Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Coronavirus : les 20 projets prioritaires de la recherche française

Mars 2020, par Info santé sécu social

Les chercheurs français se mobilisent en urgence. De la communication politique aux perspectives thérapeutiques, en passant par une meilleure connaissance du coronavirus, 20 projets viennent d’être sélectionnés pour lutter contre la pandémie.

« L’Europe a tous les atouts pour offrir au monde l’antidote au Covid-19 », a affirmé Emmanuel Macron lors de son allocution du 12 mars, avant de rappeler que le vaccin ne serait pas pour tout de suite et d’ajouter : « La mobilisation de notre recherche française, européenne est aussi au rendez-vous et je continuerai à l’intensifier. »

Le développement d’un vaccin prend effectivement du temps. En parallèle, d’autres recherches sont menées aujourd’hui partout dans le monde pour mieux connaître ce nouveau coronavirus, ainsi que la maladie qu’il déclenche, le Covid-19, et in fine trouver les pistes de traitement.

En France, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a débloqué 8 millions d’euros le 11 mars 2020, auxquels viendront s’ajouter 4,6 millions de l’Union européenne, pour financer 20 projets de recherche sélectionnés par le consortium scientifique REACTing.

REACTing est un « accélérateur de recherche » qui rassemble les grands acteurs de la recherche en France. Coordonné par l’Inserm, il a été lancé en 2013 lors de l’épidémie du Chikungunya, pour faire face aux crises sanitaires plus rapidement. En alarme depuis les premiers cas en Chine début janvier, ce consortium a été chargé de sélectionner 20 projets, que Mediapart vous décrypte.

Analyser les comportements humains et la communication
Quatre projets relèvent des sciences humaines et sociales, thématique scientifique dont Frédérique Vidal a souligné l’importance pour la gestion des crises sanitaires lors de la présentation des projets dans son ministère. Une différence évidente avec l’épidémie de SRAS en 2003, la première due à un coronavirus : les réseaux sociaux sont décryptés. L’équipe de Laëtitia Atlani-Duault, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), va se pencher dessus afin que les sciences sociales éclairent les politiques publiques en termes de communication en cas d’épidémie.

La communication est aussi abordée par le prisme de la circulation de l’information scientifique. Le projet du sociologue Daniel Benamouzig et de l’historien des sciences Guillaume Lachenal s’inscrit dans le mouvement actuel de science ouverte, favorable à la diffusion sans entraves des publications et données de la recherche. Ils vont ainsi comparer la circulation de l’information scientifique dans des contextes politiques différents, qu’ils soient autoritaires et démocratiques.

Les comportements humains sont aussi à l’étude. L’équipe de Marc Egrot, anthropologue et médecin, va documenter le confinement organisé pour les Français rapatriés de Wuhan. Et celle de Thomas Hanslik, professeur de médecine interne, va analyser les connaissances, perceptions et comportements de la population générale, mais aussi des professionnels de santé.

Brosser le portrait du virus SARS-CoV-2
Ce nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2 ,vient d’être découvert. C’est le troisième coronavirus provoquant des pneumonies et ayant des originales animales, comme ceux déjà connus : SARS-CoV responsable de l’épidémie de SRAS en 2003 et MERS-CoV, responsable d’une épidémie évoluant depuis 2012 au Moyen-Orient.

Pour mieux connaître le virus, l’une des équipes s’intéresse à Spike, une protéine du virus SARS-CoV-2. Spike, c’est un peu comme une clé pour ouvrir une porte : elle doit s’ancrer à la surface des cellules que le virus veut infecter. Regarder de plus près ce que cette protéine déclenche donnera des pistes pour l’inhiber.

Pour compléter « l’histoire naturelle » de SARS-CoV-2, il est aussi prévu de créer des réplicons, à savoir de le « reproduire » sans son potentiel infectieux. Cette expérimentation permettra d’établir ses caractéristiques, puis d’identifier des composés antiviraux qui pourraient le combattre.

Un autre projet, celui de l’équipe de Sylvie van Der Werf, directrice d’un laboratoire de génétique à l’Institut Pasteur, viendra en support en documentant l’évolution du virus lors de l’infection et lorsque le système immunitaire répond à sa présence. Par ailleurs, des chercheurs vont mettre en place un modèle d’infection expérimental chez un organisme qui, comme nous, est un primate et est très proche génétiquement, le singe macaque cynomolgus.

Connaître la transmission du coronavirus
À l’heure où les mesures de confinement se multiplient, la question de la transmission se pose dans tout l’espace public et dans les têtes des chercheurs français. Les mathématiques peuvent apporter des réponses. C’est l’objectif des travaux de Vittoria Colizza, de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique. Depuis le début du Covid-19, son équipe a déjà publié des estimations sur la probabilité de transmission pour les pays de l’UE et le continent africain. Ils vont ainsi poursuivre leurs travaux pour établir une modélisation mathématique, qui permettra d’anticiper le risque d’importation du virus en fonction des zones géographiques.

La transmission de l’animal à l’homme est aussi dans le viseur, ici grâce au réseau international des Instituts Pasteur. L’équipe de Philippe Dussart va pouvoir mener une évaluation des risques de transmission du Covid-19 dans des marchés des animaux vivants au Cambodge – le pangolin est le principal suspect –, similaires à ceux de l’épicentre de Wuhan en Chine où tout a commencé.

Étudier les patients infectés
Trois des vingt projets visent évidemment à étudier directement l’humain. L’équipe de Xavier Duval va se concentrer sur les personnes qui ont été en contact avec le virus. À Pasteur, l’équipe de Marc Eloit compte établir le profil des patients en convalescence puis élaborer un test sérologique. Ce test, à la différence du diagnostic actuel qui prouve la présence du virus, permettra de mettre en évidence les traces d’un contact passé avec le virus, même si l’on est guéri ou sans symptômes. Quant à l’équipe de France Mentré, elle va suivre la cohorte de tous les patients infectés, qu’ils aient été traités par des antirétroviraux ou non.

Implanter des masques de protection dans les hôpitaux
L’organisation des soins est aussi sur la table. La mission revient à Jean-Christophe Lucet, chargé de la prévention des infections à l’hôpital Bichat. Son équipe va travailler sur l’implantation d’un masque de protection à ventilation assistée, utile pour les personnels hospitaliers, en première ligne.

Trouver des traitements
Rappelons qu’on ne connaît à ce jour aucun traitement efficace contre ce nouveau coronavirus. Aujourd’hui, l’un des projets les plus significatifs en France est un essai clinique, qui va être piloté par Florence Adler, avec 800 patients français, sur un total de 3 200 Européens. Ces malades seront répartis dans quatre groupes et soumis à des traitements qui ont déjà fait leurs preuves pour d’autres pathologies : soins de réanimation sans médicament antiviral ; l’antiviral Remdesivir (même essai clinique en cours en Chine) ; un anti-VIH ; et ce même anti-VIH associé à l’interféron bêta, utilisé chez les patients atteints de sclérose en plaque. Cet essai est dit « adaptatif », a indiqué le professeur Yazdan Yazdanpanah, directeur de REACTing, le 11 mars, au ministère. « Si un traitement ne marche pas, nous l’arrêterons, mais si un traitement efficace apparaît, nous l’ajouterons. »

D’autres pistes thérapeutiques sont envisagées, comme l’identification d’anticorps (protéine sécrétée en réaction à l’entrée d’une substance étrangère dans notre organisme). Connaître les anticorps qui neutralisent le coronavirus pourra servir au développement de vaccins.

Une équipe va travailler sur le potentiel des thérapies nucléosidiques antirétrovirales, qui consistent à bloquer la multiplication du virus dans l’organisme. L’un des porteurs de ce projet est Bruno Canard, qui, la semaine dernière, dans une interview au Monde, regrettait le temps perdu entre l’épidémie SRAS en 2003 et aujourd’hui pour trouver des médicaments, faute de financements.

Sept des vingt projets financés par le consortium REACTing sont des projets de recherche fondamentale, pour apporter de nouvelles connaissances sur le virus et la maladie. Réalisés habituellement sur des temps plus longs, ils sont déclenchés aujourd’hui en urgence.

Cette forme de financement par projet, différente des crédits récurrents, est décriée depuis septembre par les chercheurs mobilisés contre la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Tout comme le fonctionnement de l’Agence nationale de la recherche, dédiée au financement, qui vient aussi de lancer un appel à projets, dont le budget s’élève à 3 millions et qui se clôt le 23 mars.