Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Dépistage du Covid : une stratégie à reconstruire avec de nouveaux tests

Septembre 2020, par Info santé sécu social

26 SEPTEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

La France dispose de nouveaux tests du SARS-Cov-2 : les salivaires qui facilitent le prélèvement, et les antigéniques qui accélèrent l’analyse. De quoi sauver des vies, à condition de bâtir une politique de dépistage, une vraie, au plus vite.

« Dans notre pays, l’inculture de santé publique est profonde, se désole l’épidémiologiste Dominique Costagliola. On a cru que le dépistage était un simple acte de biologie médicale. C’est en réalité une stratégie qui se réfléchit, se concerte, et se suit en choisissant de bons indicateurs. Le nombre de tests n’est pas un bon indicateur. »

L’automne n’a que quelques jours, les virus de l’hiver ne sont pas encore là, et la France se retrouve prise dans une nouvelle flambée de Covid-19. Selon le dernier bulletin hebdomadaire de Santé publique France, 61 800 cas ont été diagnostiqués la semaine dernière. Le nombre des nouvelles hospitalisations de patients atteints du Covid-19 (3657) est en hausse de 34 % par rapport à la semaine précédente, le nombre de patients admis en réanimations (599) en hausse de 40 %. 339 personnes sont mortes du Covid-19 la semaine dernière, contre 265 la semaine précédente (+ 25 %).

Avec l’augmentation de la circulation de l’épidémie, les laboratoires se retrouvent face à une demande supérieure à leurs capacités de tests dans de nombreux territoires. Les laboratoires publics comme privés témoignent de très fortes tensions sur le personnel, les machines et les réactifs (lire notre article ici).

Les tests sont réalisés, en moyenne, 3 jours après les premiers symptômes, selon Santé publique France. Et les résultats peuvent être rendus dans un délai de 7 jours, constate l’agence. Ces délais ne permettent plus de contrôler l’épidémie comme l’explique l’épidémiologiste Catherine Hill (lire notre entretien ici), qui plaide pour que les laboratoires jettent les tests qui n’ont pas été analysés dans un délai de 48 heures.

La seule bonne nouvelle est que des nouveaux outils de dépistage, plus simples et plus rapides d’utilisation, sont désormais autorisés par les autorités sanitaires : les tests salivaires, qui accélèrent le prélèvement, et les tests antigéniques, qui proposent une analyse en 30 minutes.

La communauté des virologues, d’abord réticente, car ces tests sont un peu moins sensibles que les tests PCR classiques, semble désormais convaincue par leur intérêt. « En avril, on ne voulait pas se tromper dans le diagnostic, explique Constance Delaugerre, professeure de virologie à l’hôpital Saint-Louis à Paris. Aujourd’hui, face à l’urgence, nous sommes prêts à suivre d’autres stratégies. La pression est forte pour avancer. On doit faire tout en même temps : soigner les gens, prendre des décisions stratégiques et faire de la recherche. Mais la recherche n’avance pas au même rythme que le temps médiatique et politique. »

« On a perdu du temps dans l’organisation, on a embouteillé le système de santé, poursuit la virologue. À mon avis, les laboratoires privés devraient se recentrer sur ce qu’ils savent faire : tester les malades. D’autres acteurs devraient s’occuper du dépistage de masse, surtout des populations les plus à risque : les professionnels de santé, les facultés de médecine, les Ehpad. Dans les Ehpad surtout, c’est une urgence. »

L’épidémiologiste Dominique Costagliola, directrice de recherche à l’institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique, abonde : « Il faut probablement mettre en place deux systèmes différents : un pour le diagnostic des personnes symptomatiques et contacts, un autre plus large, auprès des populations à risque, adapté aux réalités locales, à construire avec les acteurs de terrain, les usagers de terrain. » Et elle enfonce le clou : « L’urgence, c’est les Ehpad. »

Le test nasopharyngé par PCR, le plus sensible
« À nos yeux, ce test reste la référence », dit la virologue Constance Delaugerre. Le prélèvement en fond de gorge est ensuite analysé par une technique de PCR (polymerase chain reaction, ou réaction de polymérisation en chaîne), qui amplifie le matériel génétique du virus, s’il est présent.

C’est une technique classique en biologie médicale, parfaitement maîtrisée. Elle est sensible, ce qui signifie qu’elle repère, dans environ 90 % des cas, l’ARN du virus, et produit donc peu de faux négatifs. Elle est aussi spécifique, c’est-à-dire qu’elle ne confond pas le virus avec autre chose : elle ne produit pas de faux positifs.

La technique PCR est-elle trop sensible ?
La question, très technique, n’est plus une affaire de spécialistes. Sur les réseaux sociaux circule l’idée que la technique PCR repèrerait du virus en très faible quantité, chez des personnes qui ne sont plus contagieuses, et gonflerait artificiellement les chiffres de l’épidémie.

Le professeur de virologie Bruno Lina s’est déjà exprimé dans nos pages (lire notre article ici) : « On cherche à multiplier la présence du virus. On parle de cycles d’amplification. Pour trouver du virus, on fait jusqu’à 50 cycles. Le nombre de cycles à partir duquel on trouve du virus est important : si on en trouve à partir de 20 cycles, il y a beaucoup de virus ; si on en fait 50, il y en a peu. Mais il n’y a pas de faux positifs : quand il y a peu de virus, cela veut dire que la personne est à la fin de son infection, mais aussi qu’elle peut être au tout début, et devenir contagieuse dans les jours suivants. »

La communauté scientifique des virologues réfléchit actuellement à abaisser le nombre de cycles. Le directeur général de la santé Jérôme Salomon a saisi la Société française de microbiologie et le Centre national de référence sur le sujet.

« Il faudrait déterminer s’il y a un lien entre la quantité de charge virale et sa contagiosité. On suppose qu’il y a un lien, mais ce n’est pas certain. Et c’est très difficile à prouver », explique Constance Delaugerre.

La virologue reconnaît cependant que, pour réussir à réaliser du dépistage à large échelle, « il faut accepter une moindre sensibilité. Mais il faut une bonne spécificité, c’est-à-dire pas trop de faux positifs, sinon on ne sait plus où on va ».

Les tests antigéniques
Ils ont été autorisés la semaine dernière, par décret. Le prélèvement se fait toujours par l’écouvillon enfoncé au fond de la gorge. Mais la technique d’analyse est différente : le test recherche une protéine présente dans le virus. Elle est surtout très rapide : le prélèvement est déposé sur une bandelette, qui donne un résultat en 30 minutes.

Le ministre de la santé a annoncé que la France avait d’ores et déjà acheté 5 millions de ces tests. Ils ne seront pas accessibles dans les laboratoires, mais réservés, au moins dans un premier temps, à des opérations de dépistage pilotées par les agences régionales de santé, avec un objectif de recherche.

La première de ces opérations de dépistage a concerné la faculté de médecine de l’université Paris-Sorbonne. Un cluster a été identifié parmi les étudiants de 2e année de médecine, qui s’apprêtaient à partir en stage infirmier dans des services hospitaliers ou des Ehpad. Une première campagne de tests a concerné ces étudiants, entre 400 et 500, qui ont tous subi un test nasopharyngé par PCR : 13,5 % se sont révélés positifs. « On a réagi très rapidement, car ces étudiants allaient être en contact avec des patients fragiles », explique le doyen de la faculté, Bruno Riou.

La décision a également été prise de tester les 3e et 4e années, soit 2000 étudiants. « Mais les laboratoires nous ont indiqué qu’il leur était impossible de réaliser autant de tests dans des délais rapides. Or, il y avait urgence, car ces étudiants rentraient eux aussi en stage, auprès des malades. Nous avons donc fait le choix des tests antigéniques. Nos virologues nous ont expliqué que ces tests pouvaient repérer la plupart des personnes avec une charge virale élevée. Ce n’est pas parfait, mais c’était le meilleur choix possible. »

La campagne a été menée entre le 17 et le 19 septembre, et ses résultats ont rassuré le doyen : « On savait que ce groupe était moins à risque, car leur comportement est moins à risque. Seul 1,2 % des tests se sont révélés positifs. On estime qu’un test PCR classique aurait donné un taux de positifs de 2,4 %. »

« Ces tests ont une sensibilité de plus de 90 % dans les premiers jours, ensuite on perd, explique Constance Delaugerre. On pense qu’ils repèrent les gens les plus contagieux. Leur spécificité est également de 90 % : il y a des faux positifs, mais en nombre limité. Ils sont probablement intéressants dans une stratégie de dépistage de masse. On est en train de tester toutes les facultés, tout en faisant de la recherche. Il faut vérifier, avec un test PCR classique, si les positifs sont bien positifs. Il faut aussi évaluer la part des asymptomatiques parmi les positifs. »

Les tests salivaires
Ces tests passent aussi par une analyse PCR, plus longue, mais le prélèvement est cette fois bien plus simple : c’est un simple crachat.

Les résultats préliminaires d’une étude réalisée en Guyane ont circulé entre les virologues : « Le test est performant sur les personnes symptomatiques, mais chez les asymptomatiques, les résultats ne sont pas bons. »

Les études se poursuivent cependant, Constance Delaugerre participe à une étude de l’AP-HP sur les tests salivaires sur des personnes sans symptômes.

La prudence de la Haute autorité de santé
Quand un nouveau produit de santé est autorisé, la Haute autorité de santé (HAS) rend un avis sur ses indications, à partir de la littérature disponible. La HAS a rendu son avis sur les tests salivaires la semaine dernière, et sur les tests antigéniques hier, vendredi 25 septembre. Dans les deux cas, elle insiste sur le faible nombre d’études, en particulier sur les malades sans symptômes, susceptibles d’avoir une moindre charge virale, donc moins facilement détectable.

La HAS recommande l’utilisation de ces deux tests sur des patients avec des symptômes. Cet avis est à rebours des premières utilisations de ces tests, en dépistage massif de populations sans symptômes, mais à risque, comme les étudiants de la faculté de médecine Sorbonne universités. L’Université de Liège, en Belgique (lire notre reportage ici), va tester tous ses étudiants, régulièrement, avec des tests salivaires. « C’est de la recherche opérationnelle. Si elle est encadrée, c’est très intéressant », estime Constance Delaugerre. L’épidémiologiste Catherine Hill (lire notre entretien) juge que la situation sanitaire exige de « sortir du cadre ».