Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Covid-19 : en Italie, la quête du « patient zéro »

Février 2020, par Info santé sécu social

25 FÉVRIER 2020 PAR CÉCILE DEBARGE

L’Italie est le troisième pays le plus touché au monde par l’épidémie de Covid-19. Pourtant, parmi les malades infectés, personne n’est allé en Chine récemment. Le « patient zéro » n’a pas encore été identifié, ce qui fait craindre une explosion des contagions dans les jours à venir.

Palerme, (Italie), de notre correspondante.– Plus de 270 personnes ont été testées positives au coronavirus, en Italie, ce mardi en fin de matinée. La Lombardie et la Vénétie sont les deux régions les plus touchées, avec respectivement 206 et 38 cas. Pour la première fois, tôt ce mardi matin, un cas a été déclaré en Sicile, dans le sud du pays, jusque-là épargné par la contagion.

L’Italie est désormais le troisième pays le plus touché au monde après la Chine et la Corée du Sud. Et le premier en Europe à avoir pris des mesures de confinement pour onze de ses communes afin de limiter tant que possible la diffusion du virus. À mesure que le nombre de victimes augmente, une question reste toutefois sans réponse : qui est le premier maillon de la chaîne de contagion dans le pays ? Sans « patient zéro », il est bien plus difficile de circonscrire les foyers de contagion et de limiter la propagation de la maladie.

Il y a d’abord eu la piste d’un entrepreneur lombard de 41 ans, rentré d’un voyage à Shanghai. Testé négatif. Celle d’un groupe de huit Chinois venus regarder un match de football dans un bar. Négatifs eux aussi. Ces derniers jours, les hypothèses des autorités sanitaires se sont écroulées les unes après les autres.

À Milan, une équipe de médecins, de mathématiciens et de physiciens tente donc depuis plusieurs jours de mettre au point un algorithme capable de calculer la probabilité que chaque personne testée positive, ou l’une des personnes avec lesquelles elle a été en contact, puisse être ce fameux « patient zéro ». Car en Lombardie, région la plus touchée d’Europe, aucune des personnes testées positives au coronavirus n’a été en Chine récemment.

Pour reconstruire le parcours de transmission de la maladie, vingt enquêteurs interrogent les malades, leurs proches, leurs amis, leurs collègues et tentent aussi de dresser la carte de tous les lieux fréquentés au cours des dernières semaines, y compris , lorsque c’est possible, les moyens de transport utilisés. Si un protocole similaire peut être appliqué lors des cas de méningite ou de légionellose, les détails sont cette fois poussés à l’extrême.

La tâche est d’autant plus complexe que, jusqu’à présent, aucun lien formel n’a été établi entre les foyers de contagion en Lombardie et en Vénétie, dans le nord du pays. La piste d’un agriculteur sexagénaire, originaire d’Albettone, privilégiée ces dernières 24 heures a fini par s’écrouler, elle aussi, lundi soir. Il aurait pu établir un lien entre les deux foyers de contagion principaux, à Codogno, dans la province de Lodi, et à Vo’Euganeo, dans la province de Padoue. En vain. L’hypothèse de l’existence de plusieurs « patients zéro » est donc relancée.

À défaut d’un « patient zéro », l’Italie a son « patient un » : un homme de 38 ans, originaire de Codogno, une commune d’un peu moins de 16 000 habitants. C’est le premier cas lourd d’une personne testée positive au coronavirus prise en charge dans le pays. « Il a été traité sans les précautions nécessaires parce qu’on a d’abord suspecté une autre pathologie, reconnaît le professeur de maladies infectieuses Massimo Galli dans les colonnes du quotidien national Corriere della Sera. C’est la pire situation possible, c’est-à-dire que l’épidémie s’est amorcée en contexte hospitalier. Malheureusement, dans ces cas-là, un hôpital peut se transformer en un terrifiant amplificateur de la contagion si le porteur de la maladie est un patient pour qui on n’identifie aucun risque corrélé : soit un contact avec une personne infectée soit la provenance d’un pays touché par l’infection ».

Plusieurs personnes infectées sont effectivement passées par l’hôpital de Codogno ou ont été en contact avec des personnes y travaillant. Chaque fois, une nouvelle piste s’ouvre pour chercher le « patient zéro ». Même si la quête devient chaque jour plus difficile.

« Les patients que nous voyons aujourd’hui pourraient appartenir à la deuxième ou troisième génération des personnes infectées », estime l’épidémiologiste de l’Université de Pise Pier Luigi Lopalco, dans un entretien à La Repubblica. Pour lui, le virus pourrait être arrivé en Italie depuis le mois de janvier, rendant extrêmement difficiles les recherches du « patient zéro ».

Plus encore, car dans de nombreux cas, la personne contaminée ne présente que peu, voire pas de symptômes. Le premier décès d’un patient testé positif au coronavirus remonte au vendredi 21 février, dans la soirée. L’homme, âgé de 78 ans et originaire de Vénétie, était hospitalisé depuis dix jours pour plusieurs pathologies. Quatre jours plus tard, l’Italie comptait sept morts, tous atteints d’autres maladies et dont les analyses ante ou post mortem ont révélé la présence du virus dans le corps.

« Nous payons le fait de ne pas avoir mis immédiatement en quarantaine les personnes arrivant de Chine. Nous avons fermé les vols, une décision sans fondement scientifique, et cela ne nous a pas permis de tracer les arrivées parce qu’au bout du compte, les passagers ont pu faire des escales et arriver ensuite depuis d’autres endroits », a analysé dès dimanche Walter Ricciardi, membre du conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et professeur d’hygiène à l’Université catholique de Milan, interrogé par La Stampa. « La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont suivi l’OMS et n’ont pas bloqué les vols directs, mais ont mis en quarantaine toutes les personnes à risque, explique-t-il. Ils ont aussi une chaîne de commandement directe alors que chez nous, les réalités locales avancent en ordre dispersé. »

C’est ce dernier point qui est aujourd’hui au cœur de la polémique en Italie. Les autorités régionales ont parfois adopté des mesures surprenantes, accentuant le mouvement de panique qui s’est emparé de la population. Depuis l’explosion du nombre de malades recensés ce week-end, les images des supermarchés pris d’assaut tournent en boucle sur les télévisions nationales. La scène est toujours la même, y compris à Milan, la capitale lombarde : des rayons vides, des bouteilles de lait aux bacs de légumes et des files d’attente interminables aux caisses. Les masques de protection et les bouteilles de désinfectant pour les mains sont en rupture de stock.

Les gouvernements régionaux, eux, réagissent tous différemment, et souvent, dans la confusion. Par exemple, la Basilicata, dans le sud, a demandé que les étudiants provenant des « zones rouges » soient immédiatement placés en quarantaine. Dans les Marches, au centre du pays, où aucun cas n’a été recensé, la fermeture de toutes les écoles a été annoncée avant que Giuseppe Conte, le président du Conseil ne contredise cet ordre.

Il a d’ailleurs organisé une réunion extraordinaire ce mardi matin, par vidéoconférence, avec tous les présidents des Régions afin de coordonner leur collaboration, notamment au niveau sanitaire. « Le système sanitaire en Italie est de compétence régionale et n’est pas prédisposé pour une urgence nationale. Pour cela, une coordination est nécessaire. Si nous ne sommes pas coordonnés, nous ne réussirons pas à contenir le virus de manière efficace. Si nous n’y parvenions pas, alors nous serions prêts à adopter des mesures qui réduiraient les prérogatives des gouverneurs », a annoncé Giuseppe Conte, s’attirant notamment les foudres du gouverneur lombard.