Le chômage

Médiapart - DOSSIER. ASSURANCE-CHÔMAGE : L’INJUSTIFIABLE RÉFORME

Décembre 2022, par Info santé sécu social

C’est officiel, la réforme de l’assurance-chômage a fait beaucoup de perdants
Selon le bilan de l’Unédic, enfin rendu public, les coupes dans les droits des demandeurs d’emploi ont abouti à une baisse moyenne de 16 % des allocations versées, et à un recul jamais atteint du nombre de chômeurs indemnisés. Et la prochaine réforme aggravera la situation.

Dan Israel
22 décembre 2022

Les chiffres ont mis des mois à être rendus publics, et ils sont aussi sombres qu’anticipé. C’est une poignée de jours avant Noël que l’Unédic – l’organisme, géré par les syndicats et le patronat, chargé du régime d’assurance-chômage – s’est résolu à communiquer aux partenaires sociaux son bilan de la réforme de l’assurance-chômage, qui est entrée entièrement en vigueur en octobre 2021.

Jusque-là, et en violation flagrante avec les promesses initiales du macronisme, aucune donnée précise n’était disponible pour comprendre les effets de la réforme, dont tout laissait penser qu’elle était désastreuse pour les plus précaires des demandeurs d’emploi.

« Une évaluation sera faite. Il faut se laisser plus de temps pour que ces analyses soient fiables », expliquait encore en juin 2022 Patricia Ferrand, la présidente de l’Unédic. Au printemps 2020, l’organisme avait pourtant été en mesure de publier un bilan précis et détaillé des premières mesures entrées en vigueur six mois plus tôt (et finalement suspendues en juillet 2020, pour cause de crise sanitaire).

Pour obtenir enfin les informations précises concernant la réforme, il aura donc fallu patienter le temps que le gouvernement fasse voter une deuxième réforme, qui réduira d’un quart la durée d’indemnisation des chômeurs, à partir du 1er février.

Sans surprise, les chiffres de l’Unédic sont désastreux pour les demandeuses et demandeurs d’emploi. Jamais la part des inscrit·es à Pôle emploi touchant une indemnisation n’a été aussi faible : seulement 36,6 % de l’ensemble des inscrit·es en juin 2022, contre 40,4 % en décembre 2021.

Et pour qui réussit à les percevoir, les allocations revues et corrigées par les nouvelles méthodes de calcul ont baissé en moyenne de 16 % – un chiffre conforme aux anticipations de l’Unédic, qui prévoyait en avril 2021 une baisse moyenne des droits de 17 %.

Les économies d’ores et déjà réalisées sont substantielles : plus de 2 milliards d’euros par an, avant une réduction supplémentaire des dépenses qui devrait dépasser les 4 milliards annuels lorsque la deuxième réforme sera en régime de croisière.

Dans un communiqué, la CGT a dénoncé « un saccage » : « La réforme de 2021 a non seulement exclu un très grand nombre de travailleurs privés d’emploi de l’indemnisation mais elle a particulièrement touché les jeunes ainsi que les travailleurs ayant perdu un CDD ou un contrat d’intérim. »

Baisse des droits
La réforme de 2021 a joué sur trois paramètres : un nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), à partir duquel est calculée l’allocation-chômage ; la nécessité de travailler au moins six mois, et non plus quatre, pour y avoir droit ; et un recul de 30 % du montant versé au bout de 6 mois pour les salarié·es qui touchaient les plus hauts salaires (plus de 4 500 euros brut).

Le premier effet de ces mesures a été de faire reculer le nombre d’ouvertures de droit au chômage, ou de rechargement de ces droits. L’Unédic en compte 39 000 de moins en juin 2022 qu’en juin 2019, soit une baisse de 20 %.

Un peu plus de 50 % des inscrit·es à Pôle emploi se voient verser moins d’allocations à cause de la réforme. 15 % des demandeuses et demandeurs d’emploi ont même vu leurs droits fondre de 20 % à 50 %.

On ne peut lier toute cette baisse à la réforme, parce que la conjoncture économique a été bonne en 2022, et que le nombre d’inscrits à Pôle emploi était orienté à la baisse. Mais il faut noter que la baisse est plus marquée chez les allocataires les plus fragiles, qui sont précisément celles et ceux qui sont visé·es par la réforme : moins de 25 ans (– 26 % d’ouvertures de droits), allocataires ayant perdu un CDD (– 30 %) ou un contrat d’intérim (– 37 %).

Un peu plus de 50 % des inscrit·es à Pôle emploi se voient verser moins d’allocations à cause de la réforme, qui cible principalement celles et ceux qui alternent période d’emploi et d’inactivité. 15 % des demandeuses et demandeurs d’emploi ont même vu leurs droits fondre de 20 % à 50 %, par rapport à ce qu’ils auraient pu attendre avant 2021.

Autre effet, collatéral cette fois, de la réforme : le cumul entre chômage et petits boulots peut se révéler moins rémunérateur qu’auparavant. Alors même qu’un allocataire sur deux travaille, « une proportion moindre est indemnisée » pour ce cumul, note l’Unédic. Et ce sont les profils moins qualifiés qui en bénéficient moins.

Quant à la réduction de 30 % du montant de l’allocation-chômage au bout de six mois pour les cadres, cette règle touchait déjà 31 000 personnes en juin dernier, « et 52 000 autres pourraient voir leur allocation baisser les mois à venir », a calculé l’Unédic.

L’objectif n’est pas atteint
Ces coupes radicales dans les droits des allocataires sont-elles au moins utiles pour remplir les objectifs officiels du gouvernement, à savoir réduire drastiquement l’utilisation des emplois courts par les entreprises et leur personnel ? Pas du tout, si l’on en croit la synthèse, également présentée aux partenaires sociaux, de quarante entretiens menés par l’Unédic avec des demandeurs d’emploi impactés par la réforme.

Ainsi, l’enjeu « de limitation des contrats courts n’est qu’assez partiellement perçu par les allocataires », indique pudiquement le gestionnaire de l’assurance-chômage, qui signale que « très peu [des personnes interrogées] évoquent des choix personnels les amenant à privilégier des contrats courts ».

Les allocataires expliquent simplement que dans leur secteur professionnel ou à leur niveau de qualification, on ne propose simplement pas de contrats pérennes. Et d’ailleurs, même après la réforme, leur recherche d’emploi reste « majoritairement dans la continuité de leur parcours professionnel récent, donc souvent en CDD ou intérim », note l’Unédic. La durée des contrats de travail proposés ne fait pas plus « partie de leur considération pour reprendre un emploi ».

Je ne peux pas aller en formation parce que je ne pourrai pas travailler pendant ce temps et l’indemnité qui me serait payée ne me permet pas de vivre.

Les allocataires ne perçoivent pas non plus de changement « dans les comportements et pratiques de recrutement des employeurs en lien avec la réforme ». Et les rares personnes estimant disposer d’un pouvoir de négociation avec un futur employeur l’utilisent pour demander un plus haut salaire, pas un CDI.

« On est en position de force car il y a une pénurie de main-d’œuvre », indique ainsi un professionnel de la restauration, qui travaille pour des traiteurs. Mais ces derniers « ne sont pas en mesure d’embaucher sur des contrats stables car leur activité en dent de scie, ils n’ont pas [d’autre] choix que d’avoir des contrats d’usage », précise-t-il aussitôt.

D’autres allocataires soulignent par ailleurs que le faible niveau d’indemnisation les empêche de se déplacer pour trouver du travail plus loin de leur domicile, ou même d’entamer une formation : « Actuellement, je ne peux pas aller en formation parce que je ne pourrai pas travailler pendant ce temps et l’indemnité qui me serait payée ne me permet pas de vivre », dit l’un de ceux qui cumulent chômage et petits boulots.

La deuxième réforme ne sera pas plus positive
Ces constats moroses ne seront pas égayés par la première évaluation, à gros traits, menée par l’Unédic sur les effets de la future réforme qui entrera en vigueur en février. Si, comme cela est prévu par le gouvernement, la durée d’indemnisation maximale baisse d’un quart (sans pouvoir passer sous les 6 mois), « en moyenne, le nombre d’allocataires indemnisés diminuerait de 12 % en année de croisière, soit environ 300 000 personnes pour 2,5 millions d’indemnisés ».

Et si le gouvernement assure que ce rabotage de 25 % des droits ne s’appliquera qu’en cas de conjoncture favorable, et disparaîtra si le chômage remonte, les anticipations de l’Unédic se chargent de balayer ce discours : il faudrait que le taux de chômage dépasse 9 %, alors qu’il est de 7,3 % aujourd’hui, ou qu’il augmente de plus de 0,8 point sur un trimestre. Or, « une augmentation de 0,8 point du taux de chômage ne s’est produite que deux fois dans le passé relativement récent » : en 2009 après la crise des subprimes, et en 2020, avec le confinement lié à la pandémie de Covid.

Là encore, l’efficacité de la mesure voulue par l’exécutif est remise en question : même s’il est établi que réduire la durée d’indemnisation pousse les demandeurs d’emploi à retrouver plus vite un travail, cela « n’implique pas forcément une augmentation du volume d’emplois créés par les entreprises », avertit l’Unédic.

« Y a-t-il plus d’emplois créés ou une rotation différente dans les offres d’emploi pourvues (emplois pris par des chômeurs indemnisés au lieu de chômeurs non indemnisés, inactifs, etc.) ? », interroge l’organisme, qui insiste sur le fait que « ces effets dits de “bouclage macroéconomique” n’ont pas été étudiés à ce jour ».

Les effets positifs de la future réduction de la durée d’indemnisation sont donc loin d’être établis. Mais d’autres conséquences négatives sont en revanche très probables : parce qu’ils seront couverts moins longtemps par l’assurance-chômage, « les allocataires impactés par la réforme acquerront moins longtemps des droits à la retraite et moins de points de retraite complémentaire ». Et une hausse du nombre de bénéficiaires du RSA « devrait s’observer consécutivement à la réduction de la durée des droits ».

Dan Israel