnes qui en bénéficient sont des flemmards. Les fraudes sociales sont infinitésimales en plus. Castex a parlé de travail d’intérêt général, comme si on avait commis un délit ! Il n’y a rien de simple, rien d’amusant, rien de jouissif là-dedans, c’est insupportable ».

Au quotidien, Marion refuse les sorties avec ses ami·es. Une fois par mois, elle s’autorise un restaurant, où elle sait qu’elle ne dépassera pas les 20 euros. Il est impensable de s’autoriser de l’alcool. Ces réflexes de survie, elle les a intégrés de longue date : « Je viens d’un milieu précaire, ma mère était au RMI. »

Marion ne se fait pas encore trop de souci. Elle pense qu’elle va finir par trouver quelque chose. Elle a commencé à rembourser les 6 000 euros de son prêt étudiant, à hauteur de 100 euros par mois. Car elle ne paye plus de loyer comme son immeuble a été déclaré en péril. « Je me sens moyennement en confiance mais je ne peux pas déménager car je n’en ai pas les moyens et personne ne me louera rien. »

Elle ne décolère pas face à cette proposition de travailler 15 à 20 heures par semaine.

« J’ai la chance d’être en ville, mais une personne excentrée devra payer l’essence pour se rendre sur son lieu de travail, de formation ou de bénévolat ? Ce sera quoi ? Un stage ? Un service civique sans limite d’âge jusqu’à 65 ans ? Vraiment, ça commence à se voir qu’on veut détruire les acquis sociaux. »

Par ailleurs, elle se demande comment conjuguer cela avec le reste. « Oui, dans l’absolu, je devrais avoir 15 et 20 heures de libre mais si on m’oblige à faire ça, ce serait compliqué pour moi de continuer à chercher du travail. Les associations n’ont pas à jouer le rôle du gouvernement. S’il y a des postes à 15 heures libres, ils devraient nous payer au Smic et pas un mi-temps à 500 euros. »

Surtout, la jeune trentenaire a déjà fait du bénévolat. Elle a aidé l’année dernière le site Covidliste qui répertoriait, au tout début de la campagne vaccinale, les doses de vaccins disponibles. « Je l’ai fait de mon plein gré car j’avais le temps, la volonté et l’espace mental pour le faire. Là, il y a un problème d’éthique autour du travail forcé. On me donne l’impression d’être un parasite, une bagnarde qui va se retrouver forçat. »

Par ailleurs, Marion ne s’explique pas pourquoi personne ne souligne que le marché du travail est presque saturé. Sans compter que l’accompagnement laisse parfois à désirer. Ainsi s’est-elle vu proposer une formation en boucherie.

La jeune femme déplore « cette culpabilisation » des personnes précaires et rappelle surtout qu’elle a déjà des obligations, notamment ses rendez-vous avec sa conseillère Pôle emploi. Elle a connu par exemple une suspension de RSA car elle n’avait pas envoyé à temps un papier sur son projet de retour à l’emploi à la Caisse d’allocations familiales.

Damien*, 40 ans, des Alpes-Maritimes. Cet ingénieur du son compte sur le RSA pour vivre depuis quatre ans : 497 euros chaque mois. Il a perdu son logement en région parisienne à cause de la crise sanitaire, et depuis est hébergé dans le Sud, où il s’acclimate mal. Ici, la politique de lutte contre la fraude est importante et les obligations nombreuses. Il a écopé d’une suspension car il a raté un atelier facultatif, assure-t-il. « On a juste droit à deux jokers. Moi, j’ai refusé de faire chauffeur-livreur car je n’ai pas conduit depuis 20 ans, et la restauration car j’ai des douleurs au dos. »

Damien vit très chichement, avec 143 euros précisément. Car il donne chaque mois 350 euros à sa mère qui pense qu’il gagne bien sa vie. « Je ne lui ai pas dit que je suis au RSA. » De stress, il s’est remis à fumer. Beaucoup. Ce qui lui coûte fort cher.

De prime abord, la proposition macroniste ne le réjouit pas. « C’est une guerre politique avec nous en plein milieu. On sert de chair à canon. »

Seulement, après réflexion, Damien n’est pas opposé à l’idée de demander aux bénéficiaires de s’acquitter d’une tâche bénévole, « même si ça fait un peu réactionnaire ». « Je pense qu’il faudrait créer un Emmaüs laïque, que les bénévoles puissent s’occuper des gens perdus dans le RSA, les démarches, etc. Encadré par des gens qui vous comprennent sans être montré du doigt, je ne serais pas contre. Il faut que les pauvres s’aident entre eux… »

Fatiha, 61 ans, Dunkerque. Elle n’a pas attendu Emmanuel Macron pour faire du bénévolat, dit-elle. Responsable du groupe ATD Quart Monde de Dunkerque depuis 2010, elle raconte avoir cinq pages de son CV remplies par ses activités bénévoles. « Je fais ça du lundi au dimanche, ça ne changera rien pour moi. Mais si Macron fait ça, le RSA ne sera plus un droit et cela ne sera plus du bénévolat mais une obligation… »

En plus d’ATD Quart Monde, Fatiha s’occupe de distribuer de la nourriture aux migrant·es, des personnes âgées auxquelles elle rend visite deux fois par semaine grâce au CCAS de la ville.

Cette sexagénaire a quatre enfants. Sa dernière vit avec elle et l’aide dans le quotidien. Fatiha touche 497 euros de RSA, pour 656 euros de dépenses nécessaires. « Ma fille qui touche son petit chômage de 366 euros me donne ce qui manque, soit 158,80 euros. Si je n’avais pas ma fille avec moi je vivrais dans la peur d’être expulsée. Ça fait trois ans que j’ai demandé un logement plus petit pour déménager. Elle est où ma dignité ? Qui s’en préoccupe ? Je ne veux pas que ma fille gâche sa vie à rester chez moi pour payer le loyer mais je n’ai pas le choix. »

Fatiha le répète à plusieurs reprises, elle veut rester active, mais pas qu’on l’oblige à le faire. Elle rappelle tous les obstacles qui se dressent face à elle et ses difficultés à s’insérer dans le monde du travail. Les contreparties au RSA ne règleront pas son problème, pense-t-elle. « Je préférerais travailler que dépendre du RSA. Mais je suis épileptique, je ne peux pas être avec les enfants, face à de la chaleur ou des produits ménagers car cela pourrait déclencher des crises, comme cela est arrivé par le passé. » Fatiha s’est formée au secrétariat, en vain.

Elle fait ce qu’elle peut, a suivi de mars 2020 à mars 2021 une formation expérimentale dans l’animation sociale, lancée par ATD et rémunérée pendant 9 mois (OSEE, pour oser les savoirs d’expérience), qui valide le savoir acquis sur le terrain. Elle a perdu 122 euros par mois sur son RSA et ses APL. Elle dénonce la maltraitance institutionnelle déjà subie quand on touche les minima sociaux. « La dame de Pôle emploi m’a dit de ne pas le faire. Elle m’a dit : “À votre âge, restez chez vous.” Mais à 62 ans, je ne suis pas une incapable. »

Faïza Zerouala