Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Mediapart : Crise à l’hôpital psychiatrique d’Amiens : « La honte doit changer de camp »

Août 2018, par infosecusanté

Crise à l’hôpital psychiatrique d’Amiens : « La honte doit changer de camp »

22 AOÛT 2018 | PAR MATHILDE GOANEC

Les soignants de l’hôpital Philippe-Pinel, à Amiens, campent de jour comme de nuit depuis deux mois aux portes de leur établissement, pour protester contre « la dégradation des soins » en psychiatrie. Sans obtenir de réelle réponse des autorités de santé et dans l’indifférence de leur ministre, Agnès Buzyn.
Amiens (Somme), envoyée spéciale.– Chrystèle Leclercq a fini par s’endormir, vers deux heures du matin, cassée en deux sur la table, la tête posée sur ses bras croisés, une simple couverture grise entourant ses épaules. Voilà des nuits que l’infirmière parlemente, s’active ou veille devant l’hôpital Philippe-Pinel à Amiens, pour protester contre la lente dégradation des soins psychiatriques dans son établissement.

Chaque matin, après une petite nuit passée le plus souvent allongée dans un méchant transat vert olive, sa collègue Marie Lefèvre fait tourner à la main le compteur, un simple tableau de carton installé sur le bord de la route, pour dénombrer les jours et les nuits de mobilisation. Le campement du collectif « Pinel en lutte » est tenu sans relâche depuis juillet, matérialisé par deux petits barnums égayés d’une guirlande de fête foraine et des tentes Quechua disséminées de part et d’autre d’un grand et bruyant rond-point. Les blouses blanches ont également aligné des croix blanches le long d’un trottoir, au nom des quatre services de psychiatrie adulte fermés en quatre ans à Philippe-Pinel.
Paradoxalement, cet hôpital nommé en hommage à l’un des précurseurs de la médecine du XXe siècle, célèbre pour avoir humanisé les traitements et rompu avec la logique asilaire, fait désormais partie des moutons noirs de la psychiatrie française. Barbara Pompili, députée de la Somme, n’avait même pas pu, lors de sa visite dans l’établissement, contenir son émotion : « Ce que j’ai vu à l’hôpital Pinel me remplit de honte », confiait ainsi l’élue à France 3 en novembre dernier.
La députée LREM avait, pour l’occasion, fait alliance objective avec le député François Ruffin, l’autre enfant du pays, afin d’alerter sur le mauvais état de la psychiatrie française. Depuis, la grève de la faim à l’hôpital du Rouvray ou les « perchés du Havre » ont achevé de convaincre de la crise que traverse le secteur, historiquement parent pauvre du système de soins français, après avoir longtemps été le lieu de toutes les audaces thérapeutiques.
À Amiens, l’étincelle date du 15 juin. La direction de l’hôpital et l’ARS (agence régionale de santé) de la Somme annoncent la fermeture d’un quatrième service de psychiatrie adulte, sans ouverture de nouvelles places dans les services restants. Les autorités de santé font le « pari de l’ambulatoire », c’est-à-dire limiter le nombre d’hospitalisations, coûteuses, pour favoriser la prise en charge en ville, via des centres médico-psychologique (CMP), des consultations en hôpital de jour, des lits en foyer spécialisé et autres centres de postcure…

À ceci vient s’ajouter une véritable pénurie de soignants, les médecins quittant le navire Pinel les uns après les autres, de nombreux infirmiers et paramédicaux leur emboîtant le pas. Depuis quelques mois, une douzaine de psychiatres sont partis ou en partance, laissant des services entiers totalement exsangues. « Aujourd’hui, j’étais le seul psychiatre avec quatre services en charge, donc environ cent patients sous ma responsabilité, raconte Mehmet Matsar, 32 ans, de passage sur le campement installé aux portes de l’hôpital. Cela devient difficile de préserver notre éthique professionnelle. » Le jeune médecin quittera Philippe-Pinel le 2 novembre, pour exercer en libéral.
Fatiguée des discours contradictoires qui lui sont tenus, une partie du personnel de Pinel s’est donc mise en grève, malgré les assignations de la direction liées au respect du service minimum à l’hôpital public. Ils ont commencé quelques kilomètres plus bas, en ville, campant devant l’ARS durant trois jours et deux nuits au début de l’été. Les revendications sont claires : soixante postes pour colmater les brèches, la réouverture de deux services, mais avant tout une table ronde avec tous les acteurs, médecins, infirmiers, organisations syndicales, associations de famille, direction, députés… Le 14 juillet, les CRS les ont délogés de l’ARS sans ménagement.
« C’était la fête nationale, le jour de l’arrivée du Tour de France à Amiens et tout le tintouin… Les CRS ont fait un extra en passant pour nous expulser », plaisante Marie Lefèvre, qui s’est néanmoins retrouvée à l’issue de cette journée épique avec un certain nombre d’hématomes sur le corps. Les yeux d’Éric Legrand, médecin en pédopsychiatrie très expérimenté, s’embuent soudainement lorsqu’il raconte l’incident : « L’occupation était illégale, c’est clair. Mais ce n’est pas normal de dégager ainsi des blouses blanches qui demandent juste un rendez-vous. Ainsi, on tire maintenant sur les ambulances ? »

Éjecté du centre-ville, le collectif « Pinel en lutte » a donc fini par s’installer directement devant les grilles de l’hôpital, un immense territoire à la périphérie de la ville, ceint de murs et de grilles, composé de jolis pavillons de brique, d’une chapelle et d’un beau parc, classique des géographies asilaires de la fin du XIXe siècle. Près de soixante jours plus tard, ils sont toujours à la même place, dans un campement qui s’étend chaque jour un peu plus au fil des actions.

La machine paraît désormais bien rodée : dans l’agenda posé sur la table, chacun s’inscrit pour un tour de veille la nuit ou pour participer à l’une des commissions du mouvement, confectionner des banderoles, gérer la communication ou la logistique. Sous une toile de tente s’entassent des jus de fruits, des gâteaux, des kilos de café et de thé, un petit frigo et une station pour recharger les téléphones. Les community managers ont appris sur le tas à agiter et gérer les réseaux sociaux, assumant tout à fait le « mode harcèlement » sur Twitter pour décider leur ministre, Agnès Buzyn, à faire un saut à Amiens. Certains se sont même équipés de nouveaux téléphones, pour un travail devenu extrêmement chronophage. « Ça vibre jour et nuit, même à la maison, on n’arrête jamais. »

« L’ambulatoire, génial sur le principe, finit par se transformer en escroquerie »
Les repas se composent au gré des gamelles apportées par les uns ou les autres, souvent un soignant d’astreinte qui participe ainsi, de loin. Le 20 août, vers minuit, on a donc dîné d’un reste de couscous, d’un peu de pâté et de fromage. Au petit matin, pain et chouquettes fraîches étaient apparus comme par magie sur la table. Au plus fort de la canicule cet été, un monsieur est venu chaque matin avec son pack de six litres d’eau. Machinalement, en plein milieu d’une conversation, les uns et les autres lèvent le poing, pour répondre aux Klaxon de soutien des automobilistes, qui passent devant l’entrée de l’hôpital envahie par les banderoles.
Peu dorment vraiment, préférant la discussion nocturne ou l’action. Florent Budin, l’un des piliers du campement, n’en revient pas de la réponse de l’ARS aux revendications de soignants, qui tourne en boucle depuis le passage aux informations de France 2 et BFM du collectif « Pinel en lutte ». Les autorités promettent un million d’euros supplémentaires pour l’hôpital d’ici à la fin de l’année, dans l’espoir d’éteindre l’incendie. « On nous donne un million d’avance, mais ils oublient de préciser que l’ARS nous en a pris trois sur le budget de cette année, s’emporte Florent Budin. Ça fait toujours deux millions manquants. »
Trois infirmiers s’attellent donc illico à la réalisation d’une banderole, au contenu explicite : « Un million alloué, mon cul c’est du poulet !! » Elle sera accrochée quelques heures plus tard aux grilles de l’ARS, sous les yeux quelque peu ahuris d’un livreur à vélo, comme égaré dans les rues désertées d’Amiens, la nuit.

Les infirmiers présents digèrent mal le départ en vacances de leur directeur, fin août, malgré le conflit en cours. « Du mépris », peut-on entendre sur le campement. Ce dernier se veut néanmoins rassurant sur la situation de son hôpital, « un corps vivant », qui saura s’adapter au « virage ambulatoire » demandé par les ministères de la santé successifs : « Dans les services fermés récemment vivaient des patients avec des pathologies chroniques, pour qui on devait trouver des solutions en ambulatoire, notamment dans le médico-social, explique Elio Melis, nommé en 2016. Cela a été le cas pour 80 d’entre eux. Les autres sont restés à l’hôpital. »
Pour absorber la suroccupation des chambres (la plupart des services prévus pour 20 personnes en accueillent désormais 25 ou 26, sans compter les dizaines de patients régulièrement dispatchés dans l’hôpital en attendant des sorties), la direction promet dix postes d’infirmier supplémentaires et plaide pour le recours à l’intérim en vue de pallier la fuite des médecins.
L’ARS, qui estime avoir fait bénéficier l’hôpital Pinel d’une dotation suffisante, allouant 7 millions d’euros à l’établissement depuis 2011, affirme dans un courrier envoyé aux syndicats CGT, FO et Sud « être prête » à rencontrer à nouveau les acteurs, pour « partager plus précisément le plan d’action en cours de mise en œuvre ». Sans se prononcer sur une quelconque date de rendez-vous. Agnès Buzyn, interrogée par France Info le 21 août à l’heure où les grévistes de Pinel s’attablaient pour petit-déjeuner, n’a toujours répondu ni aux questions ni aux interpellations des soignants d’Amiens. Même l’association représentant les familles des usagers de la psychiatrie, l’Unafam, a jeté l’éponge : « À l’ARS, on me parle de bientraitance, je réponds Pinel et tout le monde baisse la tête… rapporte Sébastien Bil, président de l’association. Ce sont des grand-messes, mais la réalité c’est que je suis plus utile sous la tente qu’en réunion à l’ARS ou dans les conseils de surveillance des hôpitaux psychiatriques. Le projet médical de santé ressemble à de la pseudo-démocratie sanitaire dont nous sommes les idiots utiles. » Le conflit s’enkyste donc lentement mais sûrement, à mesure que les jours passent.

« Nous avons écrit le projet médical, il y a encore du travail pour poursuivre sa déclinaison opérationnelle et offrir un cadre pérenne aux unités de soins », concède Valérie Yon, présidente de la communauté médicale d’établissement, qui représente les médecins de Philippe-Pinel dans les instances. Malgré son optimisme, la psychiatre rappelle les nombreuses alertes déjà adressées à la direction, à l’ARS, à la ministre de la santé et au président de la République.
« Recruter des médecins, c’est devenu très difficile, rappelle Valérie Yon. L’hôpital, et pas que Pinel, est en souffrance. Mais il y a les patients… C’est un vrai dilemme. Je trouve compliqué de rester, compliqué de partir. Je travaille depuis 23 ans ici. Pour le moment, je veux encore me battre pour cet établissement. Peut-être que dans six mois, je dirai autre chose ? » Une chose est sûre : « Quatre unités fermées à l’hôpital en quatre ans, cela veut dire qu’il faut obligatoirement consolider les équipes extrahospitalières » et donc desserrer l’étau budgétaire pour plus de postes en ambulatoire.

« Nous ne demandons que ça, d’ouvrir les portes !, souligne Florent Budin. Mais on n’en peut plus des discours creux sur le virage ambulatoire, la bientraitance, la qualité des soins. Comment ça se traduit sur le terrain ? » Plus de 70 % des patients d’Amiens, et bien au-delà de la simple agglomération, sont déjà dans des dispositifs extrahospitaliers. « L’ambulatoire, même si c’est génial sur le principe, finit par se transformer en escroquerie, assène Chloé Mellouli, une infirmière ayant quitté Pinel il y a un an, pour « sauver » sa peau. Les réseaux sont littéralement saturés. » Éric Legrand insiste. « C’est très grave : s’il n’y a pas assez de médecins, pas assez de soignants, les malades psychiques chroniques vont rejoindre la masse des démunis et des errants. »
De la suroccupation à l’isolement ou à la contention
Au petit matin du 21 août, une psychologue du CMP d’Amiens s’installe pour le petit déjeuner devant l’hôpital Pinel. « J’essaye de passer à 7 heures, avant d’aller au boulot. » Professionnelle de « l’extra », elle confirme le diagnostic alarmiste de ses collègues de « l’intra ». « Le virage ambulatoire, je m’énerve quand j’entends ça. Nous avons des enfants qui attendent parfois entre six mois et un an pour avoir un rendez-vous. Et les adultes c’est encore pire. On n’a plus de moyens. Je dois attendre la fin d’année et le nouveau budget pour racheter de la pâte à modeler… » Pédopsychiatrie ou psychiatrie adulte, les CMP sont débordés. « Les secrétaires souffrent aussi, d’avoir les parents au téléphone qui ne comprennent pas pourquoi on ne prend pas en charge leur enfant, raconte l’une d’entre elles. Elles n’y sont pour rien, mais elles se sentent responsables de ne pas avoir su placer l’enfant quelque part. »
Nombreux sont les professionnels à ne plus vouloir jouer le jeu. « Quelle place on occupe dans l’organisation ?, s’interroge le jeune psychiatre Mehmet Matsar. On dit non, les choses se font quand même, et l’ARS dit que les instances ont été consultées. Donc il y a une forme de duperie des équipes et de trahison vis-à-vis des patients à rester. Nous, médecins, nous ne sommes pas des prestataires de services. La meilleure manière de freiner cette fuite en avant, c’est de partir. » Même si le départ s’apparente à un crève-cœur, pour des fous de la discipline psychiatrique et des fervents de l’hôpital public.

La nuit, au campement, à Amiens devant l’hôpital Pinel. © MG
« Tu rentres dans l’hôpital, tu pues littéralement l’angoisse, raconte Chloé Mellouli. Moi je n’ai pas de crédit, pas de gosse, je peux supporter de perdre en salaire et d’aller voir ailleurs. Ce n’est pas parce que je ne supporte plus les patients, mais parce que c’est le cas de conscience permanent. À Pinel, j’avais honte de ce que je faisais. Ici aussi, la honte doit changer de camp. »
Au service d’orientation et d’accueil, une aide-soignante arrive difficilement à taire son angoisse. « Dans un mois, on n’a plus de médecin. On risque d’avoir un médecin étranger, en intérim, on ne sait pas s’il parlera français. C’est déjà arrivé. Pour nous, c’est deux fois plus de boulot pour rassurer les patients, éviter les erreurs de prescription, faire respecter le cadre légal français. Comment les malades vont-ils réagir ? Et comment on va les gérer ? »
Patiemment, les uns et les autres tentent d’expliquer l’invisible, la spécificité du soin en psychiatrie, désormais quasi impossible à exercer normalement, selon Alexandra, encore affectée par la fermeture de son service l’an dernier. « On oublie trop souvent l’importance du savoir-faire, de la transmission mais surtout de la médiation humaine en psychiatrie. Accompagner un patient pour acheter ses cigarettes, “faire son placard” avec lui, trier ses affaires, retrouver un peu d’hygiène… Chacune de ces choses peut prendre une heure et demie dans la journée. Ma collègue, si elle est seule avec 24 patients pendant ce temps-là, elle fait quoi ? »
Quand le temps est raccourci et l’espace réduit, la crise pointe bien souvent le bout de son nez : « Il ne s’agit pas de violence, poursuit la jeune femme. J’en ai marre qu’on stigmatise des patients comme des fous agressifs, ou les soignants comme des fainéants tout juste bon à enfermer les autres. C’est toute l’institution qui est maltraitante. »

Ce qui n’empêche pas « de prendre des coups », lâche Hélène, sur le perron du service des urgences, en fumant cigarette sur cigarette avec sa collègue Caroline : « On s’attend au gros clash. Il va arriver. Alors qu’il suffirait parfois, avec des patients que l’on connaît bien, d’aller marcher dans le parc de l’hôpital, fumer une cigarette ensemble, pour éviter la crise. Mais ce temps-là, on ne l’a plus. » Le mari de Caroline lui a déjà dit cent fois d’aller voir ailleurs, plutôt que d’aller au boulot « avec des semelles de plomb »…

Problèmes en aval, dérives en amont. Julie Cormier, psychiatre à Philippe-Pinel depuis 2004, va elle aussi partir, lassée de travailler seule. « On n’a même pas le temps de parler avec l’infirmier, de faire correctement les transmissions, de voir le patient ensemble. Alors on fait l’essentiel, les traitements, les sorties, les certificats », et les patients « font les frais du manque d’effectifs », complète son collègue Nans Legendre, ancien interne à Pinel devenu médecin titulaire. Lui aussi a son baluchon prêt. « Si je restais, je serais seul pour un service d’entrée en charge de deux secteurs géographiques, dont Amiens-Nord, un quartier difficile, deux pavillons de longue évolution, les urgences. Et personne ne veut me dire comment je fais ça… »

Mehmet Matsar, avant de partir, a réalisé deux choses. Il a développé un projet de recherche sur la détection précoce de la schizophrénie, « tout ficelé, il n’y a plus qu’à », qu’il n’a jamais eu l’occasion de mettre en œuvre. Et une solide bibliographie sur l’augmentation de la contention et de l’isolement, un phénomène qui s’est développé ces dernières années dans la psychiatrie française et dont le Défenseur des droits s’est notamment ému. La suroccupation, la proximité, le manque d’expérience des équipes, l’absence de relationnel avec les soignants sont des facteurs qui peuvent pousser à abuser de ces deux méthodes, aux vertus thérapeutiques par ailleurs démontrées. La plupart des professionnels interrogés à Pinel le confirment : on contentionne davantage et plus vite depuis quelques années, quand les collègues se font plus rares, ou quand les pièces libres manquent pour sortir d’une chambre d’isolement.

« Moi je suis un vieux de la vieille, j’ai connu les pavillons asilaires, avec 80 patients par service, remarque Éric Legrand. Mais aussi une époque très positive, où tout était à construire, il y avait beaucoup d’enthousiasme, on a créé les CMP, les centres postcure, c’était exaltant. Des équipes complètes sortaient de l’hôpital avec les patients pour s’établir ensemble en ville. » Depuis dix ans, selon le médecin, « rien ne se crée, et depuis quatre ans, tout se ferme ». Pour « avoir le temps de réfléchir encore, et de penser un peu », explique Chloé Mellouli, infirmiers et médecins se retrouvent sous la tente, avec sur le dos des blouses blanches décorées de Shadoks rageurs en guise de slogan. Pour « prendre soin les uns des autres, 24 h sur 24 », affirme une banderole.

« C’est pas simple, souligne Catherine Obry, infirmière cadre. Les gens sont fatigués, ils ne dorment pas bien, veillent toute la nuit, supportent le bruit des voitures, on n’est pas comme dans son lit. Certains font leur nuit dans le service et enchaînent au campement. Ça prend sur la vie de famille, la vie privée, c’est un vrai sacrifice. Mais en arriver à ça pour un rendez-vous avec l’ARS, c’est triste. » Son ex-collègue Chloé ne cache plus sa colère : « On parle d’une grève de presque 70 jours, qui se déroule dans l’indifférence générale. Aucune main n’est tendue. Moi je ne vais pas m’immoler sur la place publique pour ça. Près de cinquante suicides de soignants cette année, ça ne leur suffit pas ? Les choses sont pourtant simples : les gens sont malades et nous ne sommes pas des matons. »