Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart ; Dans les Ehpad, le Covid-19 s’ajoute à la crise

Mars 2020, par infosecusanté

Mediapart ; Dans les Ehpad, le Covid-19 s’ajoute à la crise

17 mars 2020| Par Mathilde Goanec

En première ligne auprès des personnes les plus fragiles face au Covid-19, les salariés des Ehpad font front, parfois avec les moyens du bord, dans un secteur chroniquement sous-doté. La quarantaine devient difficile à vivre pour les résidents.

C’est une crise sanitaire qui vient, comme pour l’hôpital, percuter une crise structurelle. Les maux des Ehpad, dénoncés de longue date par un arc allant des soignants aux directeurs, en passant par les résidents et leurs familles, ne se sont pas volatilisés avec l’arrivée du Covid-19 : salariés en souffrance et en sous-effectif, soins quotidiens parfois défaillants et économies de bouts de chandelle (voir notre dernier article), même dans des établissements pilotés par des groupes en pleine santé financière.

Les maisons de retraite sont pourtant en première ligne dans l’épisode sanitaire en cours, puisque les personnes âgées sont particulièrement vulnérables face au virus. Plusieurs décès concernent ainsi des pensionnaires d’Ehpad en Occitanie 3, en région parisienne 3, dans l’Oise bien sûr 3, ou encore dans l’Hérault 3.
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L’application des consignes et les « barrières de sécurité » sont plus ou moins respectées, avec parfois un sérieux retard à l’allumage : « Depuis le 2 mars, on nous dit de nous protéger. Mais on n’a donné des masques qu’à ceux qui n’étaient pas vaccinés contre la grippe, ce qui était tout à fait insuffisant, rapporte Marion*, une infirmière travaillant dans un Ehpad du groupe Orpea, dans le sud de la France. À partir du 9 mars, tout le monde pouvait en obtenir, mais depuis on les économise, et personne n’en change toutes les trois heures, alors que cela est recommandé… »

Dans un établissement public de la région parisienne, même topo pour des salariés qui font quotidiennement la navette entre domicile et travail, s’inquiète Malika Belarbi, déléguée syndicale CGT : « On refuse des masques aux soignants, à cause de la pénurie, et ils sont très inquiets. Certains ont des enfants fragiles, et ont le sentiment de prendre un risque énorme pour leur famille et pour les résidents. Le problème, c’est l’approvisionnement. Les commandes ont été passées trop tard. On attend maintenant que le gouvernement débloque les stocks. »

Dans un communiqué, le syndicat CGT des Ehpad publics du Havre, la plus grande entité de France avec 664 lits, dénonce de son côté la récente directive gouvernementale, selon laquelle le masque ne serait « pas obligatoire » s’il n’y a pas de cas de Covid-19 parmi les résidents. « Ce virus a une période d’incubation de cinq jours, les agents de l’établissement doivent être protégés au maximum par le biais de matériel (masques, gants, solution hydroalcoolique) afin de ne pas favoriser l’épidémie nationale actuelle. » La CGT s’interroge : « Y aurait-il une frontière à la porte de nos établissements ? »

Sabrina* travaille comme infirmière dans deux établissements dans le sud de l’Île-de-France, l’un de type coopératif et l’autre appartenant à un groupe lucratif. Dans le premier, dès le départ, les salariés ont été informés, et continuent de l’être, tout comme les familles, auxquelles le principe de la quarantaine a été expliqué : « Nous avons d’abord limité les visites, puis on les a carrément interdites. Il y a des masques pour les salariés et des solutions hydroalcooliques à toutes les entrées, des désinfections, des affichages. Certaines entrées de l’établissement ont été condamnées et le personnel directement en contact avec les résidents séparé des autres, y compris dans le réfectoire. Même le linge propre, que rapportent des familles, est laissé dans un sas. C’est le seul moyen de faire vraiment barrière. »

Dans la deuxième maison de retraite où exerce Sabrina, outre les problèmes de masques et gants, la transparence sur les mesures à prendre semble toute relative : « La direction minimise même la virulence du virus, continue de dire que ce ne sont que les personnes âgées qui peuvent l’attraper. Ils ont trop peur que les gens se mettent en arrêt de travail. » L’interdiction des visites a parfois été prise à la légère : « Après l’annonce de la mise en quarantaine, des familles ont râlé… Donc on a fait des exceptions. On voit aussi des dames de compagnie qui continuent de venir dans l’établissement. C’est hallucinant. »

Pascal Champvert, président d’une association de directeurs d’établissements pour personnes âgées ou d’aides à domicile, l’AD-PA 3, loue, malgré ces critiques, la plutôt bonne tenue du secteur face à l’épidémie et un ministère de la santé « à l’écoute » : « Ici ou là, il y a des tensions, des débordements ou des manques de masques, c’est vrai. Mais ce qu’il faut avoir en tête, c’est que tout le monde fait le maximum pour éviter des milliers de morts. Qu’on aime ou pas le président de la République, ou le gouvernement, la période n’est pas à la polémique. »

Bien conscient cependant de la fragilité de l’aide à la personne âgée en France, l’AD-PA pointe plutôt, comme difficulté principale du moment, l’irresponsabilité collective : « Il faut appliquer les règles, pas plus, pas moins. Il faut que tous les Français qui ont envie d’appeler le 15 se posent la question de la gravité de leurs symptômes. La pénurie de masques est également de la responsabilité de tous les Français. Celui qui n’est pas malade, il vole un masque à un soignant qui en a besoin. »