Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Covid : les fausses données de Matignon, l’embarras et le silence

Avril 2021, par Info santé sécu social

15 AVRIL 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le 28 janvier, de fausses projections épidémiologiques ont été présentées aux parlementaires, au milieu d’informations succinctes sur la situation sanitaire. Alors que l’exécutif dispose de pouvoirs d’exception, ce manque de transparence et de loyauté devrait interroger. En réalité, très peu.

En Belgique, l’État a été condamné à prendre des mesures pour « mettre un terme à la situation d’illégalité apparente découlant des mesures restrictives des libertés et droits fondamentaux », une bataille remportée par la Ligue des droits humains : « Nous réclamons un débat parlementaire sur ces mesures qui, jusqu’à présent, n’a pas eu lieu », explique à Mediapart Olivia Venet, présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH).

La France vit, depuis un an, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire (notre article ici), qui permet au gouvernement d’ordonner, par décret, des restrictions des libertés pour lutter contre l’épidémie. Ses décisions ne sont pas soumises au contrôle du Parlement. De ces pouvoirs exceptionnels, le gouvernement fait un usage qui ne ménage pas la représentation nationale.

Le 29 janvier, le président de la République a décidé de ne pas reconfiner le pays, passant outre les recommandations du Conseil scientifique dans sa note adressée à l’exécutif, qui n’a été rendue publique que le 24 février. Le gouvernement n’a pas pris la peine d’informer les parlementaires des modèles épidémiologiques produits par les scientifiques pour éclairer la décision politique.

Pire, les services du premier ministre ont communiqué aux parlementaires de fausses « projections » épidémiologiques en comité de liaison parlementaire le 28 janvier. Comme Mediapart l’a révélé, le professeur Piarroux, spécialiste des épidémies, membre de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique rattaché à l’Inserm, a reconnu ces courbes. Il les a dessinées pour illustrer une note sur la dynamique des variants, remise en mains propres à Jean Castex le 27 janvier.

Ces courbes ont été scannées, retitrées et présentées par le premier ministre aux parlementaires comme des « projections » que Renaud Piarroux n’a « jamais prétendu faire », nous a-t-il indiqué. Une ligne en pointillé a été ajoutée, ainsi qu’une nouvelle légende. On peut y voir une volonté d’atténuer l’impact du variant.

« Que le sens même du graphique ait été modifié heurte ma déontologie de scientifique », a déclaré le professeur Piarroux.

Selon nos informations, c’est le pôle parlementaire du premier ministre qui a envoyé le diaporama truqué aux parlementaires. Nous avons interrogé tous ses membres, ainsi que les conseilleurs santé du premier ministre, sur l’auteur des modifications, ainsi que sur sa compétence, sans recevoir aucune réponse.

À l’occasion des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, mercredi 13 et jeudi 14 avril, Jean Castex n’a pas eu à s’expliquer sur ces courbes trafiquées. Aucun président de groupe ne l’a interrogé à ce propos, ce qui l’aurait contraint à répondre.

Seuls les députés Adrien Quatennens (LFI) et Olivier Faure (PS) ont évoqué ces fausses projections lors de leur prise de parole sur l’organisation des élections départementales et régionales, décalées d’une semaine au mois de juin.

Pour le premier, « le Parlement est plus que jamais réduit au rôle de chambre d’enregistrement des décisions du monarque présidentiel […]. Le 29 janvier, il décida seul de ne pas suivre l’avis du Conseil scientifique qui recommandait de reconfiner le pays et de fermer les écoles pour quatre semaines ». Seulement, « la veille, aux députés, vous avez présenté des projections qui se sont avérées trafiquées dans le cadre d’un énième comité Théodule contournant notre assemblée », a rappelé Adrien Quatennens à Jean Castex. « Au bout de la chaîne de vos décisions hasardeuses se trouvent l’hôpital, les personnels de santé épuisés, et bientôt 100 000 familles endeuillées. »

« Nos présidents de groupe n’ont cessé de vous demander de tout mettre sur la table, lui a, à son tour, rappelé Olivier Faure. Vous n’avez cessé de répondre à nos alertes par des propos lénifiants. Vous nous avez parfois invités à venir à votre rencontre à grand renfort de publicité. Mais pour quoi faire ? Jamais vous n’avez donné vos scenarii ou livré les études d’impact permettant de faire des choix conscients. Vous avez toujours fait le choix de la mise en scène, plutôt que de chercher l’unité du pays à travers ses représentants. Jusqu’à la veille du pari présidentiel du 29 janvier : vous nous avez remis des données falsifiées, volontairement ou pas. Comment dans ces conditions prétendre faire partager vos choix ? »

Dans un communiqué de presse, publié vendredi 9 avril, le sénateur socialiste Patrick Kanner s’est de son côté interrogé : « Faut-il y voir une opération d’instrumentalisation des présidents des groupes parlementaires ? Est-ce une nouvelle illustration du mépris dans lequel est tenu le Parlement depuis quatre ans ? Est-ce la manifestation d’un gouvernement qui pense pouvoir s’arranger avec la vérité, et avec l’honnêteté élémentaire que suppose un débat démocratique et contradictoire ? »

Dans une question écrite adressée au premier ministre, Patrick Kanner réclame « d’urgence des explications étayées ». Il les aura, peut-être, dans un délai de trois mois.

Au fond, chacun semble s’accommoder de la situation : la représentation nationale reste dans le brouillard, le président de la République assume seul ses décisions, renvoyant les uns et les autres à leurs inconséquences.

« Les commerces, ne les fermez pas, les stations de ski, ne les fermez pas, les universités, rouvrez-les ! J’ai entendu cela depuis des semaines et aujourd’hui, voilà que nous serions trop mous » , a taclé le premier ministre, le 1er avril, lors du débat parlementaire succédant aux dernières annonces de confinement, à la suite duquel les députés de droite et de gauche ont refusé de voter (notre article ici).

Le président de la République a promis la réouverture des écoles le 26 avril, celle des collèges et des lycées le 3 mai, et un déconfinement le 15 mai.

Seulement, le reconfinement du 31 mars n’a donné que de maigres effets, trop tardifs : l’épidémie donne un très léger signe de ralentissement, autour de 32 000 cas par semaine. Mais près de 6 000 personnes sont hospitalisées pour Covid dans les services de réanimation, alors qu’il n’y a, en temps normal, que 5 000 lits de réanimation en France. Les autres malades voient leurs opérations déprogrammées en nombre.

Un nouveau choix cornélien se profile. Faut-il maintenir plus longtemps des mesures de confinement pour tenter de reprendre le contrôle de l’épidémie, sauver des vies, ménager un hôpital surmené et se mettre à l’abri des nouveaux variants plus transmissibles et peut-être résistants aux vaccins ? Ou desserrer l’étau qui pèse sur la vie économique, sociale et psychique mais risquer de compromettre l’efficacité de la campagne de vaccination et prolonger, in fine, la crise sanitaire, économique et sociale ? Un tel choix ne devrait pas être fait par un seul.