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Médiapart - Contre la pauvreté, l’Institut Montaigne propose des « chèques conso » et des prêts

Janvier 2021, par Info santé sécu social

JANVIER 2021 PAR MANUEL JARDINAUD

Face aux béances de la politique gouvernementale, le think tank proche de la macronie incite à soutenir les plus fragiles. Mais à la création d’un RSA pour les plus de 18 ans, il privilégie l’endettement et un dispositif moralisateur pour consommer.

L’aveu est implicite mais significatif. L’Institut Montaigne, think tank proche de l’exécutif, a publié une note fin décembre 2020 sur un plan de relance en soutien aux plus modestes. En creux, c’est reconnaître que, contrairement à ce que clame le gouvernement, aucune action ni aucun financement massif n’ont été proposés puis votés depuis le début de la pandémie en direction des plus vulnérables.

Les deux auteurs, Julien Damon et Éric Chaney, écrivent ainsi : « Afin de compléter le plan de relance, de nouveaux instruments d’aides aux plus fragiles peuvent se mettre en place à court terme. » Les rédacteurs proposent d’injecter rapidement 30 milliards d’euros pour combattre la pauvreté.

Les chiffres sont éloquents et montrent la réalité des ravages que produit la pandémie sur les plus fragiles : augmentation de 8,5 % des allocataires du RSA, soit 2,1 millions de personnes fin octobre 2020 ; remontée en flèche du nombre de bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), soit une hausse de 6 % entre septembre 2019 et septembre 2020 après une diminution régulière les années précédentes ; accroissement du volume de personnes bénéficiant de l’aide au logement (APL) de 2,4 % sur un an, à octobre 2020.

Ces données, désormais mises en ligne tous les mois par le ministère des solidarités, complètent les nombreuses alertes déjà lancées par les associations caritatives. Dans son rapport annuel sur l’état de la pauvreté en France, publié en novembre 2020, le Secours catholique revendiquait : « Face au risque humanitaire entraîné par la crise sanitaire, il fallait une aide financière aux plus modestes, un soutien aux associations, la mobilisation de places d’hébergement. Mais l’accès à un logement décent comme l’accès digne à l’alimentation appellent aujourd’hui des réponses de fond. À commencer par un revenu permettant de vivre décemment, ce qui suppose une hausse des bas salaires, un renforcement des filets de protection pour les personnes en emploi précaire, des aides accrues au logement, et un très net relèvement des minima sociaux. »

Les associations n’ont eu d’ailleurs de cesse de communiquer depuis plusieurs mois sur l’afflux inédit de nouveaux bénéficiaires lors de distributions alimentaires en particulier (lire le reportage de Faïza Zerouala).

Mais les décisions n’ont été prises qu’à la marge, très ponctuellement et tardivement, par le gouvernement. Le plan de relance présenté en septembre 2020, de 100 milliards d’euros, dont seulement un tiers nouvellement budgété (le restant se ventilant entre l’aide européenne et des financements déjà votés), recelait deux mesures principales en direction des plus démunis, à des niveaux très faibles compte tenu de l’enjeu.

« Le soutien aux personnes précaires », l’une des lignes budgétaires du volet cohésion, ne représentait en tout et pour tout que 800 millions d’euros comprenant pour l’essentiel la hausse de l’allocation de rentrée et le repas à 1 euro en resto universitaire. Par comparaison, l’État budgétait autant d’argent pour l’aide aux associations et à l’hébergement d’urgence (200 millions d’euros) que pour le maintien des compétences dans le nucléaire.

L’exécutif a légèrement rectifié le tir à l’automne, sans stratégie à long terme toutefois. Emmanuel Macron avait annoncé, fin octobre, une « aide exceptionnelle de 150 euros, plus 100 euros par enfant » versée aux « bénéficiaires du RSA et des APL ».

À cela, s’étaient ajoutés 120 millions d’euros pour doubler les « parcours emplois compétences » dans les quartiers de la politique de la ville, une prolongation de l’aide aux impayés de loyer et au paiement des dépenses de logement mise en place en juin par Action Logement (l’ancien « 1 % logement »), avec un assouplissement des critères d’octroi de l’aide pour les plus fragiles et 1 500 places d’hébergement et d’accompagnement social financées pour des femmes sans abri sortant de maternité avec leur nourrisson.

Pas de quoi sortir les gens de la pauvreté à long terme, alors que le chômage promet de galoper en 2021. Aussi l’Institut Montaigne a sorti sa boîte à (trois) idées afin de combler cette béance des politiques publiques mises en œuvre depuis le printemps 2020.

« Globalement, les populations les plus fragiles avant la crise sont celles qui ont vu leur situation financière se détériorer le plus », observent les deux auteurs. Ils insistent sur le fait qu’ils faut traiter ce phénomène oublié, tout en donnant un satisfecit au gouvernement sur les 17 milliards d’euros mobilisés pour le plan « Un jeune, une solution », dont les effets bénéfiques en terme d’amélioration des inégalités sont aujourd’hui impossibles à démontrer.

L’intention de l’Institut Montaigne se révèle cependant positive sur sa forme, qui peut permettre de sensibiliser le pouvoir à l’urgence sociale en cours dans le pays. Malgré cela, les propositions mises sur le tapis surprennent, d’autant qu’elles ne comportent aucune mesure déclinable sur la durée : aucune revalorisation des minima sociaux, aucune amélioration d’aides directes existantes.

Le think tank incite l’exécutif à accompagner de manière très ponctuelle les plus pauvres d’entre les Français, alors que la majorité a voté de manière définitive et pérenne une baisse de 20 milliards d’euros des impôts de production pour les entreprises. Les auteurs proposent que 12 milliards d’euros puissent être fléchés sous forme de « chèques consommation » vers près de 6,6 millions de ménages en utilisant « le canal des aides au logement ». « Cette aide, colossale, correspond, en moyenne, à plus de 450 euros par trimestre pendant un an », ont-ils calculé.

Si le montant s’avère conséquent, le moyen questionne. Faut-il obliger les plus pauvres à dépenser une aide dans des lieux et secteurs choisis par l’État ? Les auteurs posent d’ailleurs le débat, évoquant la prime de rentrée scolaire ou celle de Noël dont les détracteurs aiment à dire qu’elles sont mal dépensées par les bénéficiaires. Ils tranchent toutefois pour la modalité du chèque, contraignant la liberté de chacun à user d’une aide d’urgence.

Se cache derrière cette solution retenue l’idéologie selon laquelle les pauvres ne savent pas gérer un budget et utilisent l’argent public de manière inconséquente. Pourtant, cette vision moralisatrice et infantilisante relève d’un « fantasme politique » et non d’une « réalité économique », comme le démontre le sociologue Denis Colombi dans son ouvrage Où va l’argent des pauvres ? (Payot, 2020).

Dans un entretien vidéo diffusé par Mediapart, il expliquait longuement le propos de son livre : « Où va l’argent des pauvres ? Il est dépensé d’une manière tout à fait normale et rationnelle pour les pauvres. Oui, ceux-ci ont parfois des façons de l’utiliser qui s’écartent de ce qui est perçu comme une saine gestion dans les autres classes sociales, mais un budget serré impose des modes de consommation et de dépenses spécifiques. Les pauvres doivent faire preuve de plus de contrôle, de plus de travail et de plus d’intelligence que la moyenne pour parvenir à gérer la contrainte. »

Une analyse que ne partage assurément pas l’Institut Montaigne. Comme il ne partage pas la réflexion sur la mise en place d’un RSA Jeunes ou d’un revenu minimum garanti sous conditions de ressources pour les moins de 25 ans, appelés de leurs vœux par de nombreuses ONG, encore moins celle d’un revenu universel et inconditionnel dès 18 ans soutenu par l’ancien candidat à la présidentielle Benoit Hamon.

Les auteurs balaient d’ailleurs l’option en trois lignes et demi : « Accorder le RSA aux jeunes (en dehors des cas prévus pour les jeunes déjà parents ou bien ayant déjà beaucoup travaillé) est un véritable serpent de mer. L’option ne bénéficie ni du soutien de la majorité ni d’une très bonne image dans l’opinion. »

Julien Damon et Éric Chaney préfèrent miser sur un prêt garanti par l’État – pour un volume total de 17,5 milliards sur deux ans – afin de venir en aide aux plus jeunes dans le besoin. Une avance de trésorerie en quelque sorte pour qui, et c’est là la question, aurait la possibilité, la capacité et même l’idée de s’endetter pour passer la crise.

« L’extension temporaire de ce dispositif de prêts garantis, à tous les jeunes de moins de 25 ans dans une limite augmentée à 50 000 €, pourrait permettre de toucher un nombre bien plus conséquent de jeunes – signalons qu’un RSA sur sept ans représente environ 42 000 € (sept années de douze mensualités de 500 euros). Au total, ce serait un montant maximum de 17,5 milliards d’euros de prêts garantis qui pourraient être octroyés sur deux ans. Le coût budgétaire final pour l’État serait limité (de l’ordre de 0,5 milliard d’euros) », résume le rapport.

Les auteurs concèdent que la somme mise en avant (17,5 milliards d’euros) ne coûtera in fine à l’État que 500 millions d’euros, et que ce n’est donc pas un plan à 30 milliards d’euros qui est proposé, mais à « seulement » 23 milliards… En outre, ceux-ci mettent en parallèle le coût d’un RSA sur deux ans – qui est revenu acquis – à celui d’un prêt – qui doit être remboursé. Il y a donc là un biais de discours qui fait une analogie entre deux dispositifs de nature pourtant très différente.

Enfin, et c’est peut-être l’intention la plus « sociale », le rapport propose d’allouer 500 millions d’euros supplémentaires aux centres d’action sociaux (CCAS et CIAS). Il s’agirait de multiplier ainsi par quatre leur budget « pour les aides au secours ». Certes, cela paraît tout à fait bénéfique au profit des usagers de ces centres. Mais est une fois de plus mis de côté l’aspect structurel de cette aide. Rien n’est donc prévu pour augmenter le recrutement dans les CCAS, rien non plus sur leur besoin en termes de locaux alors que nombre de communes voient leurs finances dans le rouge.

À l’heure où la question de la pauvreté commence à infuser au sein du débat public, le gouvernement jettera certainement un œil sur ces trois propositions qui ont au moins le mérite d’exister. Mais elles pourraient aussi servir de prétexte pour évacuer des mesures plus structurantes, plus solidaires et plus généreuses.