Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Covid-19 : face aux erreurs du pouvoir, l’amateurisme de Marine Le Pen

Avril 2020, par infosecusanté

Mediapart : Covid-19 : face aux erreurs du pouvoir, l’amateurisme de Marine Le Pen

7 avril 2020

Par Lucie Delaporte

Qui conseille Marine Le Pen sur les sujets de médecine ? Alors que la présidente du RN sature l’espace médiatique, en tentant de profiter des fautes du gouvernement, la crise actuelle révèle combien son parti manque toujours cruellement d’expertise crédible sur un sujet aussi majeur que la santé.

Depuis le début de la crise sanitaire, Marine Le Pen s’est employée à occuper l’espace médiatique avec une incontestable énergie. Ces deux derniers jours, elle était ainsi l’invitée de RTL, Radio Classique, de CNews…

Soucieuse d’apparaître comme la première opposante face à Emmanuel Macron, la présidente du RN a fait feu de tout bois. Profitant de l’impéritie du gouvernement dans cette crise sanitaire sans précédent, elle a vitupéré contre le manque de masques, de tests et raillé avec délectation les mensonges et les revirements de l’exécutif notamment sur la gestion des masques.

Mais derrière les coups de menton et les critiques au lance-flamme de Marine Le Pen, se révèle, une nouvelle fois, l’amateurisme du parti d’extrême droite qui cherche pourtant, depuis des années, à convaincre de sa crédibilité à exercer le pouvoir.

Entre théories du complot aux relents antisémites, affirmations médicales farfelues, et petites manœuvres opportunistes, il serait tentant de résumer la gestion de la crise par le RN par le savoureux lapsus de Marine Le Pen sur France 2 3 : « Nous ne nous sommes pas contentés de critiquer les mauvaises décisions, nous en avons aussi proposé beaucoup. »

On aura donc vu l’eurodéputé RN Gilbert Collard détailler dans une vidéo aux accents complotistes 3 – et à l’antisémitisme à peine voilé – publiée le 24 mars (et vue plus de 560 000 fois) la « thèse » selon laquelle le couple Buzyn/Lévy aurait sciemment écarté le traitement à la chloroquine pour des intérêts financiers inavouables… Le même élu expliquera aussi, quelques jours plus tard, qu’un décret autorise l’euthanasie dans les Ehpad... Une autre fake news, dénoncée notamment par Libération 3 le jour même.

Interrogée le 1er avril par France Info 3 sur les théories du complot qui font florès autour du Covid-19, Marine Le Pen a fait cette curieuse réponse : « Que des gens s’interrogent pour savoir si ce virus est d’origine naturelle ou s’il ne peut pas avoir échappé d’un laboratoire, c’est une question de bon sens. » Et de préciser d’ailleurs n’avoir « aucune opinion sur ce sujet ».

Une affirmation assez légère pour celle qui s’est déjà déclarée candidate à l’élection présidentielle de 2022 et alors que la communauté scientifique est absolument catégorique quant à l’origine naturelle de ce coronavirus.

Si la pandémie actuelle a, sans conteste, pris toute la classe politique de court, elle a aussi révélé le niveau d’expertise et de compétence sur lequel pouvaient s’appuyer les différentes formations politiques. Et sur ce plan, le bilan est assez cruel pour le Rassemblement national.

Qui conseille Marine Le Pen sur les questions de santé ? Comment le parti s’est-il réorganisé face à cette crise ? Quels sont les spécialistes de santé consultés ? Ces questions ne suscitent que des réponses évasives au RN.

« Chacun a son carnet d’adresses. Nous avons ici une députée européenne Hélène Laporte dont le mari est chirurgien », nous explique ainsi l’eurodéputé Thierry Mariani qui ne voit là rien d’anormal. Ce serait même le signe d’un parti qui ne serait pas gagné par l’embolie bureaucratique. « Pour avoir bien connu un autre parti [Les Républicains où l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy a fait l’essentiel de sa carrière politique – ndlr] où c’était un peu l’armée mexicaine – on avait un délégué à l’agriculture biologique des carottes – là ça ne fonctionne pas comme ça », se réjouit-il. Thierry Mariani explique ensuite « un système de notes » qui remontent au bureau politique.

Selon nos informations, Marine Le Pen est principalement alimentée par des notes rédigées par les Horaces, ce cercle de hauts fonctionnaires anonymes qui contribue depuis plusieurs années à nourrir l’expertise du RN. Certains, « trois ou quatre », seraient compétents sur les sujets de santé, explique un cadre. Mais impossible d’avoir leurs noms. En réalité, plus que de la véritable expertise santé, ces notes apportent essentiellement de la veille médiatique et visent à préparer la candidate à s’exprimer sur un sujet qu’elle maîtrise évidemment peu.

Une des toutes dernières notes des Horaces portait ainsi sur un comparatif des réactions des différents pays face à la pandémie et vantait l’exemple de la Corée du Sud. Interrogée ce mardi par Radio Classique 3, la dirigeante du RN reprendra l’essentiel de cette note. « Certains pays ont très bien réagi face au Covid-19. La Corée du Sud par exemple, qui a réussi à endiguer l’épidémie en fermant ses frontières, en mettant immédiatement et massivement en place des tests, en généralisant le port du masque », détaille-t-elle à l’antenne.

Un peu plus tôt, une autre note avait informé la présidente du cas de cette usine de masques fermée en Bretagne – et non soutenue par Bercy – comme l’ont révélé 20 Minutes et une enquête de la cellule investigation de Radio France. Objectif : fournir un cas dont il serait médiatiquement intéressant de tirer parti. On est donc loin de l’expertise médicale.

Qui souffle donc à l’oreille de Marine Le Pen sur les sujets de santé ? Celle qui a en grande partie rédigé le programme santé de Marine Le Pen en 2017 évacue la question. Médecin généraliste récemment retraitée, l’eurodéputée RN Joëlle Mélin ne souhaite d’ailleurs pas être présentée comme la conseillère santé de Marine Le Pen.

« Elle a beaucoup d’autres conseils », explique l’eurodéputée. Qui par exemple ? « Joker », rétorque-t-elle, nous renvoyant à la communication officielle du parti, qui ne nous a pas répondu.

Candidate aux élections municipales à Aubagne (Bouches-du-Rhône), celle qui s’occupe de fait des questions de santé au RN depuis de nombreuses années avoue avoir été très prise ces derniers mois par sa campagne locale, en plus de son mandat à Bruxelles.

Pour autant, assure-t-elle, elle a compris très tôt la gravité de la pandémie venue de Chine et fait remonter des « notes » en ce sens à la direction du parti. « Avant fin janvier, j’ai dit qu’il fallait mettre des moyens majeurs sur la table. C’est un instinct de médecin qui a fait cinquante ans de médecine. On ne crée pas des hôpitaux de campagne en Chine juste pour trois cents morts ! », explique-t-elle.

« Dès le 13 ou le 15 janvier, je suis allée chercher du Tamiflu [un médicament prescrit contre la grippe, sans effet prouvé sur le Covid-19 – ndlr] pour les personnes âgées que je connais et j’ai distribué des masques à mon équipe », assure l’élue européenne.

Sur toutes les photos que recèle son compte Twitter la montrant en campagne jusqu’au 15 mars à Aubagne – avec un certain nombre de militants âgés – personne ne porte de masque.

Comme une bonne partie des cadres du RN, Joëlle Mélin s’en remet sans réserve aux expériences du professeur Didier Raoult et préconise face au Covid-19 le recours à la chloroquine, sur laquelle le corps médical continue de s’interroger, en l’absence d’évaluation scientifique sérieuse. « Inutile de polémiquer. Même si tout cela n’est pas académique, nous n’avons rien d’autre en attendant la fin de la crise », affirme-t-elle dans une récente vidéo. « On peut toujours y voir clair même quand les études ne sont pas encore publiées. Ça suffit d’avoir toujours deux coups de retard par rapport à la maladie ! », s’agace-t-elle. Un argumentaire qu’a repris, à la lettre, Marine Le Pen sur RTL ce lundi.

Les conseils face au Covid-19 que cette conseillère santé prodiguait dans une vidéo datée du 28 février (voir ci-dessous) laissent un peu songeur. « L’épidémie de coronavirus mérite d’être traitée avec le plus grand sérieux », commence-t-elle par expliquer, détaillant le rôle que devra notamment tenir l’Union européenne dans cette crise sanitaire. Et de conclure : « Juste une petite chose encore. Le Covid-19 déteste la chaleur et la sécheresse, donc n’hésitez pas à vivre dans un air chaud et sec ou à renouer avec les vieilles fumigations de nos grands-mères. »

Des fumigations contre le virus qui a déjà tué plus de 75 000 personnes dans le monde ? Un « conseil », sans doute trop fumeux, que n’a pas encore repris Marine Le Pen…