Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Covid-19 : un couvre-feu pour couvrir des failles

Janvier 2021, par Info santé sécu social

14 JANVIER 2021 PAR ELLEN SALVI

Le couvre-feu va désormais s’appliquer à 18 heures sur l’ensemble du territoire, pendant au moins deux semaines. Les écoles restent ouvertes, mais un reconfinement n’est pas exclu. Pris en étau entre les inconnues du virus et ses propres dysfonctionnements, l’exécutif tente de rattraper son loupé sur le démarrage de la campagne de vaccination. Un œil sur ses voisins européens, l’autre sur la présidentielle de 2022.

C’est une simple phrase, lâchée par une députée La République en marche (LREM), au détour d’une conversation plus générale sur la stratégie de lutte contre l’épidémie de Covid-19. « Le problème, c’est la convivialité… » Voilà en substance ce que le gouvernement a expliqué en début de semaine à la majorité pour préparer les esprits aux nouvelles mesures restrictives qui ont été annoncées, jeudi 14 janvier, par Jean Castex et six des ministres concernés, dont celui de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Jean-Michel Blanquer, et celui des solidarités et de la santé, Olivier Véran.

Outre un renforcement des contrôles aux frontières et des protocoles sanitaires dans les écoles, et en particulier dans les cantines, outre aussi un retour à l’université « dès le 25 janvier des élèves de première année par petits groupes », le chef du gouvernement a surtout annoncé que le couvre-feu serait avancé à 18 heures partout en métropole, « à compter de ce samedi et pour au moins quinze jours ». Des restrictions complémentaires s’appliqueront également en Guyane, à Mayotte et à la Réunion. « Je pense sincèrement que notre stratégie a été la bonne », s’est félicité Jean Castex, évoquant une situation « maîtrisée par rapport aux voisins », mais qui reste « fragile ».

La vaccination « permet d’espérer une sortie de cette crise à l’été prochain », a-t-il poursuivi, avant de s’engager à « maintenir les dispositifs de soutien tant que cela sera nécessaire ». Dans la foulée, la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, Élisabeth Borne, a logiquement indiqué que les dispositifs d’activité partielle étaient maintenus et prolongés, tandis que son collègue de l’économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a annoncé que le remboursement des prêts garantis par l’État était décalé d’une année supplémentaire, de droit, et pour toutes les entreprises en France.

Avant qu’il ne soit étendu à l’ensemble du territoire, le couvre-feu à 18 heures était déjà établi dans 25 départements et critiqué par plusieurs maires. Il « n’a aucune conséquence sanitaire », mais « des conséquences négatives sur l’économie et sur le social », avait dénoncé celui Les Républicains (LR) de Cannes (Alpes-Maritimes) David Lisnard. « Ça va entraîner des regroupements dans les grandes surfaces plus importants, ça va tuer définitivement le click and collect que les restaurateurs ont mis en place, puisque 80 % de leur activité se fait entre 18 heures et 20 heures. Tous les commerces vont en pâtir, sans qu’on ait la preuve de l’efficacité sanitaire de cette mesure », prévenait également l’édile socialiste de Dijon (Côte-d’Or), François Rebsamen, en début d’année.

Deux semaines plus tard, et malgré l’efficacité vantée par Jean Castex, le président de la région Sud Renaud Muselier explique encore que « passer de 20 heures à 18 heures n’a rien changé » sur la courbe épidémique. Mais le gouvernement en est convaincu : cette mesure est indispensable pour réduire au maximum toute tentative d’interaction conviviale. « C’est plus compliqué de faire un apéro au boulot à 17 heures qu’à 19 heures », résume un conseiller ministériel. « Le couvre-feu à 18 heures […] permet de s’attaquer à un virus qui est un virus social », a également indiqué le délégué général de LREM Stanislas Guerini, évoquant lui aussi la nécessité de « contrer l’effet apéro ».

Ces propos ont fait bondir des élus de l’opposition, comme Julien Bayou (EELV) et Laurence Rossignol (PS), ainsi que certains députés de la majorité, qui ne cachent plus leur agacement vis-à-vis des discours infantilisants et/ou culpabilisants, comme le « je crois qu’on pourra dire que les Français se sont bien comportés pendant les fêtes », lâché par le premier ministre mardi, en réunion de groupe. « L’“effet apéro”…Voilà une expression inutilement caricaturale, et si éloignée de la réalité. Depuis le début de l’épidémie, les Français se montrent exemplaires dans le respect des règles et dans leurs comportements », a tweeté le vice-président de l’Assemblée nationale Hugues Renson.

Les annonces du 14 janvier viennent provisoirement conclure des jours de tergiversations et de bruits de couloirs ministériels sur les nouvelles mesures restrictives envisagées par l’exécutif en ce début d’année. Provisoirement, car tous nos interlocuteurs sont unanimes sur le sujet : le virus est beaucoup trop imprévisible pour imaginer graver quoi que ce soit dans le marbre. Le chef du gouvernement l’a d’ailleurs martelé : si le scénario d’un reconfinement n’est pas retenu « à ce stade », il est loin d’être exclu. « Si nous constatons une dégradation épidémique forte, nous serions conduits à décider sans délai d’un nouveau confinement », a-t-il averti, jeudi soir.

En cause : les nouveaux variants du Covid-19, britannique et sud-africain, déjà présents en France, qui inquiètent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de nombreux gouvernements, dont bien évidemment celui de Jean Castex. « Si on ne fait rien, si un certain nombre de mesures ne sont pas prises, pas de façon urgente, mais très rapidement quand même, on va avoir une extension du variant anglais, a prévenu le président du Conseil scientifique Jean-François Delfraissy. De toute façon, on va avoir une extension du variant anglais. La question n’est pas de le bloquer, mais de le ralentir. » Et d’ajouter : « On pense que les données anglaises sur la pénétration du virus ne sont pas suffisamment claires pour nous pousser à fermer les écoles en France. »

Le premier ministre l’avait énoncé dès la semaine dernière : il faudrait que la situation soit « gravissime » pour fermer les établissements scolaires. Selon un conseiller ministériel, l’exécutif ne veut pas reproduire en France le modèle italien où « les enfants n’ont pas revu une école depuis le printemps ». « Là-bas, c’est une génération sacrifiée », dit-il, se satisfaisant que les politiques ne cèdent pas tout aux scientifiques « qui voudraient ne plus voir une personne dans la rue ». « Nous sommes fiers d’être dans les pays qui ont ouvert le plus longtemps leurs écoles », s’est aussi réjoui Jean-Michel Blanquer, en conférence de presse. Si les chiffres ne sont pas encore alarmants, ceux publiés par Santé publique France (SPF), le 10 janvier, révèlent toutefois une augmentation de la proportion de cas positifs chez les moins de 20 ans.

D’où cette question lancinante, qui traverse jusqu’aux rangs de la majorité : puisque le variant britannique, plus contagieux, circule déjà dans le pays et a toutes les chances de se répandre dans les prochaines semaines, pourquoi ne pas prendre tout de suite les décisions qui permettraient d’éviter que la situation ne devienne justement « gravissime » ? « C’est un équilibre compliqué, concède le député LREM Roland Lescure, porte-parole du mouvement présidentiel. L’idée, c’est d’éviter de refermer les écoles, comme les commerces d’ailleurs. Pour des raisons économiques, mais aussi tout simplement psychologiques. Les Français n’en peuvent plus. »

Le pouvoir lui non plus d’ailleurs. À moins d’un an et demi de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron aimerait bien qu’on parle d’autre chose que de la crise. Car personne n’a envie de voter pour l’homme des mauvais souvenirs et il le sait bien. En mal de nouvelles réjouissantes, l’exécutif a imaginé un outil visant à défendre le bilan du quinquennat. « Le lien avec 2022 est totalement assumé. C’est un vrai objet politique pour montrer le bilan d’Emmanuel Macron depuis 2017, assume la ministre de la transformation et de la fonction publiques Amélie de Montchalin, dans Le Monde. On n’est peut-être pas réélu avec un bilan mais avec un bilan, on peut se représenter. »

L’entourage du chef de l’État fait aussi savoir que ce dernier entend continuer à « maintenir le rythme des réformes », pour que les quelques mois qui le séparent du démarrage de la campagne présidentielle de 2022 ne soient pas totalement vains. « C’est difficile d’exister au milieu de cette crise sanitaire », regrette une ministre éloignée des sujets « santé », mais qui plaide pour « avancer au maximum » sur tout le reste, car « une fois l’épidémie contrôlée, tout le monde va se demander ce qu’on a foutu pendant tout ce temps ». À l’Assemblée, qui examinera le projet de loi sur le « séparatisme » au cours de la première quinzaine de février, c’est aussi l’impatience qui domine.

« Ce qui est difficile pour nous tous, c’est que la politique n’a pas complètement la main sur la crise sanitaire, explique une députée LREM. Une fois le texte “séparatisme” passé, si on pouvait retrouver notre veine libérale et légiférer sur des autorisations plutôt que sur des restrictions, on ne serait pas contre ! » Sans compter que toutes les décisions continuent d’être prises en conseil de défense, par un noyau très resserré de personnes. Les élus de la majorité, qui votent et revotent des prolongations d’état d’urgence, en sont réduits à gérer le service après-vente d’une campagne de vaccination, qui a très mal démarré, et sur laquelle ils n’ont aucune prise.

Le sujet est d’autant plus périlleux qu’il a cristallisé, en l’espace de quelques jours, toutes les critiques, à commencer par celles du président de la République, pourtant loin d’être étranger au retard à l’allumage. La mise en scène de sa « colère » en une du Journal du dimanche a laissé plus d’un de ses soutiens pantois. Quand on les interroge sur le sujet, ils dégainent leur « joker », façon de reconnaître que la communication d’Emmanuel Macron a contribué à nourrir ce que son premier ministre qualifie de « polémiques stériles ». Olivier Véran s’est contenté de reconnaître sur Europe 1 « un manque de clarté dans la communication et l’explication ».

L’argument « pédagogique » – un classique des macronistes – se heurte à la comparaison avec les autres pays européens, qui ont commencé à sérieusement plancher sur le sujet de la vaccination bien avant que la France ne s’y mette – jeudi soir, le premier ministre a tout de même annoncé qu’elle serait élargie dès lundi aux personnes de tout âge, avec une pathologie présentant de très hauts risques. Pour le chef de l’État, les responsabilités de ce loupé sont à chercher du côté de cette fameuse « bureaucratie », pour reprendre un mot fréquemment utilisé par ses proches, dont il ne cesse, depuis le début du quinquennat, de regretter les « lenteurs » sans jamais y remédier. C’est elle, et non le ministre des solidarités et de la santé, qui était l’objet de son courroux théâtralisé.

Fréquemment pointées du doigt par l’exécutif, les nombreuses agences et autorités de santé chargées de le conseiller n’entendent pas porter le chapeau, soulignant qu’il revient au pouvoir politique de coordonner, de décider et d’appliquer. Or, comme l’explique un connaisseur des arcanes administratifs, il y a eu de « mauvais choix politiques puisque les mauvaises administrations ont été choisies ». Il évoque notamment les relations complexes que continuent d’entretenir les Agences régionales de santé (ARS) et les préfectures, lesquelles se conjuguent au manque de fluidité observé entre le ministère de la santé et celui de l’intérieur.

Au gouvernement, certains critiquent la gestion de Jean Castex, jugé « très faible » vis-à-vis de ses ministres, mais aussi des présidents de Régions, qui en profitent pour attaquer à tout-va. Après des semaines de tensions, le gouvernement vient d’accepter la mise en place d’une cellule de suivi régional de la campagne de vaccination et la possibilité, pour les Régions, de relayer la campagne de publicité nationale. « Ce premier pas est fondamental ! », s’est même réjoui Renaud Muselier. Le moindre pas est d’autant plus nécessaire qu’au-delà de la crise sanitaire, le plan de relance économique nécessite lui aussi un travail étroit avec les collectivités locales.